Les autorités algériennes n’ont pas encore réagi au contenu du rapport de Benjamin Stora sur la mémoire de la guerre d’Algérie. Et cela contrairement à a société civile algérienne dont nous publions cinq témoignages forts.
Le pouvoir algérien attend pour réagir officiellement le rapport de l’alter ego de Benjamin Stora en Algérie, l’historien Abdelmadjid Chikhi. Pour rappel, messieurs Chikhi et Stora ont été nommés en juillet 2020 pour faire des propositions, chacun de son côté, avec l’espoir dans un deuxième temps d’un document commun.
La médiatisation française de la remise du rapport Stora à Macron met la pression sur Alger. Selon des sources concordantes, le rapport de Chikhi serait prêt et n’attend que le retour au pays du Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, actuellement en Allemagne pour des soins de longue durée.
Les autorités algériennes restent silencieuses, mais les intellectuels, les historiens et les journalistes s’expriment et donnent leurs points de vue sur le rapport Stora.
Voici les 5 meilleures lectures algériennes du rapport Stora relevées par Mondafrique.
1- AHMED CHENIKI, journaliste, sur sa page Facebook: « L’inconscient colonial et le rapport Stora »
« La question du rapport colonisateur-colonisé reste encore déterminante dans les relations avec les formes autochtones et les anciennes puissances coloniales. Le colonisé emprunte le discours européen qu’il réemploie dans le sens d’une contestation du colonisateur, mais sans aucune interrogation des outils utilisés. Cette manière de faire engendre chez le colonisé une attitude qui le rend prisonnier du discours colonial et des pratiques de l’ancien colonisateur. Il faudrait que l’ancien colonisé se libère des valeurs du colonisateur et cesse de le prendre comme unique référence. Il faut savoir que celui qui entame le débat vous incite indirectement à épouser les contours de son discours en vous fournissant les éléments de la discussion.Ainsi, je comprends pourquoi beaucoup d’Algériens dans la presse et dans les réseaux sociaux ont réagi au rapport d’un historien français d’origine algérienne, Benjamin Stora, commandé par le président de la république française, comme si cette entreprise discursive était algérienne. Benjamin Stora est un chercheur français qui porte forcément ici les oripeaux d’un acteur politique qui, tenant-compte des rapports de forces caractérisant la scène politique française et les rapports trop complexes marqués par de multiples contradictions des populations françaises avec l’histoire coloniale, élabore un projet politique, des propositions, s’articulant autour d’un certain nombre d’éléments historiques. C’est surtout une affaire franco-française. Ce qui m’intéresserait plutôt ce que proposent les Algériens, en matière de récupération des archives, des biens culturels et d’autres choses. Encore faudrait-il déjà commencer à faciliter la consultation des archives dans notre pays ».
2- KAMEL DAOUD, écrivain dans sa chronique pour « Le Point »: « Les « excuses » de la France sont parfois plus utiles quand on les demande, que lorsqu’on les obtient »
« La vérité est que le rapport Stora ne fera pas bouger les lignes en Algérie, mais il permettra, brièvement, de mettre les rentiers de la décolonisation en face de leur réalité. Celles d’élites et de communautés qui ne veulent pas sortir du mythe trop parfait de leur guerre de Libération, et qui trouvent dans la position de la victime de quoi manger et s’habiller en costume de héros permanent. Il faut alors expliquer (et c’est laborieux) que les « excuses » de la France sont parfois plus utiles quand on les demande, que lorsqu’on les obtient. Et que mettre fin à la guerre des mémoires par le recours à l’histoire, ou, à l’extrême, clore le dossier par uun acte de repentance ou de reconnaissance, obligera en Algérie à endosser le présent, qui est l’ennemi universel des vétérans. Lucidité Les fameuses « excuses » sont une exigence morale pour beaucoup d’Algériens. Leur préalable cependant fausse le récit de l’histoire et occulte le véritable récit du passé et du présent. Elles peuvent se justifier, mais c’est un préalable de mauvaise foi, sinon stérile aujourd’hui. Pour surmonter le déni des uns et la ruse politique des autres, il faut un travail d’historiens, de récit, de mots à trouver et de sortie de la mythologie d’entretien, un deuil des narcissisme collectifs. Ce qui en Algérie n’est pas encore le cas, ni en France. L’acte de lucidité sur soi et les autres menace tant de royaumes de vétérans… »
- Extrait, lire l’intégralité de la chronique ici : https://www.lepoint.fr/editos-du-point/sebastien-le-fol/kamel-daoud-france-algerie-que-faire-si-on-arrete-la-guerre-23-01-2021-2410865_1913.php
3- Hosni Kitouni, historien algérien sur sa page Facebook. « Mr Macron fait planer le doute sur sa sincérité et aussi sa parole ».
« Mr Stora ne s’en est jamais caché, il est un historien français, qui défend la mémoire et les intérêts de la France avec le souci d’être le plus utile à son pays. Le rapport est tout à fait empreint de ce positionnement et se veut néanmoins suffisamment ouvert vers la partie algérienne pour emporter son adhésion. Mais sur des questions tout à fait secondaires et sans incidence sur le fond. Or comment prétendre réconcilier les peuples et les mémoires , sortis de 132 années d’une terrible cohabitation, quand on ne veut pas reconnaître d’emblée la cause essentielle des souffrances et des traumatismes subis par tous ? Mr Macron avait fait un pas important, en reconnaissant publiquement que la colonisation est un crime contre l’humanité, ce faisant il a levé la première hypothèque , restait tout le reste , voir comment traduire cette prise de positon éthique, en gestes politiques et mémoriels. Or , d’après un article du Monde, l’Elysée déclare que ces propos tenus par Macron candidat ne peuvent pas être tenus par Macron président. En se dédouanant ainsi, Mr Macron fait planer le doute sur sa sincérité et aussi sa parole. Dès lors, les propositions de Mr Stora ne pouvaient qu’être un catalogue insignifiant sans aucune portée historique, puisque majoritairement tourné vers la période de la guerre 1954-1962 et ses séquelles ou ses problèmes mal réglés. Je pense notamment à la reconnaissance de l’assassinat de maître Boumendjel par la police française. Mme Malika Rahal a déjà rendu justice à l’avocat assassiné par un livre magistral qui dit toute la vérité. Et son assassinat est aujourd’hui de notoriété publique. Même si sa famille a besoin de cette reconnaissance et qu’elle l’exige, mais la poser comme un geste fort de la France c’est vraiment se foutre du monde. Les cimetières à préserver, pourquoi ne pas citer celui de Sainte Marguerite où sont enterrés des centaines de déportés algériens. La libre circulation des personnes y compris celle des harkis ? Les disparus des deux côtés etc.. Un jeu d »équilibrisme et du donnant donnant. Dans la panoplie des gestes fort de la France ç’aurait été de reconnaître 1. La souffrance des déportés algériens en Nouvelle Calédonie et à l’île Sainte Marguerite…2.La compensation du pillage du trésor de la Casbah.3. La restitution des manuscrits pillés dans les bibliothèques personnelles et celles des zaouïas…Le rapport de Mr Stora indique de manière claire que le France n’est pas prête à faire une vraie avancée sur la question du passé colonial et celle de la mémoire. L’éléphant a accouché d’une souris. Mais même avec ces limites, il met cependant au pied du mur la partie algérienne qui d’une part n’a pas fait avancer le dossier d’un iota, et d’autre part se retrouve privée de la feuille de vigne derrière laquelle, elle a jusque là caché son indigence politique : il n’y aura pas de repentance de la part de la France. Alors que faire Mr mémoire algérienne ! »
4- Hassan Remaoun, historien, dans un entretien accordé à l’APS. « C’est désormais l’honneur des Français qui est en jeu face aux crimes que les colonialistes ont fait peser sur leur conscience »
« Il faut d’abord définir le rapport de Stora. Il ne s’agit pas de l’élaboration d’une nouvelle version de l’histoire de la colonisation française en Algérie et de la Guerre de libération nationale, mais plutôt de la présentation d’un état des lieux mémoriel et des retombées que cela suscite dans les relations franco-algériennes, dont l’objectif est d’assumer le lourd contentieux légué dans ce domaine par l’histoire et d’apaiser autant que possible les mémoires de tous les concernés» (…) Benjamin Stora a essayé de jouer un rôle de « facilitateur » en proposant des voies et moyens susceptibles, notamment du côté français, d’aller dans cette voie. Sur la question de la reconnaissance de la France de ses crimes commis durant la période coloniale, des excuses ou une repentance des Français ne rendraient pas justice à tout ce que notre peuple a subi, même si une reconnaissance des crimes commis nettement affirmée pourrait contribuer à l’apaisement des relations entre les deux peuples. Franchement, je pense que nous avons lavé l’offense coloniale en libérant de haute main notre pays et que notre honneur est sauf. C’est désormais l’honneur des Français qui est en jeu face aux crimes que les colonialistes ont fait peser sur leur conscience. Passer à la phase de la demande du pardon ou de l’acte de reconnaissance des crimes coloniaux commis se fera lorsqu’ils se sentiront prêts pour un pareil acte de courage ! »
5- ABDELAZIZ RAHAB, ancien ministre et ex-diplomate ( Sur son compte tweeter ) : « Chacun doit assumer son passé »
« Le rapport Stora ne prend pas en compte la principale demande historique des algériens , la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation. Il ne s’agit ni de repentance, notion étrangère aux relations entre Etats ni de fonder une mémoire commune, les deux pays étant héritiers de deux mémoires antagoniques sur cette question . Pour les reste , chacun doit assumer son passé et les deux Etats sont tenus de mettre en place les conditions d’une relation apaisée et tournée vers l ‘avenir » .