Outre-Manche, le nom d’Omdurman est synonyme de chevauchée héroïque. Le 2 septembre 1898, une bataille sanglante oppose 25000 britanniques et supplétifs à 60000 guerriers soudanais
Un article d’Eric Laffitte
« Le plus remarquable triomphe jamais remporté par les armes de la science sur les barbares » (Winston Churchill, correspondant de guerre).
C’est bien à Omdurman, une bourgade perdue dans le désert soudanais, qu’en cette fin du XIXe siècle, la guerre s ‘apprête à changer définitivement de visage pour entrer dans l’ère industrielle. A l’époque peu, y compris chez les militaires, peu d’experts perçoivent l’enjeu de cette boucherie à la mitrailleuse.
Winston Churchill aux premières loges.
Tel n’est pas le cas de Winston Churchill à la fois acteur et observateur de ce carnage comme correspondant de guerre.
« Cigars, whisky and… no sports », tel serait le « conseil santé » dispensé par Winston Churchill pour vivre, comme lui, jusqu’à 90 ans.
Une blague ! En réalité, le jeune Winston est un sportif accompli, cavalier hors pair, adepte du polo, discipline favorite de l’aristocratie britannique et des troupes d’élite de cavalerie.
Aux Indes, quelques mois seulement après Omdurman, c’est avec deux côtes cassées, que Winston marque trois des quatre buts qui permettent à son régiment – le 4e hussard – de remporter enfin, et pour la première fois depuis 62 ans que cette compétition acharnée existe, le trophée. Un séisme au sein du Raj britannique !
Ce vendredi 2 septembre 1898, dans la morne plaine qui s’étale du Nil à Khartoum, capitale du Soudan, Churchill est d’ailleurs déjà blessé à l’épaule. Situation qui lui interdit de se servir de son sabre lors de ce qui s’avérera être la dernière charge d’ampleur de la cavalerie britannique. IPour l’occasion , il monte« un poney de polo arabe à la robe blanche » et commande un peloton de 25 lanciers.
Pour rien au monde Churchill n’aurait voulu rater ce combat. Problème, personne ne veut de lui sur le champ de bataille et surtout pas Lord kitchener, le chef du corps expéditionnaire qui a pour mission d’écraser la révolte Mahadiste qui enflamme le Soudan depuis deux décennies. Quinze ans plus tôt, les mahadistes, qui doivent leur nom à leur premier chef, appelé le « Mahdi » (le Guide), se sont emparés de Khartoum et ont promené au bout d’une pique la tête tranchée du général anglais Charles Gordon qui défendait la place.
Pour Londres, il s’agit de laver l’affront mais surtout de s’assurer le contrôle d’une région devenue stratégique depuis l’ouverture du canal de Suez par les Français en 1869 et sur lequel la perfide Albion a vite mis la main… dès 1875.
En dépit de la disparition de son chef initial, le mouvement mahdiste a instauré une sorte de califat islamiste qui couvre le Soudan, le sud Soudan et une partie de l’Ethiopie. C’est clairement l’Egypte qui est désormais menacée.
12 000 cadavres indigènes, 47 morts anglais
À 24 ans, Churchill mène lui, de front, une carrière politique, de journaliste et d’officier.
Il est alors perçu comme un abominable arriviste, mais c’est sa plume au vitriol que redoutent avant tout les chefs militaires dont il n’hésite pas à critiquer vertement l’action : « Une affaire réglée avant même d’avoir été examinée », écrit alors Douglas Haig, le chef d’état-major de Kitchener à propos de la candidature de Churchill au poste de correspondant de guerre du Morning Post. Lequel, au prix de mille intrigues, parvient à s’imposer au dernier moment et décrira dans un article retentissant, le « plus remarquable triomphe jamais remporté par les armes de la science sur les barbares ».
L’armée britannique a remonté le Nil et c’est dos au fleuve, soutenus par une artillerie fluviale, que 8 000 soldats britanniques et 16 000 supplétifs égyptiens affrontent à Omdurman 60 000 soldats derviches réputés « fanatisés ». Omdurman est à l’époque un insignifiant village sur la rive est du Nil blanc à quelques kilomètres seulement de Khartoum. La confrontation dans le désert va tourner au massacre. L’armée du califat est mise en déroute. Au prix d’un bilan effarant dans sa disproportion. En quelques heures, l’armée des mahadistes laisse sur le champ de bataille 12 000 cadavres, plus 13 000 blessés et 5 000 prisonniers.
Côté anglais, on dénombre 47 morts et 382 blessés… !
Un pur massacre.
Les « armes de la science ».
La presse britannique s’enflamme et célèbre la charge héroïque du 21 lancier. Laquelle a bien eu lieu, mais n’est pour pas grand chose dans cette écrasante victoire. Tous les laudateurs de la bataille, journalistes, peintres, illustrateurs, font l’impasse sur l’élément fondamental, cause première de cette hécatombe. A Omdurman, la guerre vient de changer d’époque, mais personne ne s’en aperçoit. A l’exception du turbulent lieutenant Churchill, comme le signale son évocation des « armes de la science ».Une cécité collective qui, nous le verrons, ne sera pas sans conséquences dramatiques.
De son côté, Churchill privé de sabre, revendique avoir abattu quatre rebelles. Au pistolet, à pied, et dans un quasi corps à corps.
Dans ses souvenirs, on retiendra une fascination certaine pour la guerre. Trente ans plus tard, il écrit : « En parlant de bon temps, comment est-ce qu’on peut trouver mieux. A cheval, à l’aube, a portée de fusil d’une armée qui avance, avec une vue d’ensemble et en lien avec le quartier général ».
Le carnage des mitrailleuses « Maxim »
Du « bon temps » dont il ne feint toutefois pas de masquer aussi l’horreur : et de revoir ses camarades du 21e lancier « transpercer les blessés après la charge en appuyant de tout leur poids sur la lance pour faire passer la pointe à travers les épais vêtements que portaient les derviches cloués au sol. A mesure que la pointe pénétrait, les derviches se débattaient avec leurs pieds et leurs mains. Un soldat s’était vanté de sa sollicitude en n’enfonçant que dix centimètres dans l’homme qu’il achevait en disant : « Il devrait me remercier d’être tombé sur un type sans malice comme moi » Et encore : « un sinistre défilé fit son apparition : chevaux qui crachaient le sang en marchant sur trois pattes, hommes qui titubaient sur leurs pieds, qui saignaient à cause d’atroces blessures, des lances à hameçon plantées dans le torse, les bras et le visage taillés en pièces, les boyaux à l’air, hommes qui suffoquaient, criaient, s’écroulaient, expiraient ».
Mais l’élément fondamental qui explique le massacre, c’est l’emploi de la mitrailleuse. Les Britanniques disposent ainsi de 52 mitrailleuses « Maxim ».
Capable de tirer 600 coups à la minute, c’est une « arme nouvelle », introduite lors de la guerre de sécession. Depuis perfectionnées, les mitrailleuses « Maxim » vont littéralement hacher les rangs serrés des guerriers mahdistes lancés à l’assaut des tuniques rouges.
Des guerriers armés eux pour la plupart de sabres, de lances et parfois de quelques vieux fusils.
Sans le savoir, Omdurman marque le passage des combats traditionnels à la guerre industrielle.
Mais le plus étonnant, c’est que les Britanniques aveuglés par le culte de leurs héroïques charges de cavalerie, n’en tirèrent non seulement aucune leçon, et devinrent bientôt les principales victimes de cet aveuglement collectif.
Moins de 20 ans après, Omdurman éclate en effet la guerre de 14.
C’est lord Kitchener qui a préparé pour l’essentiel l’armée britannique qui entre dans la première guerre mondiale.
Un haut commandement « quasi criminel »
C’est Douglas Haig, l’un des adjoints de ce même Kirchner à Omdurman, qui en décembre 1915, devient commandant en chef des forces britanniques en France.
Haig a les idées bien arrêtées. Il est contre l’emploi des mitrailleuses qui « affaiblit l’esprit offensif ». Dans le même esprit, il est contre l’introduction du casque en acier.
« Ce qui comptait avant tout, à ses yeux, c’était le sabre et le cheval ». « Il faut accepter par principe que le fusil, si efficace soit-il, ne puisse pas remplacer l’effet produit par la vitesse du cheval, le magnétisme de la charge et la froide terreur de l’acier», rapporte en le citant Wade Davis, auteur d’un remarquable ouvrage « Les soldats de L’Everest » qui narre le parcours d’une génération d’alpinistes qui, pour exorciser l’horreur des tranchées, s’est lancée à la conquête du toit du monde.
Davis qui n’hésite pas à qualifier de « quasi criminel » le haut commandement britannique.
C’est dans ces dispositions d’esprit qu’après des mois de préparation, Haig lance les troupes anglaise à l’assaut du front allemand sur la Somme qu’il s’agit de briser une fois pour toutes après des mois de guerre de position.
Le 1er juillet 1916 au matin, à 7h30, 66 000 troupiers britanniques s’élancent ainsi à l’assaut des tranchées allemandes dont les troupes bien protégées sont bardées de mitrailleuses.
Avec pour ordre de marcher « au pas » ( !).
La première heure et peut être les premières minutes, il y eut plus de 30 000 morts et blessés.
Ce fut le plus grand désastre de l’histoire militaire britannique. 19 240 morts et plus de 35 000 blessés à la fin de la journée.
Un dernier mot a propos d’Omdurman. Plusieurs exégètes de Churchill estiment que c’est grâce à son expérience soudanaise, et ayant ainsi eu l’occasion d’observer de près le fanatisme religieux alors en cours dans la région, que le futur Premier ministre a pu discerner la nature toute aussi fanatique de l’idéologie nazie, tandis que trois Premiers ministres britanniques des années 30, Mac Donald, Baldwin et Chamberlain n’y virent, peu ou prou, que du feu.
Sources principales :
« Biographie de Churchill », d’Andrew Roberts. Perrin éditions. 2020
« Les soldats de l’Everest », de Wade Davis. Les Belles Lettres éditions. 2016
Le 1er juillet 1916 au matin, à 7h30, 66 000 troupiers britanniques s’élancent ainsi à l’assaut des tranchées allemandes dont les troupes bien protégées sont bardées de mitrailleuses.
Avec pour ordre de marcher « au pas » ( !).
La première heure et peut être les premières minutes, il y eut plus de 30 000 morts et blessés.
Ce fut le plus grand désastre de l’histoire militaire britannique. 19 240 morts et plus de 35 000 blessés à la fin de la journée.
Un dernier mot a propos d’Omdurman. Plusieurs exégètes de Churchill estiment que c’est grâce à son expérience soudanaise, et ayant ainsi eu l’occasion d’observer de près le fanatisme religieux alors en cours dans la région, que le futur Premier ministre a pu discerner la nature toute aussi fanatique de l’idéologie nazie, tandis que trois Premiers ministres britanniques des années 30, Mac Donald, Baldwin et Chamberlain n’y virent, peu ou prou, que du feu.
Sources principales :
« Biographie de Churchill », d’Andrew Roberts. Perrin éditions. 2020
« Les soldats de l’Everest », de Wade Davis. Les Belles Lettres éditions. 2016
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