Un même gout pour la puissance et l’argent, un même destin marqué par la disgrâce puis la chute: notre chroniqueur, Xavier Houzel, nous dresse les portraits croisés du prince héritier d’Arabie Saoudite, MBS , et de l’industriel français, Vincent Bolloré.
L’un, prince d’Arabie – comme au cinéma, où il incarne MBS – fut adoubé de force et par la ruse. L’autre, dit « le petit prince breton », alias Vincent Bolloré, est un chevalier d’industrie. L’un est aventureux et l’autre un aventurier. Derrière le premier, il y a sa mère, adepte de la magie noire, qui le chérissait, mais qu’il placera en résidence surveillée. Derrière le second, il y a sa grand-mère, agent secret de renom, qui va le confier à des organisations tutélaires. L’un et l’autre entretiendront des relations singularisées avec l’État hébreu. Tous les deux sont des tueurs, l’un au sens propre, l’autre au sens figuré. Tous les deux ont une fortune personnelle, dont le montant dépasse un chiffre à sept zéros. Ils ont abusé de « la communication » pour cacher leurs turpitudes. Presque tout a été déjà dit à leur sujet. Ils sont allés trop loin. Leur sort relève de la raison d’État.
C’est pourquoi deux décisions hautement symboliques, justifiées par les mêmes et impérieuses considérations d’intérêt général « proportionnées à l’objectif poursuivi », ont été prises quasi simultanément : l’une, le 26 février, en France, concerne le petit prince breton, et l’autre, le 27 février, aux États-Unis, le prince saoudien.
Vincent Bolloré piégé
Vincent Bolloré pensait échapper à un procès pour corruption en comparaissant sur reconnaissance préalable de culpabilité, sorte de « plaider-coupable » à la française, en admettant sa culpabilité sans que sa condamnation soit inscrite à son casier judiciaire. Or contre toute attente, une Juge a refusé d’homologuer un tel accord, estimant que les peines étaient « inadaptées au regard de la gravité des faits reprochés » et considérant qu’il était « nécessaire qu’ils soient jugés » par un tribunal correctionnel.
La publicité que le prévenu voulait éviter répand la nouvelle avec l’intensité dramatique d’un tam-tam de brousse. La juge a validé, en revanche, la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) visant le groupe Bolloré, qui pourra continuer de soumissionner dans les appels d’offres. Pour son président majoritaire, les ennuis commencent, car, lors de l’audience, il a reconnu les faits. Il pourra difficilement se déjuger. Tel est pris qui croyait prendre.
MBS au pied du mur
Le lendemain, le président américain autorise la publication du rapport de la CIA sur l’assassinat de Khashoggi. Désigné comme commanditaire, MBS n’est pas condamné – pas au sens propre du terme – mais il ne pourra plus éluder les vraies questions. Mais l’Arabie saoudite pourra continuer à acheter à l’Amérique la même quincaillerie mais, pour la forme, avec certaines restrictions.
L’affaire Bolloré s’est jouée en France entre un haut magistrat du siège spécialisé dans les affaires de terrorisme, le conseil Supérieur de la Magistrature, le plus haut magistrat du Parquet National Financier et le président de la République Française, Emmanuel Macron, qui dispose du droit de grâce individuelle. Il s’agit bien de terrorisme : au sol gisent les victimes ; leur liste est égrenée ; il y a les proies et leurs dépouilles et le trésor dans le coffre du pirate, et puis les naufrageurs et les marchands de la côte, comme au temps de la traite.
L’affaire MBS, quant à elle, s’est jouée aux États-Unis, où le cas relève du secret et où le concept d’extraterritorialité est d’autant plus insidieux qu’il est large. Le président Joe Biden a la haute main sur elle et procède par décret ; sa décision de jeter en pâture à l’opinion le récit du démembrement du journaliste est dévastatrice. Il en offre le spectacle à la foule, qui attend avec passion qu’il renverse ou non son pouce vers le sol. L’effet est magistral : « Un gladiateur, écrit Cicéron dans Tusculanes, ne pleure pas, il tend la gorge sans faiblesse ! » MBS a l’épée courte et le bouclier oblong : après l’épisode Trump à la tête de la première puissance du monde, il s’attend à ce que la foudre lui tombe sur la tête.
Boucs émissaires
À travers Bolloré, bouc émissaire biblique, au moins deux présidents africains sont « épinglés ». Le déclin français peut s’expliquer par la maladresse des dirigeants de l’héxagone, certes, mais surtout par l’exemple désastreux donné par un trop grand nombre de ses citoyens corrupteurs et enrichis par la flibuste.
Bolloré est dangereux parce qu’il est présomptueux. Ce n’est pas la peine de faire la liste de ce qui pourrait lui être reproché. Mais ces mauvaises manières africaines, il pourrait bientôt les exporter en France, où les élections présidentielles approchent. Avec Eric Zemmour comme fer de lance, chaque soir, ce grand patron devenu propriétaire de médias franchit le Rubicon.
Le tocsin a sonné mais MBS est encore bien vivant. Qu’arriverait-il d’ailleurs, si le roi Salman ne déposait pas son fils désigné à la vindicte par Joe Biden et que MBS poursuivait sa chevauchée fantastique ? Et bien, l’héritier séoudien qui a déjà passé des accords stratégiques avec non seulement avec la Russie mais aussi avec la Chine, rebondirait très certainement !
Grisés par l’envol, l’altitude et l’interdit, MBS et Bolloré devraient être attentifs à ne pas subir le sort d’Icare.