Le mouvement DADA, véritable révolte artistique née à Zurich au cœur de la Grande guerre a fait découvrir l’art nègre à l’Europe, comme le montre une superbe exposition au musée de l’Orangerie à Paris
Avec un humour corrosif et iconoclaste – l’ironie du désespoir ? – le mouvement Dada, créé en 1916, revendique un rejet des valeurs traditionnelles de cette civilisation occidentale qui sombre dans le désastre et la boucherie de la grande guerre. Un nouveau regard s’impose, braqué sur d’autres systèmes de pensée et de création, qui va inciter toute une joyeuse bande d’artistes d’avant-garde à s’approprier d’autres cultures. Celles qui sont considérées jusqu’alors comme barbares ou archaïques par l’establishment européen, notamment la culture africaine.
Une liberté d’expression ritualisée
Une superbe évocation de cette rencontre décisive entre les arts extra-occidentaux et les œuvres des dadaïstes les plus célèbres : Hannah Hoch, Jean Arp et sa femme Sophie Taueber-Arp, Hans Richter, Tristan Zara, mais aussi Man Ray, Picabia, Picasso et bien d’autres…
Peinture et sculpture sont au rendez-vous, mais pas seulement : ce qui lie intimement les arts dits « premiers » aux préoccupations des dadaïstes (puis des surréalistes) c’est précisément le refus de fixer des frontières entre art et artisanat, c’est le « ready-made » et cette propension libératrice à jongler avec tous les modes d’expressions. Car L’art Dada est ouvert et survole les frontières. Il n’a pas de programme mais une « force explosive » qui le fait décoller vers tous les pôles et tous les médiums. Il ne s’inspire pas seulement de la sculpture africaine, il est tout aussi passionné par la musique, les danses rituelles.
Ainsi sont évoqués les soirées Dada à travers de précieuses archives de film et de danse tout comme des documents musicaux. On découvre aussi la diversité, l’inventivité des productions dada en matière de création textile (costumes) de graphisme (affiches) de bijoux, tapisseries, broderies inspirées de l’artisanat africain, asiatique ou océanien, de collages, de créations de poupées et de marionnettes qui font écho à la dimension protéiforme des arts extra-occidentaux.
Une joyeuse danse macabre
Sophie Taeuber-Arp conçoit Le Roi Cerf en 1918. On rencontre sur sa scène treize marionnettes. Il y a Smeraldina, Truffaldino, Perroquet, bien sûr Cerf et Dr Komplex. Ils sont entourés des autres protagonistes du conte comique. Bois, peinture, huile sont bricolés. Comme les costumes qu’imagine l’artiste en copiant les poupées Katsina des Hopis d’Arizona.
Autant de formes d’expression artistique qui font exploser les cadres de la culture académique jugée moribonde, celle qui a engendré les atrocités de la guerre. Car c’est bien la guerre et le carnage qui sont en toile de fond de cette joyeuse danse macabre et ce n’est sûrement pas un hasard si l’exposition s’ouvre sur l’évocation des 200 000 tirailleurs sénégalais – ce corps militaire constitué au sein de l’empire colonial et qui regroupe les soldats africains se battant sous le drapeau français, au fond des tranchées : drôle d’endroit pour une rencontre artistique. Mais la rencontre est belle… et bien là.
Du Cabaret Voltaire au Bal Nègre
De cette bousculade, surgissent des pépites. Le tout est roboratif.