« Nous reprendrons le combat anticolonial là où Houphouet l’a laissé » : il y a longtemps que Laurent Gbagbo, l’ancien président ivoirien rentré dans son pays le 17 août, s’est explicitement posé en héritier du « Père de la Nation ».
Une chronique de Michel Galy
La refondation du FPI, transformé en PPPA- CI (Parti des peuples africains- Cote d’ivoire) a occulté pour les observateurs la grande entreprise pan africaine du vieux combattant anti colonial, qui au soir de sa vie veut recommencer la grande aventure du Rassemblement démocratique africain des Indépendances.
Comme historien , Laurent Gbagbo a scruté de prés cette période charnière qui a vu les jeunes nations émerger du carcan colonial, comme le démontre son ouvrage un peu oublié sur la « Conférence de Brazaville »(1978) .Déjà dans sa thèse en Sorbonne(1979), Gbagbo analysait , en pleine période marxiste, les « conditions d ‘émergence du capitalisme en Cote d’ivoire ». Ses écrits politiques ultérieurs , notamment pendant son exil en France où il a établi des liens non seulement avec la gauche française, mais aussi avec des exilés pan africains ,l’ont amené à étudier cette tentative manquée du Rassemblement démocratique africain et de ses « démembrements » nationaux : le PDCI d’ Houphouet n’a t-il pas été officiellement le PDCI-RDA ?
Cette tentative pan africaine a échoué tout d’abord à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest, à l ‘époque coloniale AOF, Afrique occidentale française. Les conflits de personnes, les ego ou ambitions, les nationalismes naissants ont abouti à la dissolution de ce généreux projet mais aussi à l’émergence, dans chaque pays, des présidents fondateurs et à la fin du multipartisme.
La montée du ressentiment contre la France
C’est cette lutte anti coloniale que Laurent Gbagbo entend reprendre : d’une part parce que pour lui l’Histoire n’est jamais finie, mais cyclique et toujours à recommencer;
Deux éléments internationaux entrent en jeu : d’un coté , via les réseaux sociaux et concomitamment à l’offensive djihadiste autour du Sahel, on assiste depuis peu de temps à une remise en cause en profondeur de l’ordre néocolonial établi – avec un fort sentiment et même ressentiment anti français, ainsi qu’à une contestation des despotes ou leaders locaux, aboutissant paradoxalement à une série de coups d’État militaires, comme au Mali, Tchad ou Guinée.
Le « Parti des peuples africains » se verrait bien récupérer politiquement cette masse de militants encore peu organisés, et projeter rancœur et rumeurs vers un projet politique continental.
L’autre projet , parallèle et institutionnel, serait de substituer un projet politique aux organismes continentaux qui , du point de vue d’une opinion africaine très critique, ont fait faillite. L’Union africaine ou les organisations régionales comme la CEDEAO ne sont ils pas impuissants devant les conflits africains, toujours alignés- et d’ ailleurs financés par Paris et les pays occidentaux ?
D’où une partie du discours programmatique de Gbagbo au Congrès se référant explicitement à la création des États unis d’Amérique, à partir des « 13 états d’origine »:les pays d’Afrique francophone ne sont t ils pas d’un nombre sensiblement égal ? Des institutions régionales comme la Cedeao ou continentales comme l’UA existent certes, mais comme relais des occidentaux, comme le démontrent en ce moment leur interventionnisme dans les crises du Mali et de la Guinée.
Rapprochement des peuples camerounais et ivoirien
Il faudrait donc reconstruire du bas, de militants et de partis à la fois mobilisés dans un cadre national, mais interdépendants, liés par delà les frontières pour un objectif commun. Ce qui se passe ponctuellement et à distance dans de curieux binômes spontanés : l’union des populations du Cameroun et de la Cote d’Ivoire, autour de crises successives, notamment du sort de Laurent Gbagbo à la CPI, est bien connu.
Cette symbiose des opinions francophones s’est développée autour de télévisions ou radios web enflammées, tel Afrique média, aussi suivie à Douala qu’à Abidjan, et qui ont servi de source de contre information pendant la dernière décennie, jusqu’à concurrencer les médias officiels et internationaux.
De manière plus diffuse, et autour de personnalités phares ou de forum pan africains, le web a servi ce panafricanisme nouveau qui est une sorte de 3eme vague du militantisme. Et la jeunesse africaine y passe le plus clair de son temps, malgré des outrances et des simplismes, et bien que des entreprises de désinformation , notamment russe mais toujours complotiste, y prospèrent .
Effectivement tout concourt à la formation d’une opinion pan africaine de plus en plus anticolonialiste, et il faut bien le dire anti française. Le formidable pari serait donc de transformer cette mouvance impuissante en un parti transcontinental porteur d’un projet commun et constructif.
Mais avec qui s’allier ? Avec, en Cote d’ivoire même, Mamadou Koulibaly au parti de Simone Gbagbo dont les statuts demandent à être éclaircis? ou avec des leaders de petits partis comme Eric Kahé ou Danielle Boni Claverie? Une mouvance d’alliés peut suivre le PPA sur sa ligne idéologique, alors qu’un accord électoral lie Laurent Gbagbo à Henri Konan Bédié du PDCI.
Mais ailleurs ? Le cas des diaspras restent en suspens, notamment en France et en Europe ; pourtant c’est là que, comme dans l’histoire du panafricanisme , se sont nouées déjà des alliances transfrontalières , comme avec les diasporas du Cameroun, Togo, Congo etc…
Du tchadien Succes Masra au sénégalais Ousmane Sonko
En Afrique la mouvance panafricaine ne correspond pas aux partis classiques, et dans une effervescence militante les déborde et les néglige. Aussi bien Laurent Gbagbo et le PPA CI avaient invité des personnalités et des représentants étrangers , avec qui les tractations se sont poursuivies de jour et de nuit.
L’allié le plus évident est peut être le jeune Succes Masra du Tchad, charismatique leader des « Transformateurs » et de la société civile, ou pour le Sénégal, le jeune et dynamique Ousmane Sonko. Coté anglo saxon-mais les frontières coloniales sont bien vives et ce pan africanisme est pour le moment francophone- ses homologues seraient Julius Malema d’Afrique du Sud ou Bobi Wine d’Ouganda.
Selon l’ancien Ministre Koné Katinan, porte parole du PPA CI, des liens historiques existent comme avec le NDC(Congrès démocratique national fondé par Jerry Rawlings) du Ghana ou l’UDPS du président Tschisekedi en RDC- à distinguer des amitiés personnelles du président Gbagbo avec Jean Pierre Bemba , son co détenu de La Haye , lui aussi innocenté.
Des affinités naturelles de génération et d’engagement à la FEANF( Fédération des étudiants d’Afrique noire, source lointaine d’un pan africanisme d’exil parisien) avaient existé avec IBK du Mali ou Alpha Condé de Guinée, l’un et l’autre aujourd’hui renversés ; mais si pour le Mali la mouvance autour du parti Sadi d’Oumar Mariko est électoralement très faible, une coalescence panafricaniste est toujours possible, comme le montre la récente union des sankaristes du Burkina- à laquelle justement Katinan représentait le PPA à Ouagadougou. Si le pan africanisme , en général, cherche encore sa voie, l’utopie politique du Parti des Peuples africains semble donc d’un avenir incertain, dans des alliances mouvantes à l’international. Peut-être projet en devenir, peut être testament d’un vieux leader passé du rôle d’opposant à celui de président, puis de martyr des forces impériales à celui de leader trans continental.
Contrairement à une idéologie militariste et impériale diffusée en France dans le milieux militaires et militaristes, nationalismes et panafricanisme ne sont nullement les ennemis stratégiques de l’influence française : paris sur l’avenir du continent et sur des relations Nord/ Sud rééquilibrées, ce sont paradoxalement sa dernière chance. L’alternative, devant la montée en puissance d’un rejet exacerbé des bases militaires françaises et des interventions armées, du Franc CFA et d’une coopération archaïque, est bien entendu un scénario à l’afghane : un retrait total et précipité.