La popularité dont jouit Mohamed Youssouf Bathily dit « Ras Bath » traduit l’énorme exaspération de l’opinion publique nationale qui se sent vivre dans un pays qui se déglingue. Arrêté lundi 15 août dernier sur ordre du Procureur général, il est libéré mais reste sous contrôle judiciaire.
Des scènes de guérilla ont éclaté mercredi 17 août au matin devant le tribunal de la commune IV de Bamako. Supporteurs de Ras Bath manifestant aux cris de « IBK, fali » (l’âne), pick-up de policiers brûlés, voitures endommagés dont celle de l’un des avocats du prévenu, tirs de sommation, morts et blessés.Selon nos informations, les manifestants ont exigé, au nom de la liberté d’expression, la libération de leur idole qui n’a finalement pu comparaître. Ce qui, au départ, n’était qu’une mouche est devenu un éléphant.
Chroniques au vitriol
C’est le moins que l’on puisse dire à propos de cette affaire Ras Bath du nom de l’animateur de l’émission de radio « Cartes sur table » qui, quoi qu’on dise, jouit d’une audience considerable.
L’animateur vedette a été arrêté après que le Procureur du Tribunal de la commune IV a initié contre lui une action publique pour «atteinte aux mœurs et injures publiques à caractère sexuel, outrage à l’endroit des cadres de l’Etat ; de heurter la conscience nationale, de démoraliser les troupes, d’atteinte à la morale». Dans son émission Ras Bath attaque au vitriol hommes politiques, ministres et militaires.
Sa comparution, prévue pour mercredi, n’a plus eu lieu à cause de la mobilisation forte de ses supporteurs qui a viré à une confrontation avec la police.
Les reproches faits à l’animateur rappelle l’épisode de ses clashes par radios interposées avec le prêcheur Bandiougou Doumbia dont on se demande toujours s’il n’a pas à être interpellé lui aussi. Pour mémoire, en plein mois de Ramadan dernier, Ras Bath s’en était pris aux prêcheurs qui profitent des temps d’antenne sur les radios pour s’en donner à cœur joie dans la publicité des médicaments, liquides magiques et autres services qu’ils offrent.
L’animateur avait cité nommément Bandiougou Doumbia, dont la riposte ne s’est d’ailleurs pas fait attendre. Une affaire qui, on s’en souvient, avait migré dans les rues où s’affrontaient les soutiens des deux hommes.
Le plus saisissant dans l’affaire, c’est que Ras Bath et Bandiougou sont, comme disent les Algériens, « Hadj Moussa et Moussa Hadj », c’est-à-dire kifkif.
« Sniper verbal »
El Hadj Bandiougou Doumbia, prêcheur populiste, est le chef de l’association islamique Nourredine. En 2009, dans la mosquée de Dravela, un quartier de Bamako, ses prêches enflammées, teintés d’insultes à l’encontre du président d’alors, Amadou Toumani, du Premier ministre Modibo Sidibé et du président de l’Assemblée nationale, Dioncounda Traoré, lui ont valu d’avoir maille à partir avec la Sécurité d’Etat. A l’époque, il était le Secrétaire aux affaires religieuses de l’Union des jeunes musulmans du Mali (UJMA), en pleine contestation du Code de la famille sur lequel le gouvernement a été obligé de reculer devant l’implacable rouleau compresseur déployé par le Haut Conseil Islamique (HCI) dirigé par Mahmoud Dicko, imam sunnite wahhabite.
Bandiougou Doumbia s’en était pris de façon frontale au Président ATT, et a d’autres personnalités comme le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, à l’époque Maharafa Traoré. Les cassettes audio, dans lesquelles était contenu le brulot, avaient circulé au-delà de toute attente sur le marché des villages les plus reculés, au grand marché de Bamako, à Sikasso, Ségou, etc…
Ce passé de « sniper verbal » suit le prêcheur partout où il va, ce qui explique d’ailleurs pourquoi ses polémiques avec Ras Bath n’ontrien de surprenant : il en est coutumier. Il demeure évident que cela est de nature à apporter de l’eau au moulin des avocats de Ras Bath qui ont estimé que dans l’affaire il est question de « mœurs, suite à la polémique qu’il y a eu entre Ras Bath et Bandiougou Doumbia ». Et que leur client ne peut être interpellé sans son contradicteur. Preuve que le ciel s’assombrit pour Bandiougou aussi.
L’arbre qui cache la forêt
Le jeudi 18 août, vers 23 heures, Mohamed Youssouf Bathily est libéré après avoir passé 48 heures en garde à vue. Selon l’un de ses avocats, Me Siriki Zana Koné, comme tout prévenu, son client devait être soit envoyé en prison comme détenu en attendant son jugement, soit libéré sous contrôle judiciaire. En attendant, les enquêtes sont entre les mains d’un juge d’instruction. Cette libération va-t-elle changer quelque chose ?
Le mal est déjà fait : il y a eu des morts, Ras Bath s’est découvert un héros pour un peuple qui voit en lui le « seul diseur de vérité » dans un pays où ceux qui ont les leviers du pouvoir ont pris le pli de parler le langage du mensonge. Les manifestants ont certes exigé la libération du chroniqueur, mais ont aussi tenu à exprimer leur exaspération vis-à-vis d’un pouvoir qui, à leurs yeux, est en train de « non-gérer » le pays.
Rien ne le montre plus que les cris les appels à démission du Président IBK qui fusaient de partout. D’autant que tout cela intervient dans un contexte marqué par la persistance du phénomène terroriste au nord du pays, où les militaires maliens continuent de mourir. Autant de facteurs qui cristallisent les mécontentements.