Le tourisme en Côte d’Ivoire (2/4): Abidjan, la magnifique vitrine

Sur un ton à la fois provocateur et détaché, Venance Konan, journaliste et écrivain, lauréat du Grand prix littéraire d’Afrique noire 2012, revient dans cette nouvelle chronique sur les métamorphose d’Abidjan, cette ville qui est la sienne et qui est en train de devenir une des grandes capitales africaines où affluent chaque années des touristes de plus en plus nombreux

Nous étions en 1987 et je commençais ma carrière de journaliste dans un journal qui venait de naître et qui s’appelait « Ivoir’soir ». Une année plus tôt Kéké Kassiry avait sorti sa chanson « Abidjan », qui faisait danser tout Abidjan, toute la Côte d’Ivoire, et toute l’Afrique sur les rythmes du « gnama gnama », ou la danse des loubards.

« Abidjan é

Oh oh, Abidjan hé !

Y a des sapés

A Abidjan é

Y a des branchés

A Abidjan é

Y a des griffés

A Abidjan é

Y a la vie à Abidjan

Y a la joie à Abidjan y a la fête à Abidjan é »

Oui, à cette époque c’était tous les soirs la fête à Abidjan, la ville la plus branchée et la plus bouillonnante d’Afrique francophone et même au-delà. Abidjan était en pleine croissance. De nouveaux quartiers sortaient de terre à grande vitesse. Adjin, Angré, Attoban, partout, il y avait des promotions immobilières pour toutes les bourses.

« Le Plateau », le Manhattam africain

Le quartier du Plateau, en plein cœur de la ville, avec ses gratte-ciels, cultivait nonchalamment son côté Manhattan d’Afrique. Au temps colonial c’était le quartier des Européens. Les Africains eux, habitaient Treichville, de l’autre côté de la lagune, et Adjamé, dans le prolongement du Plateau. Plus tard, Cocody, à l’est du Plateau devint le quartier des « en haut d’en haut », c’est-à-dire la nouvelle bourgeoisie ivoirienne. Et puis il y eut les cités dortoirs de Yopougon (qui faisait un peu penser à Soweto en Afrique du sud), d’Abobo, de Port-Bouet, d’Attécoubé…

Côté ambiance, Abidjan s’amusait. Il y avait des maquis, des clubs de jazz, des boîtes de nuit, des dancings partout, des concerts tous les week-ends, et de galeries d’art dans les quartiers chics. Abidjan dansait sur la musique de Kéké Kassiry. Et aussi, sur le Zouk venu des Antilles, sur le Soukouss de ce pays qui s’appelait encore le Zaïre, sur le reggae d’Alpha Blondy. Les clubs de jazz, c’était du côté de Marcory et de Cocody, et les dancings, dans les gros quartiers populaires tels que Yopougon ou Abobo. A Treichville, c’était plutôt les boites de nuit, dont le Griffet, celle du célèbre animateur télé Roger Fulgence Kassy qui décédera en 1989. Abidjan était toujours en fête, Abidjan était une fête. Les artistes peintres avaient inventé le Vohou Vohou, ou l’art de faire de la peinture avec tout et n’importe quoi. Tous les artistes africains qui voulaient se faire un nom passaient nécessairement par Abidjan. Même le grand Kassav ne se fit connaître en Afrique qu’après s’être produit à Abidjan.

Le départ du « Vieux »

Le président Houphouet Boigny, dit le Vieux »

Abidjan ne le savait pas encore, mais elle vivait ses derniers jours de joie et de tranquillité avant très longtemps. En 1990, la crise qui couvait éclata. Les jeunes voulaient tout : le départ du « Vieux », le Président Félix Houphouët-Boigny, au pouvoir depuis trente ans, la démocratie, de bonnes conditions d’études, du travail, tout. Chaque jour c’étaient des manifestations, des grèves, des bus incendiés, des bombes lacrymogènes, des arrestations, parfois des morts. Le cœur n’était plus à la fête. Non, il n’y avait plus de joie à Abidjan. Mais les étudiants trouvèrent l’inspiration pour inventer un nouveau genre musical, le Zouglou, qui chantait leurs misères et celles de leur société.

Le « Vieux » meurt en 1993. Henri Konan Bédié, son dauphin, lui succède. La situation politico-sociale ne s’améliore pas. Le pays se divise de plus en plus. Chacun se replie sur lui, sur sa région, sur son ethnie, et les soirs, l’on sort de moins en moins de son quartier. Les galeries se ferment les unes après les autres. Les clubs de jazz et les dancings aussi. Ça ne sent pas bon.

L’hôtes Ivoire depuis la baie d’Abidjan

En 1999, à la veille de passer au nouveau millénaire, survient l’impensable dans ce pays connu pour sa stabilité dans cette Afrique si instable : un coup d’Etat. Suivi par une transition militaire violente. Et des élections tout aussi violentes dix mois plus tard. Et deux ans plus tard, arrive une rébellion armée qui coupe le pays en deux.

Le pays s’enfonce dans le chaos. Un chaos qui durera huit longues années. Il y a un nord occupé par la rébellion, et un sud dit « loyaliste ». Les populations venues à Abidjan des zones occupées par la rébellion s’installent où elles peuvent, n’importe où, créent des bidonvilles qui poussent comme des champignons. L’hôtel Ivoire, l’hôtel de luxe par excellence où toute personne qui se respecte doit avoir passé au moins une nuit, est occupée par les « jeunes patriotes », soutiens indéfectibles du régime d’Abidjan. Il sera plus tard le théâtre de meurtriers affrontements entre ces « jeunes patriotes » et l’armée française.

Au rythme du « Coupé Décalé »

« Rue Princesse », une histoire de la nuit

Et curieusement, c’est à cette époque que les Ivoiriens inventent une musique qui envahira toute l’Afrique. Le « Coupé Décalé ». On l’écoute et la danse dans les super-maquis et les bars climatisés. Yopougon est le temple du Coupé Décalé. On s’encanaille aussi dans les bars de la Zone 4, un sous-quartier de Marcory. Les filles s’y exhibent complètement nues. Progressivement, c’est toute la ville qui se pervertit.

A Yopougon il y a la fameuse « rue princesse », bordée de dizaines de maquis les uns plus bruyants que les autres. Là-bas aussi la chair de jeune fille se monnaye pour pas grand’chose, une bouteille de bière, ou juste de quoi manger, et se consomme sur un parking, ou parfois dans la rue, sans souci de discrétion. Tout juste à côté, dans une rue adjacente, c’est la chair de très jeunes enfants, parfois de douze ans qui se monnaie. Abidjan devient glauque. Et triste.

En 2011, le pouvoir est renversé après des élections aux résultats très contestés et une guerre éclair. En avril, lorsque les combats cessèrent, il y avait des cadavres et des monceaux d’ordures dans toutes les rues. Il fallut nettoyer, curer, nettoyer, curer. Puis réparer, reconstruire, construire. Et Abidjan se mit à changer. Quelques semaines après la fin des hostilités, personne n’aurait pu dire que la ville fut l’objet de violents et meurtriers combats.

Abidjan renait de ses cendres

Quelque quinze ans après, Abidjan est aujourd’hui méconnaissable. Ont surgi de partout de nouvelles routes, de nouveaux échangeurs, trois nouveaux ponts, là où en 50 ans on ne put en construire que deux, de nouveaux quartiers, de nouveaux gratte-ciels…Abidjan vit à nouveau. Abidjan respire mieux. La forêt du Banco, la plus grande forêt primaire d’Afrique située en pleine ville est clôturée pour la protéger contre les prédateurs. L’ancienne décharge d’Akouédo est transformée en jardin.

Abidjan attire à nouveau. On y organise de grands évènements. Les avions qui y vont sont toujours pleins. Les hôtels aussi. Abidjan fait à nouveau la fête. De nouveaux endroits pour se divertir se sont ouverts partout, les artistes ont retrouvé leur créativité et les galeries se multiplient.  Les jeunes filles qui s’exhibaient toutes nues dans des bars en Zone 4 et ailleurs ont été priées d’aller s’habiller.

Une capitale du football

Le stade Félix Houphouët-Boigny dans le quartier du Plateau, à Abidjan (photo d’illustration). © AFP/Sia Kambou

On a aussi construit de nouveaux stades et en 2024, la Côte d’Ivoire s’est offert le luxe d’organiser une Coupe d’Afrique des Nations (CAN) de football, qualifiée de meilleure jamais organisée dans l’histoire de cette coupe, et elle l’a gagnée. C’est le retour de la Côte d’Ivoire qui gagne. Et ça se fête.

Après la fête, il faut penser au cadre de vie et à la sécurité des Abidjanais. Alors on a cassé les bidonvilles qui avaient poussé un peu partout dans l’anarchie, dans des zones à risque. Des dents ont grincé, mais c’était le prix à payer.

Le pays doit avancer. Et il doit avancer avec Abidjan, sa vitrine.