En imposant de plus en plus sa présence dans les textes de rap et la vie des rappeurs eux-mêmes, l’islam est devenu un véritable outil de contestation sociale pour les artistes.
Rap et Islam en France sont liés par leur histoire. Si certains rappeurs n’y font pas, ou que très rarement référence, d’autres, depuis quelques années, évoquent avec force cette religion dans leur texte, en faisant un instrument identitaire et contestataire. Ces rappeurs semblent faire renaitre le rap comme contre-culture s’opposant délibérément à la culture dominante. Ce style musical met par ailleurs en lumière des personnes qui n’ont pas les attributs de « l’identité nationale ». Ainsi, l’islam dans les paroles de rap rappelle le positionnement de ce genre musical tel qu’il était utilisé à son arrivée en France. La place importance qu’il occupe dans les textes de rappeurs révèle aussi la nouvelle place de celui-ci dans l’espace public.
Le retour du religieux
La présence de l’Islam dans le rap semble induite par l’histoire du rap en France ainsi que par son lien avec l’immigration post-coloniale. Sa représentation, par des rappeurs au XXIème siècle, est du à un retour du religieux, à une recherche identitaire, et aux débats politiques qui animent l’espace public depuis les attentats du 11 septembre 2001. Elle est aussi la conséquence de l’interrogation – aujourd’hui en France – de la cohabitation entre laïcité et religion musulmane.
Le rap, à ses débuts en France, donnait l’opportunité à ses acteurs d’aborder de façon continue et persistante les pérégrinations sociales et intellectuelles de leurs jeunesses dans les quartiers, de leurs relations au monde, et plus précisément celui représenté par l’ordre étatique français (institutions et représentants de cet état), du racisme qu’ils vivaient au quotidien. Dans ce monde apparaissait une jeunesse reclus dans des zones urbaines délaissées, et dans lesquelles la mixité sociale était presque aussi nulle que les activités culturelles. Les rappeurs de la première génération ont su mettre en lumière les remous, les troubles de leur quotidien. Le thème de la religion n’était pas ou très peu présent, il ne s’agissait pas alors d’un stigmate aussi marqué que ceux de l’ethnie, de l’origine sociale, elle ne servait pas encore à ce point de marqueur culturel.
Aujourd’hui des artistes musulmans revendiquent et attestent de leur croyance et de leurs pratiques. Le thème religieux implique avant tout une dimension poétique et mystique dans les textes. Les allusions sont dans ce cas personnelles, intégrées à la prose. Kery James évoque dans quelques uns de ses morceaux les raisons de sa foi, les qualités que la religion lui a permis d’acquérir. Les textes qui ont une empreinte spirituelle représentent l’auteur du texte. À cet effet, les rappeurs content parfois une histoire religieuse ou bien ils figurent une prose mystique, à l’image des poèmes islamiques. Les deux exemples les plus parlants sont les chansons de Kery James et d’Abd al Malik (du groupe NAP) : « Maryam », et « La mystique d’Abd al Malik ». Dans « Maryam », on entend la vie telle qu’elle est énoncée dans le Coran, de la mère d’Issa (prénoms musulmans de Marie et Jésus). La mystique d’Abd al Malik décrit la spiritualité du rappeur et les questions qui lui sont inhérentes. Rohff inscrit sa musique dans un univers différent que ces deux derniers (un registre plus « bling-bling », une surexposition de son rôle de banlieusard), bien que relevant dans plusieurs de ses morceaux sont attachement à la religion dont il est héritier. Dans « Dounia » il montre le paradoxe qu’il vit dans son quotidien, entre valeurs religieuses et ses pratiques de jeune artiste: « Entre la vie mondaine et le Din, profond est le coma» etc…
Une bonne image de l’islam
En outre, les rappeurs qui se targuent d’être de fervents pratiquants de la religion musulmane et qui usent du thème religieux dans leurs textes semblent déployer la même démarche que celle des rappeurs des années 1990. Seulement, les débats ont changé. Le déplacement de la question raciale au problème religieux dans les débats publics implique une différence dans les textes. Les rappeurs en sont conscients puisque transparait dans leur discours la volonté de « montrer une autre image de l’islam », de répondre à une violence qui leur a été faite.
Un point particulier permet de distinguer clairement cette catégorie de rappeurs : leurs paroles sont empruntes des valeurs musulmanes, c’est-à-dire que ne seront pas audible dans leurs morceaux des expressions, des termes, qui n’iraient pas dans le sens de leur foi. Ainsi la misogynie, les valeurs capitalistes que l’on retrouve dans le rap français commercial ne sont pas présents. Il y a en outre une volonté d’ « exemplarité » chez ces rappeurs. Lors d’une interview donnée au Figaro, Soprano (pourtant auteur de rap grand public, diffusé en radio) énonce par exemple : « J’ai réalisé la portée de mes paroles. À partir de là, j’ai décidé de sourire à la télé. Je représente mes parents, mais aussi une religion, une communauté. Je ferai toujours attention à ce que je dis dans n’importe lequel de mes textes, il y a des jeunes qui nous écoutent. ». Cette interview a été donnée afin de faire la promotion du livre du rappeur d’origine comorienne. Pourtant le titre de l’article « Je suis musulman pour aimer pas pour armer », l’omet et se place dans la continuité des stigmatisations. Il est d’emblée défini par le biais de sa « communauté » musulmane, alors que le livre semble développer bien d’autres thèmes sociaux héritiers de sa vie. Les médias sont souvent dénoncés par les rappeurs comme les premiers responsables de l’image négative de l’islam en France, insistant sur le « parallèle entre musulmans et jeunes de banlieue », délinquants de banlieue.
Contre le rap bling-bling
Cette volonté de donner une meilleure image de l’islam que celle véhiculée par les médias et les politiques, « Tiers Monde » nous l’a confié. Il dit essayer d’approcher l’exemplarité dans sa vie sociale par delà ses actes cultuels. « Tiers monde » insiste sur l’importance de l’islam dans son quotidien et de ce fait, de son influence sur sa musique. Il explique par ailleurs que cette dernière demeure très sociale mais que le discours qui y est audible « reste écrit par un musulman. » Tarek, jeune parisien qui rappe depuis plus d’une dizaine d’années, défend la même idée. Ce besoin de vérité, de réalité dans certains types de textes de rap, permet de faire de cette musique un « acte social ».
Certains appliquent ce précepte d’engagement uniquement via leur texte, d’autres prennent leur statut de porte parole très au sérieux et continuent leur engagement au-delà de la scène. C’est le cas de Médine qui enchaîne les conférences sur des thèmes politiques, sociaux et religieux. Dans ses morceaux, il délivre des textes provocateurs dans lesquels la religion est le sujet majeur : son traitement médiatique, les préjugés dont elle est victime, les débats politique, etc… Il s’agit ni plus ni moins de textes qui prennent la défense de la religion musulmane et de sa communauté, bien que l’artiste nit cette interprétation. Il dit pourtant lui-même user d’une prose de combat. Son discours n’est pas tout à fait lisible, audible, car il joue de paradoxes dans ses morceaux et ses interviews, ce qui a pour résultat de troubler la compréhension que l’on pourrait en avoir. Par ailleurs, sa dernière chanson « Don’t Laik » a nécessité une explication de sa part au bas de la vidéo postée sur le site internet Youtube. Si ses chansons sont considérées par certains auditeurs comme prosélytes, c’est qu’il y défend des idées brutes dans lesquelles l’islam est souvent mis en avant. Il y reproche à la société française ses amalgames, ses craintes et ses phobies. Il ne s’agit pas ici d’un prosélytisme religieux mais plutôt politique.
Cette présence de l’islam dans le rap français représente un mouvement complexe. Le rap a évolué et a mué en différents styles. D’une part les Mcs qui usent de ce thème ont du recul par rapport au rap qui se pratiquait à sa naissance en France et tentent volontairement d’utiliser les qualités contestataires de ce medium afin de faire passer leur message. Ces nouveaux rappeurs l’utilisent consciemment comme d’un outil qui lui permettent de s’insurger. Ils clament aisément leurs revendications, et se vantent de faire du rap intelligent. D’autre part, ils se situent en opposition au rap commercial, « bling-bling », qui ne s’érige plus contre l’ordre établi, et qui ne joue des stigmates raciaux que pour attirer un certain public.
L’héritage des quartiers
Les rappeurs « musulmans » semblent tous insister sur un même point : il y a un moment donné où l’individu fait le choix de se tourner vers la religion. Qu’il y a un moment de leur vie où leur curiosité les y a poussé et où ils ont décidé de devenir religieux, de respecter les préceptes islamiques. Ainsi ils affirment que l’on ne nait pas musulman, que l’on nait de culture musulmane mais pas de culte musulman. Les rappeurs d’origine arabe/berbère (Maghreb) ou sub-saharienne qui font des allusions au religieux, font un emploi des termes qui restent souvent culturelles, relèvent de leur éducation.
Par ailleurs, l’important nombre de conversions dans ce milieu ne semble pas être dû à la prégnance religieuse de certains textes. Il apparaît plus crédible que ce soit le lieu de vie et les personnes que l’on côtoient qui permettent cette démarche. Aussi le rap en France est héritier des « quartiers », des espaces dans lesquels les enfants et petits enfants d’immigrés ont vu le jour. Si Abd al Malik s’est converti comme Kery James ou Akhenaton, c’est parce qu’ils ont grandi au contact de cette jeunesse. Ces espaces ont favorisé une rencontre avec l’Islam culturelle et/ou cultuelle. Il est en revanche évident que certaines personnes tentent de faire du prosélytisme à travers ce phénomène, mettant en avant les conversions de certains rappeurs et « le bienfait » que celle-ci a pu avoir sur leur comportement.