Avec près de 70 000 réfugiés maliens recensés sur son territoire, la Mauritanie est le pays du Sahel qui accueille le plus de personnes ayant fui les combats du Nord-Mali. Tout comme ceux poussés au départ lors de la répression des années 1990, ils vivent dans des conditions d’extrême précarité
Dans le quartier populaire de Dar-Naïm à Nouakchott, Abdallah et Mohamed, la trentaine, ont installé leur abri de fortune près d’une station service. A l’intérieur, sous des draps tendus servant de toiture, trois matelas usés sont posés à même le sol. Anciens bergers reconvertis au nettoyage de tapis dans la capitale mauritanienne, les deux hommes ont fuit les villes de Gargando et de Léré dans la région de Tombouctou, toutes deux en proie à de violents combats depuis le début de la guerre. « Entre l’occupation de la région par des groupes islamistes et les représailles de l’armée malienne, la situation était devenue intenable » explique Abdallah, le visage grave. Mohamed quant à lui, affirme qu’avant son départ, il y a trois semaines à peine, il lui était devenu impossible d’accéder au marché de Léré pour vendre ses produits issus de l’élevage. « Les autorités accusent systématiquement les touareg, les maures, et tous les blancs en général d’appartenir à la rébellion. Ils n’hésitent pas à nous soutirer de l’argent ou à nous chasser ». Pris entre le marteau des jihadistes et l’enclume des militaires, il fallait donc partir. Vers la frontière la plus proche.
Désordre à M’béra
Première étape du périple, le camp de M’béra, vaste mer de tentes perdue au milieu des dunes à une trentaine de kilomètres de la frontière malienne, au sud-est de la Mauritanie. Il constitue aujourd’hui le plus grand camp de réfugiés venus du Mali. Situé dans une zone enclavée où les températures moyennes frôlent les 50°, le camp cumule les difficultés de gestion. « Au manque d’eau et de nourriture s’ajoutent des pillages de vivres répétés y compris par des mauritaniens pauvres venant des environs. C’est sans compter les viols et les nombreux vols de bétail que les bergers nomades ont parfois réussi à ramener avec eux jusqu’ici » explique Mohamed Ali Ag Al-Moubarak, élu de la région de Tombouctou et porte parole d’un groupe de réfugiés au camp.
Courant 2013, le désordre s’intensifie. Les absences répétées de certains réfugiés et les soupçons d’enregistrement de nationaux mauritaniens auprès du Haut commissariat pour les réfugiés de l’ONU (HCR) qui gère le camp, le conduisent à désactiver 6500 cartes de réfugiés. Une mesure qui n’a pas manqué d’accentuer les tensions entre le personnel onusien et les habitants, donnant lieu parfois à de vives altercations. Par ailleurs, l’organisation Médecins Sans Frontières souligne que l’aide nutritionnelle y est insuffisante et inadaptée. « Le HCR distribue dix kilos de riz et un litre d’huile par personne et par mois, comment peut-on vivre avec ça ? » se désole M. A. Ag Al-Moubarak.
Lorsqu’ils débarquent à M’béra avec leurs familles, Mohamed et Abdallah y reçoivent tous deux la carte de réfugié, sésame pour l’obtention des vivres. Mais rapidement, les conditions de vie très difficiles et le manque de ressources économiques les pousse vers la capitale. « Là-bas, il n’y avait rien à faire. Le travail humanitaire est réservé aux personnes instruites. Difficile de trouver un petit boulot », explique Mohamed. Direction Nouakchott, où des jobs dégotés à la sauvette leur permettent de vivoter, comme la majorité des touareg maliens présents dans la ville.
L’histoire se répète
En Mauritanie, l’arrivée de populations fuyant le Mali est loin d’être un phénomène nouveau. Dans la capitale, de nombreux touaregs se sont installés après avoir fui la répression des précédentes rébellions, notamment celle des années 1990. C’est le cas d’Abdourahmane Ag Mohamed El-Moctar, débarqué en 1991. « J’étais directeur d’école au Mali dans la région de Ségou. Un militaire dont je formais les enfants m’a averti que l’ordre avait été donné d’attaquer le Nord et qu’il risquait d’y avoir des massacres de blancs. Après un court passage à Bamako, je suis arrivé ici avec ma famille et je ne suis jamais rentré. »
En janvier 2012, l’histoire se répète. Les affrontements qui éclatent entre l’armée malienne et les rebelles du MNLA poussent les populations du nord-Mali hors de leurs frontières. Plusieurs vagues de déplacements se succèdent. Le douloureux souvenir des représailles des années 1990 entraine le départ d’une grande partie des populations dès le début des hostilités. De mars à juin 2012, les combats entre le MNLA et les groupes armés d’AQMI, du MUJAO et d’Ansar Eddine, puis le coup d’Etat contre l’ex-président Amadou Toumani Touré, provoquent une deuxième vague de réfugiés. Enfin, les bombardements aériens de l’armée française venue en renfort des militaires maliens au nord, déclenchent en janvier 2013 le troisième pic de départs vers la Mauritanie. A l’apogée de cette période, l’affluence est massive : MSF recensera l’arrivée de 1300 nouvelles personnes par jour au point de transit de Fessala à la frontière entre les deux pays.
Aujourd’hui selon l’ONU, environ 185 000 maliens se seraient réfugiés dans les territoires voisins et près de 340 000 personnes auraient été déplacées à l’intérieur du pays. Avec 70 000 réfugiés, contre 43 000 au Burkina Faso et 47 000 au Niger, la Mauritanie constitue la première terre d’accueil des populations ayant fui la guerre.
A Nouakchott, l’Association des Réfugiés et Victimes de la Répression de l’Azawad (ARVRA), a recensé un peu plus de 10 000 touareg maliens et jusqu’à 20 000 de plus pour tout le pays, en dehors du camp. « Mais le nombre exact reste extrêmement difficile à déterminer car contrairement au camp de M’béra, les personnes présentes dans les villes sont dispersées » explique A. Ag Mohamed El-Moctar à la tête de cette association de 1992 à 2013. L’incertitude peut faire varier les estimations du simple au double.
Pas de prise en charge dans les villes
Hormis le pays de départ, les nouveaux arrivants ont des parcours bien différents. A M’béra, l’immense majorité des réfugiés a parcouru les kilomètres sablonneux qui séparent les villes de Tombouctou, Léré ou Goundam près de la frontière mauritanienne. Ceux arrivés directement à Nouakchott ont pour leur part le plus souvent emprunté la route goudronnée depuis Bamako, Kaï ou Nara, dans la partie sud du Mali. Mais contrairement aux premiers, les seconds ne bénéficient pas du statut de réfugié. « Pour ces personnes, il n’y a eu aucune prise charge » affirme A. Ag Mohamed El-Moctar. « Le problème, c’est que pour le HCR, il n’existe qu’un seul centre d’enregistrement des réfugiés : le camp de M’béra. Pourtant de nombreux individus ont traversé la frontière à d’autres endroits et se sont installés à Nouakchott ou dans d’autres villes. Ils vivent dans des conditions extrêmement précaires et travaillent comme gardiens de chantier ou agents de nettoyage. Ils sont parfois hébergés par des touareg débarqués lors de la rébellion de 1990. Beaucoup sont des nomades et n’ont même pas de carte d’identité ou de passeport malien. En clair, ils vraiment droit à rien dans les villes alors qu’au camp ils ont un minimum de prise en charge, même précaire : un toît, un peu de nourriture, une carte de réfugié qui leur donne une protection juridique et un accès aux services de santé. » Résultat, paradoxalement, beaucoup de maliens finissent par vouloir rentrer à M’béra. « Recevoir le statut de réfugié leur permettrait au moins d’obtenir une assistance et de se différencier des migrants bénéficiant d’une carte de séjour ! » explique A. Ag El-Moctar.
Au détour d’une ruelle, à l’ombre des arcades du marché central de Nouakchott, Bounia renverse un seau d’eau sur le carrelage d’une rangée de sanitaires publics. Lui fait partie de la deuxième catégorie de personnes, celle des déplacés qui n’ont pas le statut de réfugiés. Ancien gendarme en service à Sikasso, il explique avec fierté qu’il a déserté les rangs de l’armée malienne au tout début des conflits pour embrasser la cause de l’indépendance de l’Azawad. « Dans ma famille, mes frères et moi avons décidé de rallier la rébellion. Très vite je suis parti pour gagner de l’argent pendant qu’eux sont au front. Ça m’est égal de nettoyer les toilettes. C’est pour l’Azawad. Et pour le MNLA qui défend notre indépendance ! » clame-t-il.
De fait, la question de l’afflux de réfugiés s’accompagne d’un autre enjeu, politique cette fois, celui du soutien aux mouvements indépendantistes touareg. Terre d’accueil, la Mauritanie l’est devenue aussi pour le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) dont la présence s’est renforcée dans le pays depuis le début de la guerre. Forte des liens tribaux traditionnels entre les populations des deux pays, l’organisation politique dispose d’une délégation qui a pignon sur rue à Nouakchott, au risque de faire grincer des dents les autorités de Bamako. Certaines personnalités phares du mouvement y ont élu domicile à l’image de Nina Wallet Intalou, proche du chef militaire du MNLA Mohamed Ag Najim. L’arrivée récente de nouveaux déplacés venus du nord soutenant la rébellion dote l’organisation de nouveaux appuis populaires dans les quartiers de la capitale mauritanienne.
Reste aujourd’hui en suspens l’épineuse question du retour. Echaudés par les représailles sanglantes dont de nombreux maliens ont été victimes en raison de leur appartenance ethnique une fois rentrés au pays dans les années 1990, la plupart des réfugiés restent sur leurs gardes. Cette fois, « ils ne rentreront que si la communauté internationale leur offre de véritables garanties de sécurité, de justice, et de dédommagement », pointe A. Ag El-Moctar. Aujourd’hui, selon le HCR, seules 14 000 personnes ont fait le choix du retour. Pour Abdallah en tout cas les choses sont claires : tant que la paix ne sera pas assurée il restera à Nouakchott. Aussi longtemps qu’il le faudra.