Surnommée « le bunker » lors de la crise post électorale de 2011, la résidence présidentielle du couple Gbagbo à Abidjan, reliée à la demeure de l’ambassadeur de France par un tunnel souterrain, a été laissée à l’abandon sous le règne d’Alassane Ouattara. Mythique, cette bâtisse fut le théâtre privilégié d’évènements déterminants de la vie politique ivoirienne
Quatre ans après, rien n’a bougé. La résidence présidentielle de Cocody, à Abidjan, où Laurent Gbagbo et son épouse Simone ont été arrêtés par des forces spéciales françaises le 11 avril 2011, est restée en l’état.
Champage et garde robe
A l’intérieur, tout a été pillé dès les premières heures par les troupes de Ouattara qui sont entrées en vainqueur après d’intenses bombardements de l’armée française. Pendant plusieurs jours, six de ses hélicoptères, en position stationnaire au dessus du quartier de Cocody, avaient tiré une centaine de missiles Hot pour anéantir les défenses de l’ex-président, qui, cinq mois après le scrutin présidentiel de novembre 2010, persistait à se proclamer président et à demander un recomptage des voix. Et pour suppléer l’armée de bric et de broc, constituée autour des troupes rebelles de Guillaume Soro avec des chasseurs traditionnels dozos ou des miliciens étrangers, qui se montraient incapables de forcer les dernières défenses de Gbagbo.
Aujourd’hui, seule une palissade masque les stigmates de ces bombardements français. Ouattara, le nouveau président, a transformé sa villa, située à quelques encablures au bord de la lagune, en résidence présidentielle et a laissé celle de Gbagbo à l’abandon. « Le bunker », comme les journalistes français l’ont surnommée pendant la crise post-électorale. Le lieu n’avait pourtant rien d’une forteresse. On y accédait par une route qui descendait avec deux virages pentus devant l’entrée. Un poste de garde, avec un portique détecteur de métaux, toujours en panne. Et à gauche, le Salon des Ambassadeurs, où Gbagbo, qui vivait sans montre, faisait patienter ses visiteurs. En face, l’accès aux appartements privés avec un long couloir menant au Salon Bleu où les dîners se prolongeaient tard dans la nuit. C’est là que défilaient, à partir de minuit, les opposants, venus recevoir des conseils ou des prébendes présidentiels. Gbagbo ne se couchait pas souvent avant quatre heures du matin et n’émergeait qu’avec le soleil tropical à son zénith. Dans le salon Bleu, une immense télé et au fond, une grand table rectangulaire. Dans le couloir, derrière une porte toujours close, la chambre de Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la Côte d’Ivoire. Menant à l’étage par un escalier et un ascenseur, deux grandes chambres, celle de Laurent et de Simone. Le journaliste Cissé Sindou, du quotidien ivoirien Nord Sud en a fait une description détaillée quelques jours après les pillages des troupes pro-Ouattara, largement arrosé de champagne trouvé dans la résidence
« En venant de l’escalier, la chambre de l’ex-chef de l’Etat se trouve à droite. La porte franchie, on découvre une grande pièce sens dessus dessous. Quelques documents traînent encore sur cinq étagères placés çà et là. L’autre partie des documents, la plus importante, s’est retrouvée au sol (…) Sous la pile de paperasse, deux matelas et des posters brisés de l’ex-président. Au fond de la chambre, il y a deux portes : l’une mène à la garde-robe et l’autre conduit vers la salle de bain située à gauche. La première découverte ici, ce sont des costumes et des pantalons froissés, des cravates et des maillots de corps traînant sur les restes d’un placard démonté. Juste derrière, c’est une baignoire marbrée dépouillée de ses robinets. A la droite du couloir principal de la salle de bain se trouvent des lavabos remplis de produits pharmaceutiques déjà utilisés (…) En revenant vers la garde-robe, de loin, on aperçoit sur des cintres des costumes cette fois bien dressées. Dans un coin de la cellule était caché un coffre-fort. Visiblement éventré à l’aide de gros moyens, il a été vidé de son contenu. Dans la chambre de Simone Gbagbo, c’est le même désordre qui accueille, poursuit Cissé Sindou. A la différence qu’ici, les livres et les pochettes de Cd déversés au sol et sur des meubles portent beaucoup plus des mentions religieuses. Ce sont des documents de prières chrétiennes (…) Des bouteilles vides de champagne sont posées ici et là. Une photo du couple pend au mur. Dans sa garde-robe située au fond, à droite, de nombreux vêtements sont encore sagement rangés dans des placards. D’autres sont éparpillés dans un couloir. »
Un tunnel vers l’ambassadeur de France
Il faut descendre au sous-sol pour trouver le fameux bunker, en fait une vaste salle de réunion, transformée lors du siège en salle de prière évangélique par Simone, le petit bureau de Laurent et sa bibliothèque, brûlée par les bombes françaises, qui contenait de nombreux livres latins et grecs, et la salle où il entreposait ses cadeaux de chefs d’état. Le 11 avril 2011, un missile français tombé près des fenêtres a fait exploser des voitures stationnées à l’extérieur, provoquant l’incendie des rideaux qui s’est propagé dans tout le sous-sol. Quelques minutes avant que les troupes envoyées par Nicolas Sarkozy n’entrent dans la résidence par le portail défoncé et aussi par un mystérieux tunnel reliant le bâtiment à la demeure de l’ambassadeur de France voisine.
Les deux complexes sont en effet séparés par un mur de clôture qui court sur au moins deux cent mètres. Ils sont tellement proches que, durant la crise post-électorale, l’ambassadeur Jean-Marc Simon se vantait d’entendre les chants de prière s’élevant du sous-sol. Si l’ambassade de France a été construite au début des années soixante, la résidence présidentielle a été érigée par Henri Konan Bédié, le successeur d’Houphouët, dans les années quatre vingt dix. Sur ce terrain, on trouvait une maison, celle de la belle Thérèse Houphouët, épousée à l’aube de ses vingt ans par le quadragénaire Félix au début des années cinquante. Une femme toujours vivante, à qui on prêta de nombreuses aventures, qui consuma sa fortune dans les salles de jeux du sud de la France et qui, en 2010, appela à voter Gbagbo. A côté, Félix, qui, lui aussi, avait une vie sentimentale très indépendante, fit bâtir sa maison et la relia à celle de Thérèse par un tunnel souterrain dont le terminus se situe aujourd’hui dans les terrains de la résidence de l’ambassadeur de France.
Bédié fit raser les deux maisons, ne conservant qu’un espace dénommé la « chambre d’Houphouët » et le fameux tunnel, bouché pendant les travaux, sans doute pour éviter les accidents. A l’époque, cette destruction fut considérée comme un sacrilège. « Celui qui entrera dans cette nouvelle résidence, tombera », prédirent les féticheurs baoulés, l’ethnie d’Houphouët. En décembre 1999, Bédié fut renversé par un coup d’état mené par le général Gueï et par quelques dizaines de militaires qu’on retrouve aujourd’hui autour de Ouattara. On raconte que, tentant de fuir par le tunnel vers la résidence française, il se cassa le nez sur le mur qui obstruait la sortie.
Caïmans fâchés
Gueï, surnommé « papa Noël en treillis » parce que son coup d’état était intervenu à la veille de la fête religieuse, connut un sort encore plus funeste, puisqu’il fut assassiné le 19 septembre 2002 lors du coup d’état manqué contre Gbagbo mené par quelques-uns de ses anciens partisans qui avaient trouvé refuge au Burkina Faso. Quant à Gbagbo, élu président en novembre 2000 contre le putchiste Gueï, il connaissait la malédiction des sorciers baoulés et pour la conjurer, il avait fait savoir qu’il n’entrait jamais dans la chambre d’Houphouët. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est qu’un grand sorcier blanc, Nicolas Sarkozy, lui enverrait des missiles Hot sur la tête. Une action militaire brutale menée par l’ex-puissance coloniale sans mandat de l’Onu, dont les vestiges apparaîssent aujourd’hui comme des plaies vives dans un pays toujours coupé en deux.
De l’autre côté de la lagune, dans le quartier du Plateau, le palais présidentiel a, lui, été épargné par les bombardements français. Construit par Houphouët, au début des années soixante sur l’emplacement du palais du gouverneur colonial, il a la forme d’un siège royal baoulé. Il est constitué d’un vaste bâtiment rectangulaire qui abrite toujours l’administration présidentielle. Au sous-sol, la salle du conseil des ministres. Au bout, descendant vers la lagune, la vaste salle des Pas Perdus où en décembre 2010, Laurent Gbagbo prêta un nouveau serment de président élu avec à ses côtés, une Simone, toute de blanc vêtue.
Pour trouver la résidence présidentielle d’Houphouët, il faut parcourir deux cent kilomètres par l’autoroute du Nord pour arriver dans le « village » du premier président ivoirien, à Yamoussoukro, toujours capitale ivoirienne, Abidjan n’étant que la capitale économique. C’est là qu’il a fait bâtir la basilique Notre-Dame de la Paix, copie de Saint-Pierre de Rome, mais plus haute de dix mètres. Et le palais, un bâtiment moderne de six étages, au milieu d’un vaste parc dont les murs de clôture dépassent vingt kilomètres. Dans l’enceinte, on trouve aussi le palais des Hôtes, surnommé le Giscardium, car il hébergea durant plusieurs jours le président français du même nom, et le vaste caveau où Houphouët et plusieurs membres de sa famille sont inhumés. Et enfin le lac aux caïmans, toujours peuplé de dizaines de bestioles affamées auxquelles on jette des poulets vivants. Des caïmans fâchés qui, dans les semaines suivant l’arrivée au pouvoir de Ouattara, dévorèrent quelques visiteurs imprudents. Un mauvais présage, affirment quelques sorciers baoulés du coin. Décidément, la Côte d’Ivoire est loin d’en avoir fini avec ses fantômes.