Malika Sorel, universitaire et essayiste, spécialiste de l’immigration dont elle est issue et qui fut longtemps proche de la droite version François Fillon (1), a été désignée finalement numéro 2 de la liste du Rassemblement National aux Européennes. Ce ralliement opportuniste n’a rien de vraiment surprenant. Le parcours idéologique de Malika Sorel la portait tout naturellement à rallier le camp de l’extrème droite. Au nom d’une laïcité pervertie.
La meilleure preuve est le coup mortel que cette hégérie du Rassemblement National avait porté à la refondation des politiques d’intégration que le gouvernement de François Hollande avait envisagé lors du trentième anniversaire de la marche des beurs en 2013.
Dès sa nomination comme Premier ministre à l’époque , Jean Marc Ayrault avait en tète une refondation des politiques d’insertion des communautés d’origine étrangère. Or le travail commandé à cinq groupes, composés d’une cinquantaine de personnalités qualifiées chacun, devait finir dans les poubelles de Matignon. Pis qu’un échec pour l’ancien Premier ministre, ce mélodrame public apparaît comme le symptôme du repli d’une classe politique en mal de toute réflexion d’envergure sur la jeunesse des banlieues avide de perspectives. Or Malika Sorel-Sutter, longtemps la figure de proue du Haut Conseil à l’Intégration (HCI), aura été été la pierre d’achoppement des projets de la gauche française en matière d’immigration, comme nous le racontons dans Mondafrique. Récit
Ahmed Boubeker
Nicolas Beau
En page d’ouverture de son Blog dans les années 2012-2017, cette icône de la laicité met en exergue une phrase de « L’étrange défaite » écrit en 1940 par l’historien Marc Bloch : « La France, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J’y suis né, j’ai bu aux sources de sa culture. J’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux ». Dans son viseur, se trouve le dossier de la refondation de la politique d’intégration qu’elle suit « en mode alerte » comme elle le confie dans son dernier ouvrage[1].
Le voile coupable, forcément coupable
Personne ne peut plus l’ignorer, Malika Sorel-Sutter aime la France. Née dans le sud de l’hexagone, elle a suivi à l’âge de 10 ans ses parents en Algérie où elle aurait vécu quinze années d’exil dans le souvenir des senteurs de la Provence. L’Histoire de France la hantait. Rejetant ce qu’elle appelle « les valeurs arabes » elle fait le choix de revenir pour « épouser le destin du peuple français ». Pour Malika Sorel, cette dimension affective, « c’est ce qui fait toute la beauté et le mystère du processus d’intégration ».
Dans la France multiraciale des années 1990, l’anachronisme d’un tel bovarysme républicain ne pouvait déboucher que sur « un grand espoir déçu ». Qu’à cela ne tienne ! Malika Sorel est de ces femmes qui savent s’engager pour retrouver leurs illusions. Depuis une vingtaine d’années, elle a ainsi mis sa colère et sa plume au service du grand malade qu’est devenu notre modèle universel d’intégration. Et de « Riposte laïque » aux « Répliques » de Finkielkraut, en passant par les pages du « Figaro », elle s’impose comme une égérie- les mauvaises langues diront une « caution indigène »- de la composante néo-réac du Tout-Paris médiatique vent debout contre la « bien pensance ». Sur la toile, les sites d’extrême-droite citent régulièrement son blog et le portail du « bloc identitaire » fait même son panégyrique « Malika ? Elle tiraille mieux que la légion ».
Proposer le droit de vote des immigrés ? « Irresponsable ! » juge-t-elle : il vaudrait mieux « couper les subventions à toutes les associations qui ont largement participé à nourrir haine et ressentiment envers la France et les Français. » Car la violence des banlieues ne serait que la conséquence d’un laxisme de gauche qui aurait laissé s’installer dans l’hexagone de véritables colonies étrangères à défaut de maîtriser les flux migratoires. Malika Sorel-Sutter accommode même à son goût très relevé le relativisme culturel de Lévi-Strauss pour dénoncer l’aveuglement des élites face au regard très négatif que les héritiers des anciens colonisés portent sur la culture française. Mais c’est la peur qui expliquerait que les dirigeants politiques « justifient, cautionnent et pardonnent tout » explique notre guerrière amazone sur le site du « boulevard voltaire » « Le problème, ajoute-t-elle, c’est qu’une telle posture est perçue comme une « approche de minette », donc méprisée. On sait en effet le sort fait aux valeurs identifiées comme féminines dans les cultures du Sud de la Méditerranée. » Et pour ceux qui douteraient encore de la menace qui pèse sur « la République des impuissants », Malika Sorel rappelle qu’elle a vécu « là-bas » ![2]
Le 12 décembre 2013, « le Figaro » barre la une d’un titre accrocheur sur « le rapport choc » qui veut « autoriser le voile à l’école ». Le quotidien de droite ouvre ses pages par un entretien avec Malika Sorel Sutter dénonçant « une véritable police de la pensée. »[3] Le scoop était très discutable : les cinq rapports stigmatisés par le Figaro dormaient dans les limbes du site internet de Matignon, parfaitement accessibles, depuis un mois ! Mais cette intégriste de la laïcité a déniché dans les 276 pages de préconisations l’objet de sa vindicte : deux lignes évoquant « la possible suppression des dispositions légales et réglementaires scolaires discriminatoires concernant le voile. »
La patience de Malika Sorel-Sutter a payé. Elle tient enfin sa preuve d’un complot anti Français ! Pour elle en effet, l’affaire est encore plus grave que ne l’imaginent les ultras de la laïcité. Ce n’est pas uniquement un ballon d’essai de la gauche pour préparer un assouplissement de la loi du 15 mars 2004 interdisant le port du voile et plus largement des signes religieux à l’école. Non, ce serait un logiciel de reconfiguration de l’identité française qui serait activé : « C’est la première fois que l’idéologie à l’œuvre, déclare-t-elle au Figaro, est couchée sur le papier sans fioritures ni langue de bois. » Une intention politique de fond émanant de ce pauvre Jean Marc Ayraut fabriquerait le racisme anti Français. « La rupture avec l’héritage du peuple français est pleinement assumée, poursuit-elle. Rien n’est laissé au hasard, comme en témoignent les recommandations qui détaillent les modalités de la rééducation des masses. Il faut traquer les Français de souche culturelle européenne et leur propension à discriminer l’autre, en mettant sur pied de nouvelles institutions, ainsi qu’une multitude de mesures dignes d’une véritable police de la pensée. À aucun moment on ne trouve l’expression d’une quelconque reconnaissance de dette pour tout ce que la France a pu donner aux étrangers extra européens et à leurs enfants. »
Des islamo-gauchistes tapis dans l’ombre
Un bout de voile en vue, et la France politique s’embrase. Les cinq rapports d’expertise se transforment ainsi en un seul vrai-faux rapport par qui le scandale arrive. Personne n’a vraiment lu cette littérature, mais la presse se déchaîne. « L’inexcusable rapport sur l’intégration » « Rapport sur l’intégration : 276 pages, 276 polémiques », « Des propositions terrifiantes » « Intégration : alerte aux pyromanes », « le rapport de la honte »… Autant de titres à la une ! Une bande d’islamo-gauchistes déguisés en chercheurs se serait introduite dans les palais de la République pour écrire un amas d’absurdités, réduites à des clichés : « Assumer la dimension arabo-orientale de la France » ou « considérer les borborygmes des patois africains sur le même plan que la langue française » comme le résume dans le Figaro Thierry Desjardins, lauréat du prix Albert Londres. Le vrai-faux rapport illustrerait même un attentat contre la langue française tant il serait écrit dans une novlangue, « un mélange d’amphigouri sociologique et de franche idéologie, avec égalitarisme, antiracisme, multiculturalisme obligatoires à tous les étages et remboursés par la sécurité sociale » selon le très conservateur portail « Nouvelles de France ».
La polémique lancée prend une dimension politique. L’occasion était trop belle pour la droite républicaine dont la réaction prend même de vitesse le Front national. Pas de doute, la gauche tente une manœuvre désespérée pour pallier le désastre annoncé à l’approche des Elections municipales de 2014. Pour Lydia Guirous, éphémère porte parle des « Républicains » qui met en avant, elle aussi, une jeunesse passée en Algérie pendant les années noires 1992-1999, « il s’agit d’un calcul minable de conseillers de cabinet à la petite semaine : brandissons le chiffon rouge du communautarisme, ça fera monter le FN et perdre la droite républicaine… et les pauvres enfants issus de l’immigration, on les fait rêver mais au final, on ne fera rien pour eux ! Cela s’appelle le cynisme de gauche, dont le père spirituel était François Mitterrand… » Le député UMP de Haute-Loire, Laurent Wauquiez déclare que Hollande et Ayrault jouent aux allumettes sur un baril de poudre. Mais c’est la réaction du président de l’UMP, Jean François Copé qui fait date. Soulignant que ce rapport préconise d’ériger le communautarisme en nouveau modèle pour la France, il interpelle solennellement le chef de l’Etat le 13 décembre : « Notre République serait en danger si vous cédiez à cette tentation en mettant en œuvre, ne serait-ce qu’à minima un rapport dont l’intention est de déconstruire […] cette République». Jean Marc Ayrault lui répond le traite de « menteur». Trop tard, le Premier ministre a déjà perdu la partie.
Tous aux abris
Au sein des cinq commissions nommées à l’époque par Matignon, certains ont vu dans ce tir de barrage un complot venu de la place Beauvau. Le Ministre de l’intérieur d’alors, Manuel Valls, aurait lui-même organisé les fuites pour accélérer la chute de son rival, Jean Marc Ayrault, et prendre sa place. C’était l’époque, où en rentrant de Corse dans un avion gouvernemental, Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur, avait confié à son entourage en voyant au loin de longues trainées de fumée sur Paris : « Espérons que ce soit Matignon qui flambe. »[4]
Reste un problème de méthode. A la suite de leur remise officielle le 13 novembre 2013, les conclusions devaient faire l’objet d’un travail d’arbitrage interministériel avant d’être rendues publiques par le Premier ministre. « Le contrat était très clair, précise l’universitaire Ahmed Boubeker, nous avions une totale liberté de fonctionnement et de parole, mais notre travail se limitait à fournir une boîte à idées, les services ministériels feraient le tri ! Les conclusions de ce processus de refondation devaient être adoptées lors d’une conférence conclue par le Premier ministre fin 2013 qui a été reportée sine die.»[5] Une certitude, Manuel Valls donnera le coup de pied de l’âne à son Premier ministre: « Dans les propositions de ces groupes de travail, il y a des aberrations et des propositions dangereuses qui mettent en cause ce qu’est la France, sa laïcité », confie-t-il au Journal du Dimanche le 14 décembre 2013. Le même jour, le Président Hollande en déplacement à Cayenne siffle la fin de la partie : le rapport sur l’intégration en cinq volets « n’est pas du tout la position du gouvernement » lâche-t-il dans une colère froide. Avant d’ajouter : « Le gouvernement fera des propositions sur l’intégration, mais ce ne sera ni le différentialisme ni le communautarisme ! »Face à la polémique, la gauche a jeté les rapports aux oubliettes, fruit d’un travail de plusieurs mois entre deux cent acteurs de l’université, de la société civile et des institutions publiques. Malika Sorel-Sutter tenait sa revanche.
Rien de révolutionnaire, en fait, n’était inscrit dans les préconisations de ces rapports maudits : la lutte contre la « production industrielle de l’échec scolaire », la création d’ « une cour des comptes de l’égalité » ou la fondation d’une véritable autorité de lutte contre les discriminations. Rien à voir avec la polémique médiatique sur un lobby multiculturel qui chercherait à imposer une « France arabo-orientale » en imposant le voile et les langues africaines à l’école de la République. « Certains membres des groupes de travail ont pu s’inspirer du modèle anglo-saxon, avance Ahmed Boubeker comme une grande partie des sciences sociales aujourd’hui. L’ouverture de l’école aux langues et à l’histoire de l’immigration permet d’assumer des héritages postcoloniaux qui font partie de l’identité française.»[6] Et le sociologue de préciser : « Paradoxalement, nous sommes très critiques sur certaines dérives de la politique de la ville qui ont éloigné les populations des banlieue du droit commun. Le danger du multiculturalisme n’est qu’un épouvantail qui sert les intérêts d’un néo-conservatisme franchouillard et ses lubies sur une « décomposition française.»[7]
Les premières victimes de cet happening gouvernementas sont les chercheurs et les fonctionnaires impliqués dans la refondation. Car au-delà de la bronca médiatique qui prend fin début 2014, les portails identitaires ont continué longtemps à déverser des tombereaux de boue sur leurs noms : « Je propose qu’Olivier noël renonce à son patronyme fleurant trop bon la chrétienté, Olivier Ramadan serait bien plus de mise » ; « Les inspirateurs d’un tel rapport sont des fauteurs de guerre civile. Ils devront être jugés », « Demandez-vous pourquoi ce fameux rapport sur l’intégration est tellement favorable aux immigrés de tous poils. Et allez voir plus bas sur la liste des experts (celle-ci ne cite que les noms à consonance maghrébine) ». Suivent les coups de fils anonymes et les courriers de menace comme ce dessin d’un gibet et d’une croix de lorraine déposé dans la boîte aux lettres d’un des chercheurs avec le commentaire suivant : « Où qu’ils SOIENT, quoi qu’ils FASSENT, les TRAITRES seront CHÂTIES ! »
Rares sont les personnalités publiques qui ont osé à l’époque prendre la défense de ces chercheurs victimes de leur engagement. Dans un article intitulé « Quand les « Arabes » prennent le pouvoir par la plume», la sénatrice Esther Benbassa eut ce mérite : « N’enterrons pas ces rapports ! Enrichissons-nous de leur contenu ! N’ayons pas peur ! C’est un devoir de la gauche que de décrisper la société et d’œuvrer à la construction de ce grand « Nous ». Entendre ces voix reviendrait à entamer la décolonisation de l’action politique. Avant d’engager les réformes demandées pour qu’une autre France soit possible demain. » « Quand les Arabes prennent la plume » ? Peut-être, mais la sénatrice très impliquée dans son soutien aux minorités néglige un détail important. Plus lascars que nature, les Arabes en question peuvent aussi tenir cette plume d’une main droite… très ferme ! Aussi ferme que celle de Malika Sorel-Sutter.
[1] « Décomposition française : comment en est-on arrivé là ? » Fayard. 2015
[2] bvoltaire.fr, 27 mai
[3] Le Figaro du 13 décembre 2013
[4] Cette anecdote a été rapportée à l’auteur par un des journalistes qui accompagnait le ministre de l’Intérieur en Corse ce jour là.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Ibid
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