Le cessez-le-feu qui va entrer en vigueur ce dimanche à Gaza apparaît fragile et, en tout état de cause, ne signifie pas la fin de la guerre. Celle-ci, outre un très lourd bilan humain, a causé de graves dommages au bâti gazaoui, y compris à de nombreux sites patrimoniaux d’une immense valeur. Des dommages que l’Unesco documente inlassablement.
Une enquête du site « The Conversation », site partenaire
Caractérisé par une très forte densité de population et de bâti, le territoire de Gaza (365 km2 seulement, soit 28 fois moins que la superficie de la Corse, mais avec plus de 2 millions d’habitants) a subi, depuis le 7 octobre 2023, de terribles bombardements israéliens, qui ont tué environ 42 000 personnes et entraîné des destructions colossales.
Ces destructions sont particulièrement graves, car le patrimoine architectural et historique de Gaza est précieux, ce territoire ayant une histoire plurimillénaire remontant à l’Antiquité et aux époques assyrienne, puis hellénistique, romaine, islamique, ottomane et mandataire (l’époque où la Palestine était un mandat de la Société des nations (SDN) confié au Royaume-Uni).
L’Unesco, une mission essentielle mais manquant de moyens contraignants
L’Unesco – Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, créée en 1945 – coordonne un réseau de plus de 2 000 sites inscrits sur sa prestigieuse liste du patrimoine mondial, créée en 1972. Cette défense du patrimoine se déploie de façon multiforme : publications, aide matérielle à la sauvegarde de monuments ou sites (comme les temples d’Abou Simbel en Égypte, sauvés des eaux en 1968, actions normatives (conventions et recommandations), opérations de promotion en direction du grand public…
Même si l’on observe une inflation faramineuse du nombre de sites classés, ce qui ne va pas sans susciter certains effets pervers comme un tourisme de masse susceptible de dégrader les sites en question, l’action patrimoniale de l’Unesco reste essentielle. Malheureusement ses appels à respecter le patrimoine en temps de guerre restent souvent lettre morte, spécialement durant les conflits armés (on l’a constaté ces dernières années en Ukraine), et ce bien que l’institution ait fait adopter dès 1954 une Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, dite Convention de La Haye. Un texte qui, comme beaucoup d’autres textes onusiens, manque cruellement de force contraignante, ce qui nuit à son efficacité pratique.
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En Palestine, l’Unesco, notamment au moyen de son bureau installé à Ramallah en 1997, agit – souvent en collaboration avec une autre agence onusienne, l’UNRWA – pour fournir une aide technique, éducative et culturelle aux habitants de Cisjordanie et de Gaza, et notamment aux réfugiés.
Comme le précise l’organisation, sur son site,
« depuis février 2024, un total de 1 580 enfants déplacés ont reçu de l’aide grâce aux initiatives de santé mentale et de soutien psychosocial de l’Unesco dans les abris de Khan Younis et Rafah dans le sud de la bande de Gaza, en partenariat avec le Centre de créativité des enseignants (TCC). 810 personnes s’occupant d’enfants ont également participé à des ateliers de soutien psychosocial, renforçant ainsi leur capacité à s’aider elles-mêmes et à aider les enfants dont elles s’occupent. »
Au-delà de cette assistance immédiate, l’Unesco s’est aussi consacrée à documenter les destructions du riche patrimoine gazaoui provoquées par les opérations militaires de ces seize derniers mois.
L’évaluation des dommages patrimoniaux à Gaza
L’Unesco effectue une évaluation préliminaire à distance des dommages causés aux biens culturels grâce aux images satellites et analyses fournies par Unosat, le centre satellitaire des Nations unies. Entre octobre 2023 et octobre 2024, l’Unesco a observé des dégâts sur 75 sites : 48 bâtiments historiques ou artistiques, 10 sites religieux, 7 sites archéologiques, 6 monuments, 3 dépôts de biens culturels et 1 musée.
Selon Hamdan Taha, actuellement coordinateur du projet d’histoire et de patrimoine de la Palestine, en lien avec l’Unesco, Israël ciblerait intentionnellement un grand nombre de sites archéologiques, et ce dès le début de la guerre :
« Le plus notable de ces sites est Tell es-Sakan, au sud de la ville de Gaza, que les archéologues datent de l’âge du Bronze ancien (entre 3200 et 2300 avant notre ère). Des rapports préliminaires indiquent que Tell el-Ajjul, site emblématique de l’histoire de Gaza durant l’âge du Bronze moyen et tardif (2300-500 av. n.è.), a également été ciblé, tandis que les sites de Tell el-Mintar et les sanctuaires de Sheikh ’Ali el-Mintar et de Sheikh Radwan [quartier au nord-ouest de la ville de Gaza] ont subi d’importants dégâts. Le site d’el-Blakhiyah, qui représente le port ancien de Gaza, l’Anthédon, construit pendant la période gréco-romaine et actif jusqu’au XIIe siècle, a également été ciblé. Des tirs d’artillerie ont gravement endommagé une église de l’époque byzantine à Jabaliya, avec une probable perte de ses très riches mosaïques. »
Le patrimoine a aussi été dévasté dans les villes de « Gaza, de Beit Hanoun, de Deir el-Balah, de Khan Younès et de Rafah, patrimoine qui comprenait des bâtiments historiques, des mosquées, des écoles, des demeures privées, des sanctuaires et des fontaines publiques », ajoute-t-il, s’arrêtant sur le cas de la mosquée Omari, d’une superficie de 4 100 m2, et dont le bâtiment « a été totalement rasé ». L’église de Saint-Porphyre, dans le quartier Zaytoun de Gaza, « a également été presque totalement détruite ».
La Grande Mosquée de Gaza, qui est la plus ancienne mosquée de Palestine, a été elle aussi victime des bombardements. Abaher el Sakka, professeur associé au département des sciences sociales de l’Université de Bir Zeit (Cisjordanie), explique que ce bâtiment n’est pas seulement un lieu de culte, mais aussi un symbole des différents styles architecturaux de Gaza.
De graves dommages ont été infligés au musée du Palais du Pacha (Qasr al-Basha, en arabe), un ancien château mamelouk du XIIIe siècle, qui avait servi de demeure aux pachas de Gaza durant l’époque ottomane et avait été restauré et converti en musée en 2005 avec le financement du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
L’ensemble du monastère de Saint-Hilarion, lui aussi visé par les bombardements israéliens, a été provisoirement inscrit sur la Liste internationale des biens culturels sous protection renforcée de l’Unesco en juillet 2024.
L’Unesco précise que « le monastère de Saint-Hilarion/Tell Umm Amer, l’un des sites les plus anciens du Moyen-Orient, fut fondé par saint Hilarion et a accueilli la première communauté monastique en terre sainte. Situé au carrefour des principales routes de commerce et d’échanges entre l’Asie et l’Afrique, il constitua un centre d’échanges religieux, culturels et économiques, illustrant la prospérité des sites monastiques désertiques de la période byzantine ».
Des intellectuels mobilisés pour recenser et sauver ce patrimoine de la destruction
En octobre 2024, un groupe d’une vingtaine d’universitaires met en ligne un « inventaire du patrimoine bombardé » de Gaza. Ce site ne cesse de s’étoffer pour offrir à la fois une cartographie des destructions, une liste de dizaines de monuments sinistrés et une fiche explicative détaillant certains d’entre eux. Des liens ouvrent par ailleurs l’accès aux bases de données pertinentes pour prendre la mesure d’une telle catastrophe. Ainsi, « l’église Saint-Porphyre, touchée par un bombardement israélien, le 19 octobre 2023, avait déjà été endommagée lors de l’offensive israélienne de l’été 2014. Ce lieu de culte grec orthodoxe, datant dans sa forme actuelle du XIIe siècle, est censé abriter la tombe de l’ancien évêque de Gaza, Porphyre, canonisé pour avoir christianisé la cité au début du Ve siècle ».
Des sites beaucoup plus récents sont d’importance majeure aussi, comme les cimetières militaires regroupant, à Gaza comme à Deir Al-Balah, les milliers de tombes de soldats du Commonwealth tombés, en 1917-1918, durant la conquête britannique de la Palestine ; ou encore « le siège de la municipalité de Gaza, installé en 1930 dans un quartier plus proche de la mer ; les cinémas Samir et Nasr, qui ont marqué la vie culturelle de Gaza au milieu du XXe siècle ». Les intellectuels et historiens mobilisés pour recenser ce patrimoine insistent sur l’importance de mener à bien un tel inventaire pour garder la mémoire de ces sites menacés de disparition.
Le centre satellitaire UNOSAT a établi qu’en un peu plus d’un an de guerre, « 31 198 structures ont été détruites dans la bande de Gaza et 16 908 sont gravement endommagées ».
Mais ce sont aussi les Palestiniens eux-mêmes qui « s’organisent pour protéger leur patrimoine grâce au fonds d’urgence de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (Aliph), basée en Suisse. Des objets d’art sont évacués – comme au musée culturel d’Al Qarara, dans la bande de Gaza, où plus de 2 000 pièces ont été déplacées » et les Gazaouis eux-mêmes ont la possibilité de se former à la sauvegarde du patrimoine.
Une urgence : donner plus de force contraignante aux traités onusiens
On l’aura compris : il est urgent d’alerter l’opinion mondiale sur les dégâts irrémédiables causés au patrimoine culturel gazaoui. En effet, lors des guerres, le patrimoine est souvent visé et détruit pour faire disparaître une civilisation et sa mémoire.
Il convient de soutenir les initiatives visant à recenser, inventorier et protéger ce patrimoine. Il est surtout indispensable pour l’avenir que l’Unesco et l’ONU disposent plus de force contraignante pour faire appliquer les décisions et traités internationaux protégeant les peuples et leur patrimoine.