Le réalisateur Jacques Sarasin revient en minibus en 2017 promener sa caméra dans la capitale du Mali. Seuls les Suisses ont diffusé ce film décapant, les Français non, bien que la chaine « Public Sénat » l’avait commandé et financé.
Le réalisateur et amoureux du Mali, Jacques Sarasin, a toujours en tête, comme un prisme qui aide à comprendre le pire et à le dépasser, les analyses de Joseph Stiglitz, le prix Nobel d’économie pourfendeur des ravages de la mondialisation, auquel il a consacré un documentaire percutant en 2009 sur Arte.
A Bamako en effet, le diagnostic est alarmant. Le Mali, pays aux ressources naturelles abondantes et riche en potentiel humain, est aujourd’hui ravagé par les dérives d’un pouvoir corrompu, d’une mondialisation libérale débridée…et d’une islamisation rampante pas si rampante que cela. Quitte à donner tort aux « experts » et journalistes français qui, sous l’étroit contrôle des militaires présents au Mali, ne veulent pas voir la réalité.
Jacques Sarasin, lui, n’est pas du genre à lâcher prise et à céder aux clichés vus de Paris. D’où « ce retour à Bamako », une passionnante ballade en minibus au coeur des méfaits de la mondialisation malheureuse et à l’écoute des Maliens ordinaires.
Qui profite à qui ?
Ces dérives profitent aux fondamentalistes qui tissent leur réseau d’influence dans toutes les strates de la société. Si l’intervention française au Mali a spectaculairement repoussé l’assaut des jihadistes sur la capitale en 2013, elle n’a en rien « réglé » les problèmes de fond ni surtout proposé une analyse politique de la situation et de notre rapport à nous, occidentaux, au Mali. C’est à propos de ces questions demeurées en suspens que le film a l’ambition d’apporter des éléments de réponse.
Le documentaire donne la parole à des membres de la société civile malienne : hommes de la rue, personnalités diverses, musicien rappeur… le ton n’est pas monocorde, les points de vue divergent, mais la même réalité s’impose : à Bamako, l’islam politique progresse et pour certains l’avenir est prévisible: c’est la République Islamique qui se profile à l’horizon…
Des mauvais musulmans
Le documentaire s’ouvre sur la condamnation sans appel des djihadistes du nord du pays par un haut dignitaire religieux. Il les considère « comme des bandits » qui contreviennent aux règles élémentaires de l’Islam, qui ne travaillent pas, consomment alcool et drogue, tuent leur prochain, bref ne sont pas de bons musulmans. Mais il ajoute que le terrorisme est le résultat des injustices des occidentaux : « si les occidentaux étaient justes, le monde serait stable ».
Un autre religieux, Youssouf Djiré, secrétaire de la ligue des Imams érurits, enchaine sur un proverbe africain « Si tu tends un fer brûlant à celui qui se noie, il le prendra ». Ce dernier résume bien le propos du film… Le « fer brûlant », c’est l’intégrisme religieux et le noyé, c’est le Mali – mais aussi l’Afrique de l’Ouest qui, encore sous le joug du néo-colonialisme, subit désormais les assauts de la mondialisation…
Des écoles coraniques à profusion
Les services sociaux ne sont plus assurés par le gouvernement. Ce sont les religieux qui prennent la relève, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation : les écoles coraniques se multiplient… Elles sont bien souvent le seul moyen pour les familles d’offrir un semblant d’enseignement – puis un emploi, à leurs enfants…
Les témoignages se succèdent, et non des moindres : Seydou Nour Tal, une autorité religieuse de la région de Ségou puis un ancien Ministre mais aussi des intellectuels tels Issa N’Diaye, professeur à l’université de Bamako et Amadou Seydou Traoré, ex directeur de l’imprimerie nationale…
Des langues bien pendues
Mais le documentaire ne se cantonne pas à juxtaposer des discours, il embarque le spectateur dans son minibus peinturluré en compagnie de passagers à la langue bien pendue (surtout les hommes, on peut déplorer la « discrétion » des femmes, la seule qui intervient ne le fait qu’en voix off ). Tandis que les rues de Bamako défilent et que des scènes de rues viennent rythmer les interviews, d’autres voix se font entendre…Il y a aussi la voix du rappeur Mylmo N’Sahel, que l’on découvre en pleine écriture de ses chansons. La musique est là, qui fait passer le message.
« Vouloir aimer la vie à l’excès,
tu risques de porter préjudice à ton au-delà.
Et vouloir aussi aimer l’au-delà à l’excès,
Tu risques de nuire à ta vie d’ici-bas.
Alors il est mieux de faire ta vie normalement
Mais avec une pensée pour l’au-delà,
Dans ce cas t’as mille chances de gagner les deux ».
Et le musicien d’enchainer: « Oh Mahomet Oh Mahomet, Je suis perdu dans ta religion ». Tout autre ambiance lorsqu’à la fin du documentaire, le réalisateur fait halte dans les écoles coraniques, puis sur un terrain de foot où une population déchainée fête l’anniversaire de la naissance du Prophète…. Est ce là le Mali de demain?
On s’étonne que ce film sur lenvers du décor malien, diffusé en Suisse cet automne, n’est pas encore été programmé en France par la chaine « Public Sénat » qui l’avait commandé et qui l’a en sa possession depuis plus d’un an.
Film d’auteur assurément, à l’image très soignée, aux partis pris et à la subjectivité revendiqués avec pour seul et unique fil directeur la voix off du réalisateur, discrète et parfois même intimiste, Retour à Bamako nous livre un point de vue engagé sur un pays naufragé.
Un entretien avec Jacques Sarasin, réalisateur du film
Mondafrique. Ce n’est pas la première fois que vous réalisez un film au Mali…
Jacques Sarasin. J’avais déjà réalisé un premier documentaire en 2000 au Mali, puis j’y ai tourné une fiction (Le Masque de San) en hiver 2013, pendant l’intervention française, donc en plein pendant la période de guerre contre le jihadisme : quand je suis parti après le tournage de la fiction je me suis dit qu’il fallait revenir pour faire un documentaire sur les raisons de cette installation du wahabisme en Afrique de l’ouest, sur un terreau fragile et déshérité, victime de la mondialisation libérale…
Ce qui m’intéresse, c’est en quoi la religion – les religions – s’installent partout dans cette région. Il n’y a pas que l’islamisme : au Nigéria ou au Cameroun, sont à l’oeuvre l’Eglise évangélique et des sectes ultra-violentes. Ce qui n’est pas moins inquiétant. Pourquoi ce déferlement de l’intégrisme ? La population n’a plus rien d’autre à quoi se raccrocher face à des gouvernements déficients et corrompus.
Mondafrique. Quelle est la spécificité du Mali ?
J.S. L’islam politique gagne du terrain, là-bas. Les imams au Mali sont des stratèges politiciens, cultivés, ils ne sont pas violents : ils travaillent lentement mais sûrement en vue d’une République Islamique. Les Maliens n’y croient pas et pourtant… le processus est en marche.
Mondafrique. Le documentaire recueille les témoignages de personnalités Maliennes, mais aussi d’hommes de la rue, d’un musicien… il n’y a pas de point de vue occidental : est-ce un parti-pris ?
J.S. J’ai choisi d’interviewer des personnalités reconnues sur le terrain : des médecins, des ministres, des hommes de culture, je leur laisse la parole pour analyser la situation de leur pays ! On me l’a reproché et si le film a aujourd’hui du mal à trouver un diffuseur c’est probablement par ce qu’il n’est pas « cautionné » par une autorité occidentale. On m’a demandé d’y adjoindre une voix off explicative, mais j’ai refusé. Pas besoin de métadiscours, ni des explications didactiques d’un petit blanc « spécialiste » qui viendrait confirmer par derrière ! Cette exigence d’un commentaire extérieur, je le ressens comme la résurgence d’une attitude néo-coloniale, comme s’il fallait justifier leur propos puisque ce sont « des africains qui parlent ». C’est toujours la même chose…
Mondafrique. Le film a-t-il été diffusé ?
Oui, sur la Radio Télévision Suisse. Il est aussi présenté sur un site de universitaire aux Etats Unis.
Jacques Sarasin,
L’emai j.sarasin@wanadoo.fr
Le site, www.jacquessarasin.com
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