Des enquêtes ont été ouvertes sur l’assassinat par un goupe armé de huit personnes dont six Français, tous membres de l’ONG Acted. L’état d’urgence vient d’être étendu à toute la région de Tillabéri, Kouré inclus. Les corps martyrisés ont été ramenés à l’Institut médico-légal de Niamey.
Nathalie Prevost, journaliste à Mondafrique, qui a vécu longtemps au Niger revient sur ces militants humanitaires, victimes de cette attaque terroriste particulièrement violente, qui allaient voir les girafes de Kouré. Récit.
Un matin de saison des pluies, à 8h30, il fait bon à Niamey. Dimanche, le ciel était un peu voilé ; il faisait frais. Léo, Anthony, Charline, Stella, Myriam et Nadifa, partis voir les girafes de Kouré, à 40 km de la capitale du Niger, ont dû savourer ce rare moment de liberté sur la route tranquille de Dosso. Boubacar, fidèle chauffeur de l’ONG Acted, pouvait conduire les yeux fermés car l’excursion pour aller voir les girafes était l’une des dernières sorties autorisées hors de la capitale et bien souvent, le dimanche matin, il y conduisait des agents.
On ne sait pas si, avant de mourir, les six Français, pour la plupart des jeunes tout juste arrivés au Niger, ont pu s’extasier dans la contemplation tranquille de ces grands mammifères silencieux et altiers, mangeurs d’acacias et de haricots , dans la beauté singulière du mois d’août, contraste d’ocre rouge et de vert tendre. Car les girafes blanches se font parfois désirer dans leur vaste réserve, surtout lorsqu’il y a des mares un peu partout pour étancher leur soif.
Les passagers étaient joyeux. Léo fêtait son nouveau contrat. Les autres, la fin de la quarantaine.
Les passagers étaient joyeux. Léo fêtait son nouveau contrat. Les autres, la fin de la quarantaine. Ils n’ont pas fait six kilomètres à l’intérieur du parc, conduits par le président des guides de Kouré, Kadri Abdou, qui connaissait les lieux comme personne.
Les photos prises par les premiers témoins arrivés sur place attestent de la violence de l’attaque, qui n’a laissé aucun survivant. Autour de la carcasse noircie par les flammes du pick-up blanc, quatre jeunes corps en leggings, jeans et baskets gisent, couchés deux par deux, la tête ensanglantée. Un cinquième est méconnaissable, carbonisé, comme le chauffeur qui semble avoir péri dans les flammes sur son siège.
La photo de la femme qui est morte en s’enfuyant n’est pas restée longtemps sur les réseaux sociaux, en raison de sa brutalité.
Le guide est allongé un peu plus loin, les bras crispés, vêtu de kaki. La photo de la femme qui est morte en s’enfuyant n’est pas restée longtemps sur les réseaux sociaux, en raison de sa brutalité. La vitre arrière a explosé mais la plaque ONG, bizarrement, est restée intacte sur une porte immaculée. Les pneus ont fondu. Les impacts de balles constellent la voiture.
Avec 7 agents tués, l’ONG française ACTED paye un très lourd tribut au terrorisme qui dévaste le Sahel. La ville de Niamey est sous le choc. Et nous voilà ramenés en 2011, après la mort des deux jeunes Français, Antoine de Léocour et Vincent Delory, enlevés le soir du 11 janvier 2011 dans un maquis de la capitale et tués le lendemain lors d’un assaut de l’armée française contre leurs ravisseurs d’AQMI, en territoire malien.
Même véhicule calciné, mêmes corps brûlés, même paysage désolé, même jeunesse des victimes. Vincent Delory venait d’arriver au Niger, quand il a été enlevé, pour assister au mariage de son ami d’enfance qui travaillait dans l’humanitaire. C’est un couvercle de plomb qui s’était alors refermé sur le Niger, chassant, à regret, beaucoup d’Occidentaux craignant pour leur sécurité et celles de leurs familles.
Aujourd’hui, presque dix ans plus tard, la guerre n’a fait que gagner du terrain, inexorablement, à l’Est et à l’Ouest, jusqu’à presque encercler la capitale. Et ces années attestent de l’aggravation de la situation, comme d’ailleurs dans toute la région alentour.
En 2011, l’irruption d’AQMI dans Niamey avait fait l’effet d’une bombe. C’était la première fois.
En 2011, l’irruption d’AQMI dans Niamey avait fait l’effet d’une bombe. C’était la première fois. Et même si quelques otages avaient été pris les mois précédents au Mali et au Niger, le feu de la guerre s’abattait pour la première fois, dans des échanges de tirs entre des hélicoptères de combat de l’armée française et des combattants de Mokhtar Belmokhtar. Comme le prélude de la guerre qui s’est installée ensuite, la vraie, même asymétrique.
Depuis Serval, puis Barkhane, l’armée française est désormais déployée dans toute la région. Au Mali, au Niger et même au Burkina Faso, avec des bases, des drones, des avions de combat, des moyens de surveillance. L’armée américaine est venue aussi. Elle a bâti sa plus grande base de drones armés d’Afrique à Agadez. Des soldats allemands et italiens ont pris pied au Niger.
Les chiens de guerre de Mokhtar Belmokhtar, fonçant au volant de 4X4 Toyota ultra modernes, ont été progressivement remplacés par des Sahéliens jeunes et minces
Et le feu de la guerre est devenu quotidien, fauchant les jeunes vies de soldats nigériens, par dizaines, par centaines. L’ennemi s’est démultiplié. Les chiens de guerre de Mokhtar Belmokhtar, fonçant au volant de 4X4 Toyota ultra modernes, ont été progressivement remplacés par des Sahéliens jeunes et minces, en sandales et djellaba informe, sur des motos chinoises, lance-roquette en bandoulière.
Dimanche, ce sont probablement ces combattants low cost qui ont frappé à Kouré, sur deux motos. Plusieurs armes semblent avoir été utilisées simultanément. Une action planifiée, un guet apens, sans doute pas contre ACTED mais contre n’importe quel véhicule d’ONG chargé de visiteurs occidentaux qui tomberait dans le piège.
En 2011, Vincent et Antoine sont morts alors qu’ils avaient été pris en otages pour être vendus. En 2020, les 6 Français d’ACTED, tous humanitaires, ont été exécutés sans sommation.
Là encore, une première, sauf au Nigeria, où ça fait déjà longtemps que les djihadistes exécutent les humanitaires.
Qui reverra jamais les dernières girafes d’Afrique de l’Ouest ?