“Guerre de l’ombre au Sahara”

Le documentaire de Bob Coen et Eric Nadler, « Guerre de l’ombre au Sahara », diffusé sur Arte, lance un débat riche et controversé sur les ressorts des interventions américaines en Afrique

touaregsLes guerres des puissances occidentales au Sahara dissimulent une compétition à couteaux tirés pour le contrôle des ressources naturelles. Voilà en somme le propos résumé du documentaire « Guerre de l’ombre au Sahara » diffusé hier soir sur Arte. A travers de nombreux entretiens, des archives et des images tournées par l’armée française et américaine, le film rappelle à juste titre que l’Afrique sahélienne fait désormais l’objet de convoitises stratégiques et économiques mondiales, de la Chine aux Etats-Unis.

Simplification

En s’appuyant sur cette impressionante compilation, les réalisateurs Bob Coen et Eric Nadler concentrent leur démonstration sur le développement du dispositif américain de lutte antiterroriste au Sahel. En dressant l’état des lieux des interventions militaires et des instruments d’influence des Etats-Unis en Afrique, le film fournit à ce titre une synthèse historique remarquable, toujours illustrée. Après l’horreur du fiasco de l’armée américaine à Mogadiscio en Somalie où dix-huit soldats ont été massacrés, le téléspectateur assiste à l’entraînement de soldats africains initiés par des militaires américains aux techniques d’embuscades et d’assaut dans les vastes étendues désertiques du Sahara. Des exercices qui se sont multipliés dans les différents pays africains, assurant à Washington un levier d’action supplémentaire sur le continent. Comme le rappellent les auteurs, l’influence américaine s’appuie par ailleurs sur la mise en place de huit bases de drones de surveillance et la création en 2007 de l’Africom, un commandement de l’armée américaine spécialement dédié à l’Afrique.

Toutefois, malgré quelques pépites et un travail de mise en scène bien ficelé, l’argument d’une guerre contre le terrorisme servant de prétexte au contrôle des ressources naturelles n’offre qu’une vision schématique des dernières interventions occidentales dans cette zone. L’hypothèse d’une guerre secrète pour les ressources pétrolières conduit à mettre dans le même sac les pays sahéliens pauvres, largement dépendants de l’aide internationale et dont les ressources en hydrocarbures sont encore incertaines comme le Mali, les pays pétroliers d’Afrique du Nord comme la Libye et l’Algérie, et ceux qui bordent le Golfe de Guinée. En faisant l’amalgame, le scénario gomme la multiplicité des facteurs à l’origine des politiques menées par la France et les Etats-Unis dans ces pays, tout comme leurs différences.

Des guerres françaises

Au point de faire de l’intervention militaire de 2011 en Libye une guerre franco-étasunienne dont l’objectif aurait été de destituer le colonel Kadhafi dont le pouvoir menaçait les intérêts des majors américaines. Erreur. A l’époque, Washington ne souhaite pas s’impliquer dans une nouvelle guerre après l’Irak et l’Afghanistan. Selon les termes du ministre de la défense d’alors, Robert Gates, la Libye ne représente pas un intérêt vital pour les Etats-Unis. Plus que l’insistance de Nicolas Sarkozy, c’est l’attitude du ministre britannique des Affaires étrangères William Hague, favorable à la guerre, qui finit par convaincre la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton d’arracher à contre-coeur l’accord d’Obama. In fine, les volontés conjuguées de Nicolas Sarkozy et du Premier ministre britannique, David Cameron, persuadent le chef d’Etat américain d’annoncer une intervention militaire dont l’essentiel des opérations serait confié à une coalition de l’OTAN. Résultat, la grande majorité des frappes aériennes sont menées par les armées française et britannique.

La guerre au Mali, qui se raccroche encore moins aux Etats-Unis que le conflit libyen, souffre de la même démonstration forcée. En rappelant que le capitaine Sanogo, responsable du putsch contre l’ancien président malien ATT avait bénéficié des formations de l’Africom, les auteurs pointent une faille du dispositif. La référence aux Etats-Unis s’arrête là, brisant la continuité du raisonnement. Et pour cause. La guerre au Mali est bien une guerre française. Pour preuve, lorsque Hollande s’apprête à lancer l’opération Serval, les Etats-Unis ne montrent guère d’enthousiasme. A l’époque, le New York Times conseille même aux Français « de résister à la tentative de lancer une offensive terrestre qui conduirait presque certainement à une contre-offensive insurectionnelle que la France n’aurait pas les moyens de réduire ». Enfin, l’ambassadrice américaine aux Nations unies Susan Rice, jugera avec une formule aimable : « It’s crap! « .

Ce n’est qu’après le raid d’une branche d’Aqmi contre le site gazier d’In Amenas qui se solde par la liquidation de citoyens américains que Washington change brutalement de perception. Du coup, les Etats-Unis acceptent, dexu semaines après le lancement de Serval, de ravitailler en vol les avions de combat français.

Les mécanismes qui président à la présence américaine en Afrique saharo-sahélienne sont donc complexes. Trop contents de sous traiter aux Français la sécurisation de la zone tout en s’y assurant une présence militaire via Africom, les Etats-Unis préservent leur ancrage sur ce territoire où ils savent qu’à terme, la compétition pour la conquête des marchés se jouera avec la Chine.

Alger sous-estimé

Par ailleurs, le documentaire de Bob Coen et Eric Nadler laisse de côté le rôle déterminant de l’Algérie qui met pourtant tout en oeuvre pour s’imposer comme la grande puissance régionale. L’Algérie considère en effet traditionnellent la zone saharo-sahelienne comme son aire d’influence privilégiée et se méfie de toute ingérence française. Une pièce manquante qui aurait pourtant mérité d’être traitée, notamment sous l’angle de la compétition pour l’accès aux ressources naturelles dans la région. Les faibles découvertes actuelles de nouvelles nappes en Algérie obligent en effet la Sonatrach, la société étatique, à regarder vers l’extérieur. Cette dernière nourrit des espoirs sur les gisements d’hydrocarbures du bassin de Taoudeni, à cheval sur la Mauritanie, l’Algérie et le Mali. En coulisses, une bataille feutrée oppose Algériens et Français désireux de se prépositionner pour de potentiels forages à venir.

Alger s’impose par ailleurs comme un acteur politique incontournable en parainant les négociations entre le pouvoir de Bamako et les rebelles du nord Mali. En plus des solides alliances nouées au sein des communautés touaregs ou arabes qui vivent dans cette zone, les généraux algériens connaissent parfaitement les arcanes des mouvements djihadistes nés sur leur sol et qui ont essaimé dans la région.

Enfin, une des cartes maîtresses d’Alger pour s’imposer comme la plus grande puissance régionale au Sahara est justement le soutien des américains qui s’inquiètent après les attentats du 11 septembre contre les tours de New York de l’apparition au Sahel d’un deuxième Aghanistan. Tout en refusant d’abriter le siège d’Africom qui regroupe les troupes américaines en Afrique, le DRS, les redoutables services de renseignements algériens, partage volontiers sa base de renseignement avec la CIA. Jamais cette collaboration étroite qui a contribué à renforcer le rôle pivot joué par l’Algérie au Sahel n’est abordée dans le documentaire. Le chercheur britannique Jeremy Keenan dont le sujet de prédilection est justement l’influence de l’Algérie dans cette région et ses liens avec les Etats-Unis est pourtant longuement interviewé. Dommage.