Le plan du gouvernement français consistait à faire connaître l’émir Abdelkader, retenu au château d’Amboise, pour mieux le préparer au poste de vice-roi de Syrie.
Lors de son séjour au château d’Amboise, l’émir Abdelkader écritvi son autobiographie, avec l’aide de son beau-frère, le grand juriste Mustafa Benthami. Il accepte de raconter sa vie, en parlant beaucoup d’Islam et de « l’arabité », au vu de l’insistance du capitaine Boissonet chargé de le cornaquer.
La prudence de l’Emir
Pour l’inciter à écrire, Boissonet fait venir de Constantine le cadi Chadly. Ce magistrat et théologien de très haut niveau qui finira mufti passe plusieurs mois à Amboise. il se rend plusieurs fois à Paris, pour préparer, semble-t-il, un mariage avec une très jeune parisienne de basse extraction et de père inconnu. Mais les officiers arabisants firent tout pour empêcher ce mariage.
Devinant les arrière-pensées des spécialistes de la question d’Orient, l’émir s’est arrangé pour rédiger un texte difficilement lisible. Au point que Mgr Teissier, qui l’avait récupéré dans les archives de Jack Chevallier, ex-maire d’Alger et ex secrétaire d’Etat à la Guerre dans le gouvernement Mendès-France, a fini par le remettre à l’université d’Alger?
Quoiqu’il en soit, ce sont les deux seuls textes rédigés par l’émir à Amboise, où il n’avait pratiquement pas de bibliothèque.
Ses visiteurs, comme des châtelains de la région, sont admiratifs de sa dignité et de son sens de l’hospitalité. Certains recommandent l’augmentation de ses moyens pour lui permettre de mieux recevoir ses visiteurs, comme il en avait l’habitude. A partir de 1849, l’émir compte parmi ses visiteurs admiratifs, un autre officier arabisant, Ismayl Urbain, mulâtre de Guyane, converti à l’islam et au saint-simonisme. Dans ses courriers écrits après chacune de ses visites, il ne tarit d’éloges sur l’émir qui fascine de plus en plus.
Une triple fraternité
Ayant perdu son pouvoir et sa liberté, l’émir Abdelkader s’est acquitté de son devoir de « témoin », conformément aux nombreux versets coraniques faisant du Prophète le témoin des musulmans et de ceux-ci les témoins des croyants des autres religions. Il a fait preuve d’une triple fraternité: l’islamique (qui relie les musulmans entre eux), l’abrahamique (qui relie aux « Gens du Livre »-le Prophète disait: « mon frère Moïse », « mon frère Jésus ») et l’adamique (un adage dit à propos des non musulmans: « nos adversaires religieusement, mais nos frères d’argile »; « et Adam a été créée d’argile », selon le Coran).
L’émir se conforme à un humanisme authentiquement musulman. Il s’est élevé au niveau d’un universalisme rare à l’époque des nationalismes étriqués, tout en étant enraciné dans sa tradition religieuse et culturelle.
Quand Napoléon III est venu, en décembre 1852, lui annoncer sa libération, l’émir devait attirer l’attention par la noblesse de son attitude. Sa satisfaction était visible quand, dans le discours prononcé par l’Empereur, il n’a compris que le mot « liberté ». Napoléon III lui a rendu un hommage appuyé ainsi qu’à sa mère dont il a baisé la main. Et cela contrairement à ce que suggère le tableau immortalisant cette cérémonie, où le peintre, qui n’y était pas, peint la mère de l’émir en train de faire le baise-main à Napoléon III. Elevé à l’anglaise, l’empereur a eu cette marque de galanterie…
Dans le troisième et dernier volet sur le séjour de l’Emir Abdelkader en France, nous étudierons la réalité des rapports prétendus de cet homme hors du commun avec les loges maçonniques