“Révolution Zendj”, des fantômes du passé aux révoltes présentes

Le héros du film qui porte le nom de l’explorateur arabe du 14eme siècle, Ibn Battûta, recherche à travers les champs de ruines, les débris des révoltes du passé. De la poésie pure

2013_Evacuation_manuscripts_Timbuktu,_copyright_Prince_Claus_Fund_(1)Du Sud Algérien en proie à des émeutes à la Palestine occupée qui refuse de s’effacer sous le joug israélien, en passant par l’Irak dévastée par les maîtres du Pétrole, la route est longue et les déroutes nombreuses. Voilà un vrai film d’auteur qui ausculte l’état du monde à partir de l’hémisphère sud, ce qui n’est pas courant, jouant avec subtilité des paradoxes de la mondialisation, encore moins évident quand on vient du camp des déshérités.

Ibn Battouta revisité 

La première bonne idée de «Révolution Zendj» -qui n’en manque pas-est d’avoir donné au protagoniste du film le nom d’Ibn Battouta, célèbre explorateur marocain qui a parcouru près de 120 000 km entre 1325 et 1349, de Tombouctou jusqu’aux portes de l’Asie centrale. Sa quète touchait aux pratiques de l’islam. Le Ibn Battouta du 21ème siècle, le personnage central du film «Révolution Zendj», ne ressemble pas au voyageur du 14ème siècle: il est algérien et laïc, journaliste et militant de gauche, et son odyssée est d’une tout autre nature: aller chercher dans les champs de ruines ce qui reste des révoltes et des mouvements de résistance du passé.

L’autre protagoniste du film est une étudiante palestinienne vivant en Grèce qui va croiser le chemin du journaliste. Ce qui permet au film de Teguia de témoigner aussi de la crise grecque, de ses mouvements de contestation, n’hésitant pas à poursuivre son odyssée jusqu’aux Etats-Unis…

Tariq Téguia, pour son troisième long métrage (co-écrit avec son frère Yassine) accompli le miracle de faire un film contemporain qui se garde bien de se laisser emprisonner par le présent. C’est l’autre grand mérite de «Révolution Zendj» que de ne pas se faire happer par l’actualité des « printemps arabes» qui ont eu lieu au moment même du tournage.

Jamais un film politique n’a été autant poétique, éclaté, habité. Cette cartographie des colères actuelles n’est pas pour autant un film à charge ou un manifeste politique, ou du moins pas seulement. Au lieu de comparer Teguia à Godard ou Antonioni, comme le fait la presse française dans son enthousiasme unanime, il serait bon d’aller chercher les références de ce film palimpseste dans la sphère culturelle et géographique de son auteur, du côté des philosophes arabes précisément, Ibn Khaldoun par exemple. Dans sa fameuse «Moukkadima», Ibn Khaldoun, considéré comme le précurseur de la sociologie moderne, avait noté et analysé les changements sociaux et politiques qu’il a observés dans les pays du Maghreb et en Espagne. C’est ce que fait à sa manière le cinéaste algérien qui vit en Grèce: noter les changements et les renoncements en remontant aux sources des contestations.  Voyager dans les champs de batailles comme on voyage dans le temps, filmer les guerres perdues d’hier et entendre en même temps les voix de la résistance de demain.

Le récit n’est certes pas linéaire, mais on ne perd jamais le fil du film. Même quand l’histoire et la géographie se téléscopent. Le beau titre du film «Révolution Zendj» renvoie à la première révolte des noirs en terres arabes. Longtemps cette révolte menée au 9ème siècle par les esclaves noirs (zendj) du Califat Abbasside a été un repère pour les gauches arabes. Ce repère qui se perd de nos jours n’en est pas moins vivant nous rappellent les fantômes qui hantent le cinéma de Teguia. Au passage, on aura compris que les humiliés d’aujourd’hui ne l’ont pas toujours été.

De tous les temps et de tous les univers, « Révolution Zendj», film contemporain de Tariq Téguia.