Carnet de route (1/8), Alger, une ville qui se mérite

Alger demeure la princesse éternelle du Grand Maghreb. Une princesse berbéro-barbaresque qui refuse les liftings, contrairement aux putes orientales qui se donnent au premier touriste low cost venu

Ah Alger, comment elle était belle et comme elle est devenue… On connaît la rengaine, elle se transmet de génération en génération, de guerre en guerre: Alger n’est plus ce qu’elle était, Ya Hasrah comme disent ses habitants qui cultivent l’art presque inné de la nostalgie, car c’est bien connu les Algérois ne sont pas les derniers à déplorer l’état de délabrement de leur ville et à pleurer son âge d’or sans cesse réinventé…

Aux étrangers égarés ou aux hommes d’affaires appâtés par l’odeur des hydrocarbures, Alger souhaite la bienvenue à sa manière. La plus modeste chambre du dernier des ses hôtels miteux coute au moins le prix d’une suite trois Etoiles à Agadir. C’est comme ça! Les Garçons de café font la gueule, partout le service, c’est un peu à la tête du client et beaucoup selon l’humeur du moment. Pour les taxis, l’administration, les hôpitaux c’est kif kif bourricot. «Normal» rétorquent les autochtones quand un étranger s’avise à faire des remarques déplacées. Oui, tout le monde trouve sa place dans ce grand souk de fous, et tout est normal. Ne dit-on pas qu’Alger est une ville qui se mérite?

Je m’appelle donc Mezghana en berbère; Al-Jazaïr, les îlots en arabe; Alger en français et c’est vrai que je me laisse aller comme dans la chanson de Charles Aznavour le crooner bien aimé des algérois qui continuent à penser, à rêver et à parler en français.

Corsaires et déchets

De l’époque des Frères corsaires Barberousse à celle des Frères Dark-Vador Bouteflika, au fond je suis resté la même: un beau repère des flibustiers et des brigands de tous poils, une ville qui se prend facilement mais qui n’abdique jamais. Je suis la demi-clocharde mi-rêve mi-cauchemar, épicentre des séismes en tous genres, terre tremblante de tous les impossibles, les nuits les plus glauques du monde se confondant avec les plus beaux levers du jour de l’univers.D’après ce qu’on dit ici et là, j’ai une bonne réputation. Je suis  la ville punk par excellence, un rêve pour les Mad Max du 21ème siècle. Personne ne me conteste le record absolu du désordre urbain par exemple.

(www. tsa-algerie.com/2014/08/20/les-raisons-du-desordre-urbain-en-algerie/)

Selon le célèbre magazine «The Economist», je suis classée parmi les 5 villes les moins vivables de la planète… Moi je demande à voir, quelles sont ces villes qui prétendent être plus infernales que moi? Lagos (Nigeria), Karachi (Pakistan) ou Dhaka (Bangladesh)? Je parie que dans quelques années je vais les surpasser…  Je peux faire mieux, avec mes tonnes de déchets qui jonchent les trottoirs, les marchés informels qu’aucune police n’arrive à  contrôler,  et l’enfer des transports publics dans des routes cabossées où les feux ne servent qu’à faire joli quand ils fonctionnent … Pour l’incivisme, je crois que ça va, personne ne peut prétendre arriver à ma cheville.

Un port sans accès à la mer

Aussi décatie que la Havane, je la joue austère comme dans une banlieue de Djeddah. Je suis la bâtarde de l’Occident arrogant et de l’Orient décadent. Je fais la misère aux réalisateurs de cinéma attirés par mes décors improbables et je ne leur facilite jamais la vie.L’enfant de Notre Dame d’Afrique, Merzak Allouache qui ne cesse de me filmer, de «Omar Gatlato» (1977) à son dernier opus «Les Terrasses», dit que je ne suis pas une ville mais «une fournaise». Si ce n’est pas un compliment, je ne sais pas ce que c’est.

Je suis la seule ville côtière où l’accès à la mer est quasi impossible, «Dans ma ville la mer n’est qu’un poster, on la voit de partout, mais elle nous tourne le dos» comme le résume si bien la plasticienne de Bologhine Amina Ménia. Comme dans un film, le bonheur n’est qu’un leurre.

J’attire à leurs risques et périls les poètes maudits, les dandy pervers et les aventuriers de mauvaise foi. À cet effet on a beaucoup écrit sur moi, le livre d’Alger comporte que des signatures prestigieuses: Camus, Gide, Montherland, Fromentin, Daudet, Maupassant… Je ne compte pas les peintres, de Dinet à Delacroix, qui venaient chercher les éclats étincelants de mes lumières particulières, à ceux-là aussi je leur au réservé les plus mauvais tours du Mektoub, le destin d’Alger.

Dans le dernier livre qui m’est consacré, «Alger, le cri» aux éditions Barzach, l’auteur Samir Toumi, un des descendants du prince fondateur de la ville Salim El-Toumi- celui qui au 16ème siècle fit appel aux frères corsaires Barberousse pour libérer Alger des Espagnols- me traite comme j’aime et je me retrouve dans son soliloque désespéré  « Le coeur se serre encore, je la sens en moi, elle est là, je la respire, j’allume une cigarette. Les voitures roulent à toute vitesse, les immeubles et les paraboles défilent, la ville ne se dévoile pas, elle fait sa timide, cachée dans la brume polluée. Je sens son odeur, je la sens respirer, je la déteste, elle me déteste, je l’aime, je la déteste encore plus, je me déteste, le coeur se serre. Sur la Route Moutonnière, des solitudes en silhouettes errent sur la promenade des sabelettes, un véhicule comme accablé, est échoué sur la bande d’arrêt d’urgence. La brume se dissipe peu à peu et dévoile la colline, face à moi. Salope de ville, je t’aime! Chienne de ville, Khamdja!»

Une ville sale et salope

Khamdja, qui veut dire tout à la fois sale et salope. Khamdja, mon titre de noblesse. Oser me comparer à Brigitte Bardot, quel mauvais goût, encore quelqu’un qui est resté scotché à mon passé français, je suis mieux que ça voyons! Quitte à être réduite à une star de cinéma, je préfère Bette Davis dans «L’Argent de la vieille», car je suis misérable mais riche, une des villes les plus riches de la rive sud. Ou alors à Gloria Swanson dans «Sunset Boulevard», car dans ma belle déchéance on ne peut ne pas voir ma beauté intérieure -ou refoulée, comme vous voulez.

Un de mes lieux porte un nom qui me va à ravir: le Ravin de la Femme Sauvage. Qui veut venir défier chez elle la Femme Sauvage? Oh, ne ricanez pas, il y a encore quelques bonnes raisons de venir tel un Ulysse des temps modernes visiter Alger la noire, la ville la plus inhospitalière du monde, mais aussi la plus étrange, la plus envoûtante des cités de la Méditerranée.

Voici dix raisons d’être déraisonnable, de céder au le plus beau chant des sirènes et de s’échouer dans la ville qui ne ressemble à aucune autre…

1- Flâner au Jardin D’Essai. Créé dès le début de la colonisation française,  ce grand parc botanique est un des plus beau du monde. Il s’étend sur une superficie de 32 hectares, et tous les amoureux d’Alger peuvent y trouver un peu de quiétude si rare dans cette ville.

2- Se perdre à l’Aéro-Habitat. Un des plus beau immeuble français d’Alger, construit  dans l’esprit corbusien par Louis Miquel et José Ferrer-Laloë entre 1952 et 1955,  composé de quatre immeubles liant le quartier Télemly du centre-ville .La position en éperon des deux plus grands bâtiments permet une double exposition des logements en duplex, ce qui leur offre une vue sur l’étendue du paysage algérois et sur la baie d’Alger. Une rue intérieure dévolue au commerce est savamment aménagée en fonction de la déclivité du terrain.

3- Chercher la spiritualité au Mausolée de Sidi-Abderahmane. En pleine ville «arabe», entre la Casbah et Bab El Oued, le petit mausolée du Saint patron d’Alger, Sidi Abderhamane, un havre de paix dans le vacarme de la ville.

4- Comprendre le chant du Meknine à Bab-el-Oued. Ni chat, ni chien, les Algérois n’aiment que les oiseaux chanteurs, et le plus vénéré d’entre eux est le chardonneret. Au coeur du Marché de Bab-el-Oued, le marché des «Meknines» est une place stratégique où se racontent mille et une légendes sur ce petit oiseau chanteur.

5- Voir changer les couleurs du ciel à partir du balcon Saint Raphaël. Un petit parc avec vue sur la baie d’Alger, on peut s’y faire dépouiller les jours de pas de chance, certes, mais il y a des jours où l’on peut juste contempler les couleurs magnifiques du ciel d’Alger (d’octobre à avril, c’est la bonne saison)

6- Rejouer Pépé le Moko à la Casbah d’Alger. Vous avez aimé Jean Gabin dans le film de Julien Duvivier, voyou au grand coeur recherché par la police, planqué dans la vieille médina? Vous pouvez rejouer le film dans ce repère de tous les interlopes de la ville cosmopolite. Ne craignez pas d’être déçus, la Casbah tombe en ruine, mais ses bandits sont toujours à l’affut…

7- Découvrir les trésors cachés du Musée National des Beaux- Arts. Avec ses 8 000 œuvres, c’est le plus grand musée d’art du Maghreb et du continent africain. Inauguré en 1932 pour le centenaire de la colonisation française, il s’ouvre avant la fin de la colonisation aux peintres algériens.

8- Déguster les petites sardines à Chéraga. C’était jadis le premier village à la sortie d’Alger, aujourd’hui c’est un quartier de la grande ville qui ne cesse de s’étendre. Dans la place de l’ancien village, «Le Roi de la sardine» mérite amplement son titre. Pas d’alcool, mais que du bon poisson frais et des sardines cuisinées de différentes manières, à la pied-noir, à la kabyle, à l’algéroise… Quel régal! Ne faites pas circuler trop cette adresse, c’est tellement dur de trouver une bonne gargote à Alger…

9- Faire la petite ballade de Télémly. Un chemin ombragé, long et sinueux qui permet de quitter le centre ville pour aller sur les hauteurs de la ville. Quand les automobilistes se calment un peu, on peut flâner dans ce chemin serpentant et pittoresque et admirer entre deux beaux immeubles la magnifique baie. Anciennement appelé le chemin des Aqueducs car il suivait en partie le tracé des conduites turques restaurées et améliorées, et qui servaient à l’adduction des eaux pour la Casbah. Télemly viendrait du berbère  thala oumlil signifiant la source blanche

10- Tomber amoureux comme les amants de Notre Dame D’Afrique. La basilique  d’Alger surplombe la ville car est a été construite sur un promontoire dominant la mer de 124 m. Accessible par un taxi ou téléphérique depuis le quartier de Bologhine (ex-Saint Eugène), elle offre aux algérois une des plus belles esplanades de la ville. Les enfants viennent y jouer au foot, les vieux tuent le temps pour qu’il ne les tue pas et les amoureux qui se retrouvent ici n’ont jamais été si proches du ciel.

PAR YASMINE BARAKAT

1 COMMENTAIRE

  1. Alger a traversé plusieurs époques et a connu plusieurs courants culturels : les orientalistes, les artistes, les écrivains et bien d’autres traversaient la Méditerranée pour profiter de la blancheur de la ville, de la générosité de ses résidents et pour le vivre ensemble (pieds noirs, juifs, espagnols, portugais, français, arabes, berbères, mozabites…)
    La cuisine algérienne est une somme de recettes judéo-chrétienne-arabe, espagnole, italienne, tunisienne, marocaine…) et la musique n’a pas non plus échappé à toutes ces influences et mélanges.
    Roger Hanin, Maskoud, Maupassant et bien d’autres étaient amoureux de cette ville, donc, c’est une ville attachante et demeure mystérieuse…

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