Farmo Moumouni, philosophe et écrivain, se penche sur les relations très variables entre le président de la République, Emmanuel Macron, et les intellectuels africains qui ont conquis une vraie légitimité en France, comme Alain Mabanckou et d’Achille M’bembé
Une chronique de Farmo Moumouni
« Entre la France et l’Afrique ce doit être une relation d’amour »; « La France a une part d’Afrique en elle. Nos destins sont liés » Les propos sont d’Emmanuel Macron. C’est le même qui, prenant à témoin les chefs d’État du G-5 Sahel, s’indigne et s’offusque du sentiment anti-français qui se développe en Afrique.
Une certitude, il faut envisager les relations France-Afrique avec de nouveaux interlocuteurs « face au discrédit des élites politiques » comme le recommandait le Centre d’analyse, de prévision et de de stratégie (CAPS) du ministère français des Affaires Étrangères.
Quand un pays accueille un continent
L’intellectualité africaine avec ses facultés multiples, ses compétences diverses et ses têtes pleines offrait une option intéressante. La solliciter, la mobiliser, l’allécher et la mettre à son service était en ces circonstances la chose idoine à faire. C’est donc avec son concours que Macron compte mener la reconquête de l’Afrique. Un Conseil présidentiel pour l’Afrique est créé, des comités divers sont mis en place. Ils sont formés d’Africains du continent et d’Africains de la Diaspora. Ils sont de tous les métiers : philosophes, politologues, avocats, historiens, architectes, économistes, écrivains, commissaires d’expositions, anthropologues, gynécologues, etc. Ils offrent un large spectre de compétences. Ils viennent d’une dizaine de pays, plus de la moitié est constituée d’anciennes colonies françaises. Et pour donner une allure continentale à l’ensemble, on l’a composé de pays du Nord, du centre, de l’ouest et du sud, aux pays francophones, on a adjoint quelques pays anglophones.
Était-ce assez pour s’affubler du nom d’Afrique, et parler au nom d’un continent qui compte cinquante-quatre pays ? Mais qui se soucie du caractère abusif et de la prétention de cette appellation, et de cette drôle d’assemblée dans laquelle un pays seul est l’interlocuteur d’un continent entier ?
Mais il faut surtout se demander si cette quête d’Afrique est assez crédible pour que des intellectuels africains acceptent de s’y engager aux côtés d’une France qui n’a pas d’amis, mais seulement des intérêts, selon le mot du général de Gaule. À ce propos, mes observations m’incitent à croire que l’Africain de la postcolonie ne s’est pas suffisamment libéré de son passé colonial, qu’il y a encore en lui des relents de ce larbinisme et de ce complexe d’infériorité que Césaire, déjà dans les années 30 dénonçait : « je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme » L’Africain de la postcolonie aime servir, il aime servir l’ancien maître, en le servant il se sent être, il se sent valorisé. Il acquiesce promptement aux demandes de l’ancien maître, répond à ses sollicitations avec empressement. Il obéit et exécute avec enthousiasme. Son ravissement est grand. Il a trouvé une raison de se faire valoir. La demande est un honneur, l’acceptation une distinction, la reconnaissance de l’ancien maître une consécration.
Une Francophonie discréditée
Pourtant, au milieu du délabrement de la mentalité et du naufrage de la pensée, quelques individualités avaient émergé et s’étaient affichées comme modèles de résistance et de liberté. C’est le cas d’Alain Mabanckou et d’Achille M’bembé Par une correspondance datée du 13 décembre 2017, Emmanuel Macron invite Alain Mabanckou à participer à un travail de réflexion sur la langue française et la Francophonie. Le 15 janvier 2018, le lauréat du prix Renaudot par une lettre ouverte au président oppose une fin de non-recevoir : « Par conséquent, écrit-il, en raison de ces tares que charrie la Francophonie actuelle – en particulier les accointances avec les républiques bananières qui décapitent les rêves de la jeunesse africaine – j’ai le regret, tout en vous priant d’agréer l’expression de ma haute considération, de vous signifier, Monsieur le Président, que je ne participerai pas à ce projet »
Finalement Alain Mabanckou acceptera de participer à un autre projet initié par Emmanuel Macron, le dialogue entre la France et l’Afrique qui sera lancé lors d’un colloque en Octobre prochain, à Montpellier. De ce retournement, l’intellectuel Achille M’bembé qui a été chargé de préparer cet événement est peut-être la cause.
Jusqu’à présent Achille M’bembé avait été très critique de la politique française. En 2017, il avait jugé que le discours du président Macron à Ouagadougou n’était qu’une opération de marketing. Lorsque Macron voulut y associer la diaspora au projet, il martela : « Le choix des diaspora, comme bras civil de la croisade pro-entreprise, risque d’aviver la course aux rentes et les penchants affairistes » Fans les idées de M’bembé, dans sa critique de Macron et de la politique française en Afrique, il y a eu une mutation, depuis qu’il fut reçu à l’Élysée, et qu’à ses amis Felwine Sarr et N’Goné Fall, le président Macron avait confié la production d’un rapport sur la restitution des biens culturels africains à l’un et l’organisation de la saison Africa 2020.
Au sortir du palais de l’Élysée, M’bembé trouve des vertus au président Macron et des raisons d’espérer. « Ainsi, à grand renfort de tambours, après avoir été des années durant l’un de ceux qui auront le plus fustigé Emmanuel Macron sur la France-Afrique, subitement, Achille Mbembé en devient l’hôte, qui apprécie et vante le mérite de son invitation au 28e Sommet Afrique France. Du statut de grand pourfendeur, trop facilement acquis et à peu de frais, on le découvre complimenteur effervescent. Quelle métamorphose et quelle conversion ! », estime e philosophe Pierre Tavares
Lorsqu’on pose à M’bembé la raison de son ralliement à l’offre d’Emmanuel Macron, il salue « la curiosité intellectuelle » du président français. On ne peut attendre moins de l’intellectuel qu’il est. Mais les rapports entre la France et l’Afrique qui depuis soixante ont causé tant d’injustices, tant d’exactions et de crimes, supposent autre chose que de la curiosité intellectuelle: une action transformatrice.