Abdoulaye Sounaye, spécialisé dans l’observation des dynamiques croisées de l’islam et de l’urbanisation chez les jeunes, explique les violences urbaines nées ces derniers jours au Niger d’une application brutale du confinement en plein Ramadan .
Un entretien avec Nathalie Prevost de Mondafrique
Abdoulaye Sounaye, affilié au Leibniz ZentrumModerner Orient de Berlin, enseignant chercheur à l’Université Abdou Moumouni et au Lasdel de Niamey, est l’auteur de l’ouvrage « Islam et Modernité, contribution à l’analyse de la ré-islamisation au Niger. »,
Mondafrique Comment analysez-vous les mouvements de protestation observés au Niger contre les mesures imposées dans le cadre de la lutte contre la pandémie du Covid-19 ?
Abdoulaye Sounaye : Evidemment, l’interdiction de la prière dans les mosquées a pu jouer le rôle de détonateur chez certains jeunes. Mais au fond, ces manifestations violentes s’expliquent d’abord par une frustration sociale et culturelle.
Les jeunes des grandes villes sont très attachés à une certaine mobilité sociale, notamment nocturne, qui leur permet, par exemple, de se réunir dans les fadas (groupes de pairs). Quand on les prive de cette vie, très importante pour eux, c’est comme si on les mettait en prison.
A cet aspect social et culturel est venue s’ajouter l’interdiction de la prière collective à la mosquée. Je n’ai, évidemment, pas de statistiques, mais je suis sûr que la plupart des jeunes qui ont manifesté, ce ne sont pas des gens qui tiennent vraiment à la mosquée. Mais ils ne pouvaient pas accepter qu’on les prive de ce moment nocturne qui leur est cher et il fallait qu’ils manifestent leur mécontentement et leur frustration.
Comme on est dans un contexte où le discours religieux est très important, très symbolique, les jeunes l’ont pris à leur compte et l’ont intégré à leur protestation.
Mondafrique : L’allègement du couvre-feu et le début du Ramadan ont-ils été au Niger des facteurs de retour au calme ? Pourquoi ?
Abdoulaye Sounaye : Peut-être que les choses se seraient calmées d’elles-mêmes. Car le mode d’action des jeunes ne s’inscrit pas dans la durée. Ils aiment les coups d’éclat ; les actes spectaculaires. C’est un mode opératoire typique de l’action jeune. On l’a vu dans les manifestations après l’attentat contre Charlie Hebdo. Ils n’ont pas prétention à durer. Le pouvoir de la rue qu’on voit émerger à Niamey n’est pas vraiment très structuré. Il y a une forme d’émulation mais pas forcément d’organisation. Des messages ont circulé sur les réseaux sociaux, protestant contre des interpellations pendant le couvre-feu. Puis, ça s’est amplifié. Il y a une sorte d’émulation entre quartiers, typique de cette volonté des jeunes de la capitale de se définir en tant que Niameyze, habitants de Niamey.
Evidemment, le fait que les pouvoirs publics aient pris la décision de ramener le couvre-feu de 21h00 à 05h00 du matin (contre 19h00 à 06h00 auparavant), ça a permis aux jeunes de constater qu’on les avait écoutés.
Mais le Ramadan aussi aurait eu un effet sur ces humeurs-là. C’est un moment qui demande beaucoup d’énergie. La dynamique de groupe, pendant le Ramadan, est aussi tout à fait différente. Mais mon analyse, c’est que l’essentiel ne vient ni de la mesure du couvre-feu ni du Ramadan mais plutôt du mode d’action des jeunes qui ne s’inscrit pas dans la durée.
Mondafrique : Le mois de Ramadan sera-t-il calme, finalement, selon vous, malgré ce contexte tout à fait singulier cette année?
Abdoulaye Sounaye Selon les statistiques qui nous sont communiquées, les cas positifs n’augmentent pas de façon extraordinaire. Je pense donc que les mesures contre l’épidémie seront maintenues mais avec une certaine souplesse d’application, dans un contexte de mois de Ramadan, de nuits de Ramadan, qui vaut pour les jeunes comme pour les forces de défense et de sécurité. Enfin, il ne faut pas oublier l’économie informelle au jour le jour, qui n’est pas compatible avec le confinement. Beaucoup de métiers s’exercent la nuit : les vendeurs de nourriture, les marchés de nuit. Il faudra bien sûr en tenir compte.