La Tunisie en coup de vent. Soit 2400 km en 6 jours. 400 km par jour de moyenne. C’est peut-être un peu rapide pour tout voir. A cette vitesse, il faut ouvrir grand les yeux et ne jamais cligner, afin de ne perdre aucun détail de cette Tunisie de l’intérieur qui affronte une crise économique sans précédent.
Le carnet de route de Jean Hugues Lime
Nous voici sur l’autoroute. Mon taxi est ravi de sa voiture de location. Il roule à 160 km/h sur la route nationale. Tout en fumant et en téléphonant, il met un point d’honneur à doubler sans visibilité tout ce qui roule: charrettes, camions, semi-remorques. Il aime conduire la voiture la plus rapide du circuit. Quand il me voit faire le signe de croix à chaque fois qu’il traverse un carrefour, il éclate de rire. Je lui demande pourquoi une telle vitesse: “Plus on roule vite dans un carrefour, moins on a de chance d’avoir un accident”
Je note la présence de nombreux camions de matériaux de construction qui filent tous vers la Libye. Après tous les bombardements, le pays a besoin d’être reconstruit.
Bientôt la fête de l’Aïd
Les moutons sont très précieux, très recherchés et très chers. Ils sont devenus si rares qu’un mouton peut valoir 1000 dinars. Une véritable fortune. Le mouton est aux musulman ce que la dinde est au chrétien.Chaque troupeau est surveillé de prèsPartout sur la route on voit des petits troupeaux de moutons. Ceux-ci se sont échappés et ont trouvé une station-service plus verte.
La viande de mouton est si chère que mon taxi me raconte le cas d’un vieux berger tout seul qui a été attaqué dans son champ, par une bande de 40 ou ou 50 voleurs en camions, armés de fusils de chasse. Ils ont tué les 500 moutons dans la nuit et sont repartis avec.
Les cigognes ont fait leur nid en haut des pylônes haute tension le long de l’autoroute. Elles sont bien tranquilles, protégées par 10000 volts. Pour moi la cigogne c’est l’Alsace. Que font-elles en Tunisie? L’animal circule librement d’Europe en Afrique sans papier. Elles ont bien de la chance, les cigognes, de voyager sans papiers dans un pays qui pourchasse les migrants sub sahariens. Paradoxe : l’oiseau est plus libre que l’être humain
Vendeur de caméléons
Sur le bord de la route, un garçon vend… des caméléons vivants pendus désespérément au bout d’une canne à pêche. Ce sont des animaux recherchés pour être mis à sécher près de la cheminée puis brûlés dans le but de chasser les mauvais esprits. Le caméléon, décidément très doué, chasse le mauvais œil et le mauvais sort,
Certaines personnes utilisent le caméléon dans la magie.Si vous n’avez pas de chance dans la vie, adoptez un caméléon, l’arme absolue contre le mauvais sort, qu’il ne faudra pas oublier de plonger dans les braises. Les explosions provoquées sont considérées comme le bruit du trépas de méchants Djinns venus hanter la maison et porter malheur aux habitants.
On ne prête qu’aux riches. Il paraît que Leila Ben Ali, l’épouse de l’ancien dictateur qui était devenue la vraie Régente du Palais de Carthage, pratiquait quotidiennement la magie noire. Beaucoup de Tunisiens pensent que cette femme à poigne utilisait ainsi le sang des caméléons pour maintenir son époux sous son emprise. Ce qui, parait-il, fonctionnait…
À chaque arrêt de péage de l’autoroute, une ribambelle de vendeurs s’accrochent à la voiture devant, derrière; des enfants, des femmes, des vendeurs de graines ou de fleurs et même de gros oiseaux jaunes enfermés dans une cage minuscule. Tous s’y mettent pour nous vendre un gros sac de pop-corn ou des amandes, au risque d’être écrasé par une voiture. Toute personne qui se déplace en voiture, signe de grand luxe, a forcément de l’argent en trop à dépenser.
Nous faisons une halte dans une station-service Total où je découvre une sorte de mini mosquée sur un tout petit espace, qui offre juste assez de place pour un tapis de bain.
Je me réjouis de voir qu’en Tunisie, les pompistes sont en uniforme avec casquette rouge comme en France dans les années 60. Ce sont eux qui tiennent les pompes avec un oeil sur l’essence de contrebande omniprésente
La Tunisie épargnée
Chacun est capable de pointer avec son doigt la Tunisie sur une mappemonde les yeux fermés. C’est la pointe extrême du Cap Bon au milieu de l’Afrique du Nord. Il suffit de descendre du doigt en bas jusqu’à la pointe extrême de l’Afrique et on se retrouve au Cap de Bonne Espérance.
La Tunisie est l’un des rares pays arabes qui n’a subi ni grande guerre civile comme la Libye ou au le Liban, ni invasion comme l’Afghanistan l’Irak ou le Koweït. Il a sans doute échappé au malheur par la grâce de ne pas avoir de pétrole comme l’Irak. Le pétrole ayant le don de déclencher aussitôt la convoitise des voisins, la voracité des grandes puissances, et provoquer des ravages et des destructions dans tous les pays qui en sont pourvus.
L’une des raisons est sans doute que sa jeunesse diplômée et culturellement très avancée. Trois tunisiens sur 100 sont étudiants ( 4 sur 100 en France) et plus de la moitié des étudiants sont des étudiantes. Les écoles et les universités sont souvent les plus beaux bâtiments et les mieux entretenus.
La Tunisie fait mentir tous ceux qui disent que le destin d’un pays arabe est d’être tôt ou tard dominé par l’islamisme ou la dictature. L’œuvre politique et démocratique réalisée par la Tunisie est inégalée dans l’histoire récente.
On dirait que la Tunisie se fait tout petit dans le concert des nations pour faire oublier que c’est un des derniers pays arabes qui restent à détruire, on se demande par quel miracle il est passé à travers la voracité malsaine des grandes puissances destructrices.
Pour l’instant il n’est pas dans l’intention immédiate des USA, de la Chine ou de la Russie de déverser un tapis de bombe sur la Tunisie mais la diplomatie étant ce qu’elle est, ça peut changer du jour au lendemain.
Des barrages partout
Des barrages de policiers le long de la route. Les barrages sont des points fixes où les policiers contrôlent plus ou moins les papiers, à la gueule du client. Slim est formidable. Il baratine les flics à chaque barrage. Quand les policiers me voient, ils reconnaissent tout de suite un Français et se demandent ce que je fais là tout seul au milieu de la Tunisie, en pleine nuit.
Mon chauffeur peaufine à loisir une histoire de visite d’un homme d’affaires français désirant investir en Tunisie et créer une société d’import-export de première importance. Baratin qu’il s’amuse à développer et envenimer un peu plus à chaque barrage, ajoutant force détails et précisions. toujours plus volubile. À chaque barrage mon rôle gonfle en importance. Je deviens une sorte de Nabab de la finance. Un grand mogol de la banque. Le montant des investissements est multiplié par 10. Au bout du 5e barrage, j’en suis presque à acheter la moitié de la Tunisie. Slim parle à toute vitesse et à grands gestes comme s’il était pressé de fournir le maximum de détails et se faire bien voir du policier, un peu comme un indicateur professionnel qui chercherait à fournir le maximum de renseignements à la police pour se protéger lui-même. Je vois tout de suite que le policier écoute d’un derrière distrait des propos qui pour lui n’ont strictement aucun intérêt. Le policier opine vaguement d’un air las puis nous laisse très vite pour suivre notre chemin.
Un peu plus loin, je me demande bien à quoi servent ces barrages à des endroits fixes. Je note l’absurdité d’un tel dispositif. Il ne viendrait à l’idée d’un porteur d’une kalachnikov ou d’un livreur de drogue de se jeter spontanément dans un barrage de police sans passer par une autre route adjacente dépourvue de barrage.
Des magasins vides !
Nous nous arrêtons pour déjeuner. Je découvre une longue file d’attente devant une boulangerie. Les Tunisiens manquent de pain. Un camion de farine subventionnée vient enfin d’arriver et décharge des dizaines de sacs de farine. D’où l’afflux subit des clients. Les gens du quartier vont enfin pouvoir manger le pain qui leur manque tant avec la peur de manquer. En Tunisie la farine est subventionnée, ainsi que la semoule le blé, l’essence.
Aujourd’hui le terme enfariné est une des pires insultes en Tunisie. On ne peut tomber plus bas. Cela vient du fait que jadis, les traîtres qui dénonçaient les combattants tunisiens à la police française veillaient à rester anonymes. Ils apparaissaient aux cotés des policiers, la tête recouverte d’un sac de farine qui parfois laisse des traces blanches sur le nez.
Notre carnet de route à travers la Tunisie de Kaïs Saïed (1/6)
Contrebande
Cette surveillance est d’autant plus absurde que tout le long de la route, des vendeurs de bidon d’essence de contrebande provenant de la Libye voisine, stockés en plein soleil, attendent le client ou un embrasement.
Cela ne dérange pas le moins du monde les policiers qui se trouvent juste à côté dans leur guérite.
À ce propos, Slim me raconte une histoire qui se déroule dans le nord-ouest de la Tunisie à la frontière algérienne. Un contrebandier avait l’habitude d’utiliser sa mule pour transporter les divers chargement à travers la frontière sans payer aucune taxe. il avait inventé un stratagème particulièrement intéressant. il se trouve que la mule connaissait parfaitement le chemin pour aller d’un point à l’autre et rentrer chez elle en passant par la frontière. Le problème c’est que la mule n’avançait que sous l’ordre du muletier : “Errrr! qui veut dire : Avance. Le contrebandier eut l’idée de placer un walkman sur les oreilles de la mule qui diffusait à intervalles réguliers l’ordre: “Errrrr!”. À chaque fois que la mule entendait l’ordre d’avancer, elle progressait sur le chemin, transportant toute seule les produits de la contrebande d’un côté à l’autre de la frontière. Pendant ce temps, le maître traversait la frontière les mains dans les poches en saluant les douaniers.