Niger, le journaliste Moussa Aksar brandit l’étendard de la « liberté d’informer »

Le harcèlement judiciaire dont est victime depuis plusieurs mois le journaliste nigérien Moussa Aksar consacre le fléau des dénis de justice qui frappent de nombreux journalistes. Pour le directeur du journal l’Événement, la « liberté d’informer » est un droit constitutionnel inaliénable. Son parcours et son engagement pour l’indépendance des médias en témoignent.

Un reportage et des photos de Frédéric Mantelin à Niamey

« Il n’ y a pas de liberté sans liberté d’informer » : la devise est inscrite à la peinture noire, à même le portail du siège de son journal L’Événement, sur l’artère principale de Niamey, la capitale du Niger. À 57 ans, le journaliste Moussa Aksar fait preuve d’une étonnante sérénité. Car depuis 8 mois – comme à de nombreuses autres occasions avant cette nouvelle « affaire » -, le journaliste d’investigation, très respecté dans son pays et au-delà, est victime d’un véritable acharnement judiciaire orchestré par la justice nigérienne. Cinq assignations devant les tribunaux de Niamey depuis l’automne 2020, pour finalement être condamné, le 7 mai 2021, à près de 1900 euros d’amende et dommages et intérêts…

 Une corruption devenue « affaire d’État » 

En septembre 2020, Moussa Aksar publie une enquête très remarquée et intitulée e
« Malversations au ministère nigérien de la Défense : 71,8 milliards de francs CFA captés par des seigneurs du faux ». Au fil des années, il multiplie les enquêtes sur des trafics, au Niger, de faux médicaments, d’êtres humains, de drogue et des faits avérés de corruption ou encore l’impolication de Mouamar Kadhafi dans les affaires nigériennes (2007). Ce trravail lui valu de nombreuses poursuites judicacires au Niger et des arrestation et pédiodes d’emprisonnement. Dans sa dernière enquête FinCEN très argumentée, le journaliste montre comment de hauts responsables de l’armée et des proches du pouvoir nigérien sont impliqués dans le détournement de fonds sur des dossiers d’acquisition de matériels militaires.

Grâce aux détails d’un audit gouvernemental et les documents bancaires relatifs à des contrats signés avec des sociétés écrans pour l’achat de divers équipements militaires, Moussa Aksar révélait que le Niger a perdu pas moins de 120 millions de dollars (98,4 millions d’euros) lors de contrats falsifiés de 2017 à 2019. Basée sur des rapports de l’Unité de renseignement du Trésor américain et le Réseau de lutte contre la criminalité financière (FinCEN), cette enquête fouillée faisait alors partie d’une enquête journalistique mondiale dénommée « FinCEN Files » pilotée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) – dont Moussa Aksar est membre. Un travail de longue haleine salué par la profession et qui a valu à ICIJ d’être sur la liste des nominés au Prix Nobel de la Paix 2021.

 

La « liberté d’informer » inscrite dans la constitution

Les textes fondamentaux du Niger protègent en théorie la « liberté d’informer ». Dans son article 31, la Constitution du pays – encadrée au siège du journal de Moussa Aksar – dispose que « toute personne a le droit d’être informée ». Par ailleurs, l’article 19 du « Pacte international relatif aux droits civils et politiques » (HCDH), librement ratifié par la République du Niger en 1986, aurait dû conduire la justice de ce pays à prononcer un verdict en faveur de cette liberté.

Or, voilà que la justice de Niamey a choisi d’assigner à plusieurs reprises (5 fois en huit mois) Moussa Aksar pour finalement le condamner pour « diffamation » à une amende et des dommages et intérêts pour un montant total 1,2 million de francs CFA (environ 1900 euros). Interrogé chez lui, à Niamey, entre le 11 et le 15 mai 2021, Moussa Aksar réagit vivement à cette condamnation et évoque des étapes de son parcours journalistique.

Un hebdomadaire « indépendant »

C’est en 2002 que le journaliste, déjà expérimenté, fonde L’Événement, conçu comme « un hebdomadaire nigérien indépendant d’informations générales ». « D’emblée je savais qu’avec ce média je pourrais avoir des problèmes dans mon pays, reconnaît Moussa Aksar. Mais je misais alors sur la vitalité démocratique au Niger et le soutien de quelques pays amis, au premier rang desquels figurait la France ». Sur la récente affaire de corruption au ministère de la Défense, il précise que le plaignant à l’origine de la « diffamation » avancée contre lui par le tribunal de Niamey n’est autre qu’un citoyen nigérien résidant en Belgique dont le conseil juridique, maître Ismaril Tambo, est l’avocat d’une des personnes incriminées par l’enquête du journaliste…

Par ailleurs, le directeur de L’Évènement nous apprend que le procureur qui a requis sa condamnation, un certain Saley Ouali Ibrahim, a été directeur de la législation au ministère nigérien de la défense jusqu’en 2019, administration placée au cœur du scandale dénoncé par Moussa Aksar… Comment, dans leur souci de respecter le droit et les procédures, les tribunaux de Niamey peuvent-ils passer outre ces ces faits avérés de « conflit d’intérêts » ? « Il serait tant que les nouvelles autorités du Niger, promues à la tête du pays lors des dernières élections, régissent. Tout comme devraient s’insurger des pays amis, dont les États-Uni, la France et tous les pays soucieux du respect des droits de l’homme et de la démocratie fragilisée au Niger par la corruption, terreau de la menace terroriste…», estime le journaliste.        

Un étendard du lien entre médias et démocratie

À Niamey, Moussa Aksar le réaffirme : « Nous n’avons pas fini avec ce dossier et je poursuivrai sans relâche mon travail dans cette affaire d’État ». Car le journaliste a inscrit la lutte pour la liberté et l’indépendance des médias dans son ADN professionnel. Président en exercice de CENOZO depuis 2 ans, le réseau de journalistes d’investigation Norbert Zongo d’Afrique de l’Ouest -, Moussa Alkar a à maintes reprises, défendu des confrères et consoeurs qui, comme lui, on été placés dans les mâchoires de l’étau judiciaire. Le dernier exemple en date est celui du journaliste béninois Ignace Sossou, condamné lui aussi emprisonné à tort au Bénin en 2020. Moussa Aksar s’est démené pour défendre son jeune collègue, allant jusqu’à lui procurer des avocats dignes de ce nom, et lui rendre personnellement visiter en prison à Cotonou, avec des confrères du consortium ICIJ.

Autres combats menés par le journaliste nigérien : l’expertise en sécurité au Sahel et la formation, par divers programmes internationaux (dont OCWAR-M ou M&D), de confrères et consoeurs africains sur des thèmes comme la lutte contre la corruption, le travail d’investigation ou les outils de protection des journalistes. Par ailleurs, le 17 mai 2021, Moussa Aksar annoncera la création, à Niamey, du bureau d’Afrique subsaharienne de la plateforme franco-africaine Médias & Démocratie (M&D) dont il va prendre la présidence avec la devise qu’il a fait sienne, « parce qu’elle va dans le sens de mes intimes propres convictions » : « Pas de médias libres sans démocratie – Pas de démocratie sans médias indépendants ». « C’est un nouvel et précieux outil pour faire avancer le respect de la liberté d’expression et le journalisme d’investigation en Afrique », conclut-il. Avant de préciser que M&D et CENOZO vont ensemble organiser la toute premiè§re édition du Prix Africain du journalisme d’Investigation (PAJI 21) qui sera célébré à Dakar en novembre 2021.

L’étau judiciaire pèse sur les journalistes africains