La pièce « Nuit blanche à Ouagadougou », actuellement jouée à Paris, au Tarmac, raconte en mouvements et en paroles la révolte d’un peuple contre son président. Au Burkina Faso, la réalité a très vite rattrapé la fiction : à peine quelques jours après la première représentation, le pays s’est soulevé et son chef d’Etat, Blaise Compaoré, a abdiqué.
Le 31 octobre 2014, Blaise Compaoré, président du Burkina Faso depuis 27 ans, quitte brutalement le pouvoir. L’homme qui voulait régner encore 5, 10 ou pourquoi pas 15 ans n’a même pas eu le temps de terminer son quatrième mandat : le peuple en colère a eu raison de ses rêves de présidence à vie. La rue qui se soulève contre le despote, le chorégraphe burkinabè Serge Aimé Coulibaly en rêvait. Il en a fait le sujet de sa dernière création, « Nuit blanche à Ouagadougou », qui se joue actuellement au théâtre du Tarmac à Paris (1).
Une fiction qui a devancé la réalité
Imaginée en 2012, la pièce a été jouée pour la première fois le 25 octobre 2014. Trois jours plus tard, une manifestation monstre envahissait les rues de Ouagadougou. Six jours plus tard, Compaoré « dégageait », acculé par la pression de la foule. « Pour tout observateur de la vie politique et sociale burkinabè, cette nuit était inéluctable »,souligne Serge Aimé Coulibaly pour expliquer le côté prémonitoire de son spectacle. « On savait qu’il y allait y avoir des manifestations qui pouvaient facilement dégénérer. Par contre, ce qui a surpris, c’est la rapidité avec laquelle les choses sont arrivées. Tout était lié à cette modification de l’article 37 qui devait permettre au président Compaoré de briguer un énième mandat. S’il s’entêtait à vouloir changer cet article, on savait bien qu’il allait y avoir le feu. Mais on ne savait pas quand », poursuit-il. Des nuits blanches de chaos dans la capitale du Burkina Faso, le chorégraphe en a vécu deux : en décembre 2006, quand un conflit éclate entre les militaires et les policiers, créant la panique – « on entendait des coups de feu, on ne savait pas ce qui se passait » – puis en avril 2011, lors d’une période de révolte qui failli, déjà, faire chuter Blaise Compaoré. Ces deux soirées rythmées par les bruits de bottes, les tirs et les cris, inspirent Serge Aimé Coulibaly. Il en imagine alors une troisième, à la veille des élections présidentielles de 2015. Le peuple, usé par des années de règne sans partage, essoré par les injustices toujours plus nombreuses, se réveille et se révolte. Entraînés par les paroles slamées par le rappeur Smockey, les quatre personnages sur scène dansent ce soulèvement, jouent l’insurrection avec leur corps. Dans un coin, un homme, scotché à sa chaise, reste impassible. Aveugle. Comme le fût aussi le président déchu, lui qui n’a pas voulu voir la colère des Burkinabè…
Rêve prémonitoire
La ressemblance avec les événements historiques qui se dérouleront quelques jours après est troublante. La concomitance entre la fiction et la réalité donne à la troupe l’impression de vivre la révolution en continue : dans les cortèges de manifestants la journée, sur les planches le soir. Le chanteur Smockey, auteur et interprète des textes de « Nuit blanche à Ouagadougou », avoue avoir eu peine, certains jours, à quitter la place de la Révolution en ébullition pour rejoindre ses camarades sur scène. Le chanteur est l’un des leaders du Balai Citoyen, le mouvement qui a mené le soulèvement populaire. Aujourd’hui, alors que le pays est entré dans une phase de transition, Smockey continue le combat. Pour que le peuple ne relâche pas la pression. Des élections présidentielles sont prévues d’ici la fin de l’année.
(1) Le Tarmac, 159 avenue Gambetta, 75020 Paris
Représentations vendredi 16 janvier à 20 heures, samedi 17 janvier à 16 heures. Une
tournée est aussi programmée à l’automne 2015.
Renseignements : 01 43 64 80 80 / www.letarmac.fr