Les eaux troubles des « pools » internationaux de journalistes

Le 18 juillet 2021, dix-sept journaux dénoncent simultanément le logiciel espion israélien Pegasus. Toute la presse internationale suit. Sans même se demander pourquoi ce scandale éclate à ce moment précis et pourquoi le Maroc est spécialement visé.

Alain Jourdan, auteur de « L’affaire Pegasus » revient utilement sur les ambiguités de ces « lanceurs d’alerte » d’un genre nouveau qui reproduisent des informations qu’ils n’ont pas trouvé eux mêmes: et qu’on leur livre toutes faites, sans aucune interrogation sur les origines de ces coups médiatiques« Les associations internationales de journalistes cachent souvent d’autres objectifs » 

Par Ian Hamel, à Genève

« L’affaire Pegasus. Les dessous d’une guerre de l’information » est la première attaque frontale contre les puissants consortiums internationaux de journalistes (*). En possession de milliers de documents, qui leurs arrivent par des voies inconnues, ces consortiums dénoncent régulièrement de vrais scandales, « Wikileaks », « Offshore Leaks », « Pandora Papers ». Ou encore « Panama Papers ».

Des accusations sélectives

Ces dernières révélations ont porté un coup sérieux à ce paradis fiscal d’Amérique centrale, mais elles n’ont guère égratigné ses concurrents, les îles anglo-normandes, Monaco, Hong-Kong ou Singapour. Sans oublier l’État du Delaware aux États-Unis, dont Joe Biden a été le sénateur. Alain Jourdan, ancien journaliste de La Tribune de Genève, à la tête aujourd’hui de l’Observatoire géostratégique de Genève, enfonce encore davantage le couteau dans la plaie : et si derrière ces campagnes apparemment fort vertueuses ne se dissimulaient-ils pas des opérations nettement moins louables ?     

 Ian Hamel

 

Alain JOURDAN

Mondafrique Lorsque l’affaire Pegasus éclate, on parle de 50 000 téléphones qui auraient été écoutés, appartenant à des chefs d’État – notamment à Emmanuel Macron – à des opposants politiques, à des journalistes, à des chefs d’entreprises. En fait, le consortium de journalistes n’en auraient finalement identifié que 1 000. Ce n’est pas du tout la même échelle.   

Alain Jourdan  Et encore, ce chiffre de 1 000 reste très exagéré. En définitive, il n’y aurait peut-être qu’une trentaine de téléphones infectés… Les rares spécialistes qui ont mené des contre-enquêtes se demandent comment cette liste a été compilée et par qui. Pour commencer, il n’a jamais été prouvé qu’Emmanuel Macron ait pu être espionné. Runia Sandwik, ancienne responsable de la sécurité informatique du New York Times constate que « personne ne sait donc, jusqu’à présent, d’où vient la liste par laquelle le scandale Pegasus Project a été fabriqué de toutes pièces pour s’attaquer au Maroc, en particulier ».

Vous dénoncez même des erreurs grossières…

Le Washington Post et Le Guardian constatent que des numéros de téléphone fixe sont cités par le consortium de journalistes, or Pegasus n’a vocation qu’à cibler des téléphones portables. Autre erreur aussi ridicule concernant les téléphones américains. C’était tout simplement impossible de les écouter : les États-Unis avaient imposé à la société israélienne NSO Group de programmer Pegasus de manière qu’il soit incapable de cibler les numéros américains.

Comment expliquez-vous que la presse reprennent ces informations sans les vérifier ?  

En raison de la situation économique, les journaux n’ont plus les moyens de financer des cellules d’enquêtes. C’est devenu bien pratique (et très peu onéreux) de reprendre clé en main des sujets qu’ils n’ont pas traité. Comme le grand public n’y prête pas attention, ils laissent croire que ce sont leurs propres informations. Les publications sont réduites à n’être plus que des agents traitants. Elles ne choisissent plus leurs sujets et acceptent de ne plus avoir la capacité de vérifier leurs informations. Les journalistes sont les premières victimes de cette situation, je ne leur jette surtout pas la pierre.  

Alain Juillet, ancien directeur du renseignement au sein de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), qui préface votre livre, va plus loin en écrivant : « le message apparent cachait l’objectif réel ». Derrière la mise en cause de Pegasus, c’est surtout le Maroc qui est visé.    

D’abord, il faut rappeler que le logiciel Pegasus de NSO n’est pas unique en son genre. Il existe Candiru, Reign, Predator. Il y a une bonne dizaine de logiciels qui sortent du lot, par leur grande efficacité et surtout par la confidentialité qu’ils permettent à leur utilisateur. Pourquoi l’opération ne s’est-elle focalisée que sur Pegasus ? Ces révélations n’avaient-elles pas aussi pour objectif d’empêcher le rachat de NSO, d’en faire chuter sa valeur ? Malheureusement, les journaux non seulement n’enquêtent plus, mais et ils croient dur comme fer à la grandeur d’âme des lanceurs d’alerte. 

Et là, vous ciblez Forbidden Stories (une plateforme de journalistes créée en 2017) et Amnesty International, qui, selon vous, s’en prennent principalement au Maroc.

De nombreux pays sont eu recours aux services de  l’entreprise israélienne, de l’Azerbaïdjan, au Mexique, en passant par la Hongrie et l’Inde. 14 des 27 pays membres de l’UE ont travaillé avec NSO, Pourquoi vise-t-on principalement le Maroc ? S’il l’on en croit l’affaire Pegasus, le royaume serait le plus boulimique, avec pas moins de 10 000 téléphones écoutés ! Même en s’appuyant sur l’intelligence artificielle, cela demanderait un travail phénoménal. Il faut pratiquement mettre quatre fonctionnaires par téléphone piraté ! Or, il n’existe aucune preuve que le Maroc ait fait appel à NSO.  

« Je ne dis pas que le Maroc ne surveille pas ses opposants. Bien évidemment qu’il le fait ».  Alain Jourdan

 

Vous ne craignez pas d’apparaître comme une ardent défenseur de Rabat ?

Je ne dis pas que le Maroc ne surveille pas ses opposants. Bien évidemment qu’il le fait, comme beaucoup d’autres pays. J’ai des contacts dans ce pays, j’ai pu me rendre compte sur place de l’efficacités de leurs services secrets. Savez-vous qu’ils avaient un informateur au sein de la garde rapprochée d’Oussama Ben Laden au Pakistan ?

Dans ce dossier, je ne défends pas le Maroc. Je ne suis pas non plus un adversaire de l’Algérie. Je constate simplement que derrière toute cette opération, il se cache plusieurs entités qui cherchent à déstabiliser le Maroc, en enveniment ses relations avec la France, en remettant en cause sa présence dans l’ancien Sahara espagnol, en s’opposant aux accords d’Abraham et aux relations diplomatiques entre le Maroc et Israël. Je ne fais que mettre l’accent sur le rôle trouble de certaines ONG qui, loin d’être indépendantes, sont, en fait, des soldats d’une guerre économique mondiale.

  •  Le Cherche midi, 188 pages, mars 2023.

Les Américains à l’origine des révélations contre le logiciel Pegasus