Photos, le monde sensuel d’un salon de coiffure au Sénégal

La photographe Katarina Radovic a plongé dans la vie d’un salon de coiffure de Saint-Louis – un monde féminin, intime et cancanier dont on trouve les photos au musée d’art africain de Belgrade. Voici son témoignage

« Le vers célèbre de Saint-Jean Perse, “Quand vous aurez fini de me coiffer, j’aurai fini de vous haïr” (Eloges XVII), est probablement la meilleure illustration de ce que ressentent toutes les filles noires envers leurs mères, leurs sœurs aînées, leurs cousines et leurs coiffeuses pendant les longues heures du rite de la coiffure: un moment dramatique dans la vie quotidienne de toute africaine.

Ce projet photographique a été réalisé pendant mon séjour comme artiste résidente au Centre d’Art et Dessin WAAW, dans l’ancienne ville coloniale de Saint-Louis du Sénégal. Cette histoire s’est déroulée chez une des coiffeuses les plus fréquentées de Saint-Louis, Madame Marième Soda Diop. Voici un éventail entier des coiffures féminines, de la plus ordinaire jusqu’à la plus flamboyante, selon l’occasion. Chacune de ces coiffures demandait une somme considérable de temps et de patience, mais aussi, sans doute, une certaine dose de douleur, voire d’agonie.

Les cheveux ont toujours eu une signification spéciale dans la majorité des cultures africaines, surtout comme medium de pouvoir et de communication au sein des sociétés traditionnelles. De ce fait, mon attention n’était pas principalement focalisée sur le produit fini, c’est-à-dire sur la coiffure elle-même. J’ai essayé d’enregistrer la beauté du procédé de création et de mise en pli – l’interaction indéniable entre la satisfaction, la douleur et l’ensemble des émotions investies dans ce ‘sacrifice’ – dans un but élevé dont la portée à la fois initiatique et symbolique permet l’identification à un groupe ethnique, une classe d’âge, un statut social, économique et religieux. J’ai essayé de déchiffrer, avec un matériau de première main, à quel point la fierté et la gloire ont leur prix, et par quels entrelacs complexes, le désir et l’ambition, le frisson et la douleur sont directement liés à la coiffure. À l’issue de cette expérience, je crois profondément qu’il y a un lien indicible entre les coiffeuses et leurs clientes qui prend le pas sur le produit fini, un labyrinthe de sentiments partagés entre tendresse, douleur, séduction, confiance, rivalité, amour et haine; et que ce rituel représente, dans un certain sens, un modèle des relations sado-masochistes.

Au Sénégal, la beauté – le soin particulier que l’on prend de soi surtout lorqu’il s’agit des femmes – est centrale. J’ai voulu documenter sous l’éclairage de la photographie les états qui ponctuent l’avant’ et l’après’ de ce rituel d’embellissement – moments qui évoquent chaque fois le sentiment qu’il y a un objectif précis (au-delà de l’implication symbolique et culturelle) dans le procédé de transformation des cheveux et ainsi, de la tête entière: le désir d’être aimée et admirée. C’est à l’observateur d’imaginer l’occasion pour laquelle chacune de ces femmes est en train de se préparer, et ce que chacune est en train de ressentir.

Ce qui m’a enchanté peut-être le plus, c’était que dans ce petit salon de coiffure de Saint-Louis du Sénégal, le désir, l’amour de la beauté et le besoin d’être aimée et admirée se sont avérés plus forts que la douleur!

 

Photographies et texte de Katarina Radovic, pour son exposition “Quand vous aurez fini de me coiffer…”, organisé par Ivana Vojt au Musée d’Art Africain de Belgrade, Serbie, Juin-Novembre 2016, et pour l’exposition au Musée Nationale de Kragujevac Juillet-Septembre 2017, dans le contexte du projet transculturel, “Espaces des Femmes

The photographs are in the collection of the Museum of African Art in Belgrade.

Katarina Radovic rckatarina@gmail.com