La manifestation, baptisée « 154 », réunit, jusqu’au 23 janvier,
vingt galeries, dont certaines venues de Luanda, de Dakar ou du Cap, annonce l’excellent Philippe Dagen dans la revue « Art »
Une foire comme autre fois, avec de vraies œuvres sur des murs ou des socles et des êtres humains qui se parlent sans écrans interposés : on en a presque perdu l’habi tude. Naturellement, il y a les masques, le gel, la jauge qui limite à 50 les entrées et l’obligation de réserver son heure de visite, mais l’édition parisienne de la Foire d’art contemporain africain 154 se tient néanmoins dans les locaux parisiens de Christie’s. Elle aurait dû avoir lieu à Marrakech (Maroc), mais la pandémie s’y est opposée et la solution parisienne a été adoptée, pour la première fois dans l’histoire de la foire. Créée en 2013 à Londres par Touria El Glaoui, celle ci préférait jusqu’à présent la capitale britannique,
Un seul artiste par galerie
La manifestation réunit 20 exposants : des galeries africaines venues de Luanda, Lagos, Dakar ou Le Cap et des européennes, dont plusieurs internationales. Chacune dispose d’un espace assez réduit, ce qui en a convaincu plusieurs de ne montrer qu’un seul artiste.
Nathalie Obadia a choisi Nu Barreto : un ensemble de ses travaux sur papier, qui associent collages et figures humaines crayonnées souvent en rouge, puissamment expressives, et l’une de ses variations sur l’idée du drapeau des EtatsUnis africanisé en rouge, jaune et vert.
La galerie Lelong & Co. présente un en semble d’aquarelles, de collages rehaussés de dessins et d’estam pes de Barthélémy Toguo, dont une série de « portraits » sur cartes postales de l’époque coloniale, à regarder de près pour en percevoir l’ironie.
Chroniques ivoiriennes
La Gallery 1957 offre l’occasion de mieux voir les œuvres tissées, perlées et cousues de Joana Chamouli qui composent une chronique de la vie quo tidienne à Abidjan, sans la moin dre concession à quelque forme que ce soit de pittoresque ou d’exotisme.
This Is Not a White Cube, galerie implantée à Luanda et à Lisbonne, permet au peintre angolais Cristiano Mangovo de développer largement sa pein ture, qu’il n’est guère aisé de défi nir : tantôt des portraits mas culins d’une brutalité de touche appuyée, tantôt de vastes paysa ges oniriques où l’œil se perd dans les entrelacs de couleurs, et, dans l’un et l’autre cas, une fluidité ges tuelle remarquable.
Fragments de mémoire
A la cohérence et la concentration, les autres stands préfèrent les plaisirs de la diversité et des découvertes. Anne de Villepoix propose celle de Noel Anderson, artiste africain-américain qui convertit des images d’actualité – particulièrement celles de Black Lives Matter – en tapisseries de visages et de corps qui semblent en voie de dissolution.
A l’enseigne de 31 Project, Kelani Abass présente des constructions d’images photographiques, de peintures et de tampons où se concentrent des fragments de l’histoire du Nigeria, son pays natal. Il faut s’y arrêter le temps nécessaire pour apprécier la densité de ces fragments de mémoire. Présentée par la Galerie 127, Fatima Mazmouz mérite la même attention, qu’elle capte en attirant le regard par ses jeux sur l’histoire de la représentation du corps féminin.
Masques en bidons découpés
On ne saurait tenir Romuald Hazoumé, Pascale Marthine Tayou, Chéri Samba ou Amadou Sanogo pour des découvertes. Ce sont des artistes largement exposés depuis longtemps un peu partout. Il n’en est pas moins intéressant de voir chez André Magnin et à la Galleria Continua leurs plus récentes créations, masques en bidons découpés particulière ment expressifs d’Hazoumé ou variations sur l’art africain ancien – masques et statues – de Tayou qui assemble sculptures de verre, pastiches des arts anciens et objets trouvés de toutes sortes.
De ce niveau de reconnaissance internationale, deux artistes plus jeunes sont de plus en plus proches. L’un est Roméo Mivekannin, dont les dessins sur toiles libres, les uns d’après des chefs d’œuvre de la peinture européenne, les autres d’après des photographies de la période coloniale, sont accrochés chez Cécile Fakhoury et chez Eric Dupont. Mivekannin est aussi l’auteur de l’œuvre la plus vaste de la foire, une reprise du Radeau de « La Méduse », de Géricault, dans laquelle tous les naufragés ont son propre visage.
L’autre artiste est Emo de Medeiros, défendu par la galerie londonienne 50 Gol borne et la parisienne Dominique Fiat. Ses Cymbalics développent la forme du masque dans des archi tectures de disques d’étain et ses Electrofétiches précipitent la statuaire religieuse ancienne dans le monde actuel, celui du numérique et des réseaux.
Philippe Dagen
154, Christie’s, 9, avenue Matignon, Paris 8e. Jusqu’au
23 janvier, de 10 heures à 17 heures.