Dans les 283 pages de Devoir de vérité, paru le 11 septembre 2019, Tariq Ramadan s’acharne avec une rare violence sur toutes les femmes qui ont porté plainte contre lui pour viol. “Brigitte“, l’accusatrice suisse, a porté plainte pour calomnie.
Un article de Ian Hamel
“Brigitte“ (c’est son pseudonyme) embarrasse terriblement le prédicateur. En effet, dans les premières semaines qui ont suivi les deux premières plaintes pour viol, Tariq Ramadan a longuement prétendu qu’il n’y avait que la France “colonialiste“ qui lui en voulait. Partout ailleurs, il serait vénéré. Jusqu’à ce que “Brigitte“ dépose plainte contre lui à Genève pour séquestration et viol en avril 2018. Ce qui lui a valu une mise en examen en septembre 2018 pour viol et contrainte sexuelle. Quelques semaines plus tard, un rapport commandé par le Conseil d’État genevois (gouvernement cantonal) dénonçait son comportement lorsqu’il était professeur de français dans un collège à Genève de 1984 à 2004. Pas moins de six de ses anciennes élèves ont révélé, avec force de détails, ses agissements dans la presse locale. Toutefois, en ce qui concerne l’instruction publique (l’éducation nationale), il y a aujourd’hui prescription.
“Brigitte“ n’a toujours pas été confrontée au prédicateur. Car ce dernier est assigné à résidence en France depuis sa sortie de prison en novembre 2018. Et la justice française ne veut pas le prêter, ne serait-ce le temps d’une confrontation, au procureur genevois, de crainte que Tariq Ramadan, qui dispose d’un passeport à croix blanche, refuse ensuite de remettre les pieds dans l’Hexagone.
La réputation sulfureuse des Ramadan
Aucune date n’a pas encore été fixée pour permettre au procureur suisse, à la plaignante et aux témoins, de croiser Tariq Ramadan dans le bureau des juges d’instruction parisiens. Cette prochaine rencontre affole d’autant plus le prédicateur que “Brigitte“, contrairement aux autres accusatrices françaises, connaît la communauté musulmane sur les bords du lac Léman. Et la réputation quelque peu sulfureuse du Centre islamique de Genève et des frères Ramadan, Hani et Tariq. Dans Devoir de vérité, Tariq Ramadan ne se contente pas d’accuser “Brigitte“ de mentir, il lui reproche d’avoir été soudoyée. « On cite le motif premier de l’argent : des individus l’auraient poussée à agir ainsi contre une importante rétribution, comme cela semble avoir aussi été le cas avec Mme Mounia Rabbouj », écrit-il. Mounia Rabbouj étant une autre de ses accusatrices en France. Dans la plainte pour calomnie, déposée le 22 novembre, et que le site de la Radio Télévision Suisse (RTS) révèle, “Brigitte“ écrit : « Tariq Ramadan m’accuse ainsi d’avoir dénoncé des faits dont je connaissais la fausseté, en échange d’argent et sous influence. Cette accusation, objectivement fausse, ce que Tariq Ramadan sait, est attentatoire à mon honneur ».
Une plaignante accusée d’être coprophage
“Brigitte“ n’est toutefois pas la seule à être trainée dans la boue par le prédicateur. Une Belge d’origine marocaine, qui n’a pas déposé plainte contre lui, mais qui a dénoncé son comportement dans les médias, est ainsi accusée d’être hystérique et de coucher avec l’idéologue d’extrême droite Alain Soral… Une autre de ses accusatrices a non seulement « des penchants pour la soumission volontaire et l’auto-humiliation », mais la teneur de ses échanges sexuels seraient carrément « de nature explicitement scatologique et coprophage“ ». Sur les réseaux sociaux, les adeptes de Tariq Ramadan vont jusqu’à affirmer que la plaignante « mange son caca » ! Car toutes les insultes proférées dans Devoir de vérité sont ensuite relayées quotidiennement, souvent mot pour mot, sur les réseaux sociaux par des sites anonymes. Tariq Ramadan passant lui-même plusieurs heures chaque jour sur Internet. Mounia Rabbouj n’est pas non plus épargnée. Toujours selon Tariq Ramadan, elle aurait emmené l’un de ses nièces « se prostituer à Dubaï ». « Le principal motif de Mme Rabbouj était évidemment pécuniaire (…) On lui avait proposé une importante somme d’argent pour qu’elle ajoute son témoignage et porte plainte », écrit l’ancien professeur de français.
Edwy Plenel mis en cause
Bref, Tariq Ramadan s’en prend sans aucune nuance à tous ceux qui s’opposent à lui. Il cite un nombre d’impressionnant de personnes (y compris un avocat général à la cour de cassation) qui auraient fomenté un complot contre lui afin de le jeter en prison. Quant à ses juges, il s’indigne de leur « mauvaise foi et leur absence de scrupule ». Aucun journaliste qui suit le dossier n’est épargné. Même Edwy Plenel en prend pour son grade. « Il perdit pied (…) Il rendit gorge (…) Je ne m’attendais pourtant pas à plus de rigueur déontologique de la part d’Edwy Plenel : depuis 2003, ce n’était que sa troisième “petite“ trahison ». Enfin, Tariq Ramadan dénonce « l’attitude malhonnête et lâche de Mediapart ». Même le principal site musulman francophone, Oumma.com est cité parmi les comploteurs.
L’auteur de cet article n’échappe pas au courroux du prédicateur. Non seulement il est cité pas moins de onze fois, mais il est carrément accusé d’avoir menacé de le « buter » Tariq Ramadan en février 2007. On peut se demander pourquoi le prédicateur n’a pas déposé plainte à cette époque concernant un fait aussi grave, et surtout pourquoi il avait accepté, quelques semaines plus tard, de débattre au salon du livre de Genève avec un journaliste qui voulait le « buter »…