Emmanuel Macron, on s’en souvient, avait demandé à Jean Louis Borloo un rapport sur les banlieues, prélude à une refonte des politiques publiques, avant de laisser en plan, sans grand égard, l’ancien ministre délégué à la ville de Jacques Chirac avant d’être le numéro deux du gouvernement de Nicolas Sarkozy, un des rares politiques d’envergure à se passionner, notamment dans son fief de Valenciennes, aux quartiers abandonnés par la République française.
Les prédécesseurs de l’actuel Président français n’ont guère été plus inventifs et investis dans ce domaine. La promotion de quelques « beurgeois » dociles à des postes ministériels de second plan a tenu lieu, depuis vingt ans, de politique à l’égard de cette jeunesse issue des banlieues. La promotion de Rachida Dati au poste régalien de ministre de la Justice qui fut la mesure symbolique la plus forte de ces dernières années, fut une initiative sans lendemain. De façon anormale, la France ne compte ni maire de grande ville, ni Premier ministre, ni chef de grand parti qui soit issu des « minorités » qui composent la cela contrairement à des pays voisins comme la Hollande ou le Royaume Uni.
Alors qu’il était chef de l’état, François Hollande avait prétendu lui aussi changer la vie des banlieues avant d’abandonner le vaste plan qui avait été initié avec courage et volontarisme par son Premier ministre Jean Marrc Ayraut. Mondafrique revient sur cet épisode révélateur de l’inertie des Pouvoirs Publics français.
Du coup, les révoltes de cette jeunesse déshéritée tournent aujourd’hui à des émeutes urbaines, les premières que connaisse la France sur une telle échelle.
Qui se souvient de l’affaire des « vrais faux rapport » sur l’intégration qui a défrayé la chronique en décembre 2013? Dès sa nomination comme Premier ministre dix huit mois auparavant, Jean Marc Ayrault avait en tète une refondation des politiques d’insertion des communautés d’origine étrangère. Or le travail commandé à cinq groupes d’une cinquantaine de personnalités qualifiées chacun devait finir dans les poubelles de Matignon. Pis qu’un échec pour l’ancien Premier ministre, ce mélodrame public apparaît comme le symptôme du repli politique d’une gauche en mal de toute initiative d’envergure face aux banlieues.
Coups de gueule, coups de pub
Avant de revenir sur l’histoire programmée de cet échec, il s’agit de planter le décor que trouve la gauche revenue au pouvoir après l’élection présidentielle de 2012. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy avait débuté avec une vision décapante d’une France réconciliée avec toutes ses composantes.
Dès 2010 et alors qu’il était encore en fonctions au Commissariat à l’intégration où il avait été nommé par Sarkozy, Yazid Sabbeg avait tiré la sonnette d’alarme. « La gauche comme la droite ne se sont pas donnés les moyens de changer profondément la réalité des jeunes issus de l’immigration et celle de leurs quartiers. L’équité n’est plus assurée, l’ethnicisation s’accentue et les jeunes s’abstiennent massivement aux élections. D’origine étrangère ou pas, tous sont confrontés aux mêmes impasses : la relégation territoriale, l’absence d’emplois, le non accès aux droits élémentaires, la disparition de toute réalité politique sur ce terrain où l’o de vote pas ».
Depuis la fameuse marche des beurs, le modèle français d’intégration s’est enfoncé dans une crise profonde. Les recherches en sciences sociales ont mis en évidence le malaise des banlieues: discriminations ethniques, précarité sociale, délinquance accrue, chômage décuplé, démission des institutions, montée du radicalisme. La chronique des violences urbaines n’est concurrencée que par celle, plus récente, des nouvelles banlieues de l’islam, qui seraient le creuset du salafisme et du djihadisme. Plus alarmant encore, la politique d’intégration a perdu ses outils, ses crédits, son élan et ses buts. Le terme « intégration » a même pris un sens péjoratif pour les héritiers de l’immigration qui vivent en France depuis trois générations. On ne sait même plus comment les nommer ces nouveaux étrangers de l’intérieur, successivement « jeunes immigrés », « beurs », « Français issus de la diversité » ou encore « jeunes de banlieue ». Un débat idéologique paresseux sur le modèle français se substitue aux velléités réformatrices d’hier.
« Une France chevrotante et confite »
A peine nommé à Matignon, un Jean-Marc Ayrault moins transparent qu’on ne le croit affiche clairement sa volonté de « renouveler en profondeur l’approche des questions d’intégration en France ». Le 24 décembre 2012, le Premier ministre dissout le Haut Conseil à l’Intégration (HCI), présidé à l’époque par un ami de Charles Pasqua et de Nicolas Sarkozy, le dentiste Patrick Gaubert.
Le rapport au vitriol que Thierry Tuot remet le 11 février 2013 au Premier ministre dénonce « une France chevrotante et confite dans des traditions imaginaires». Le concept d’intégration est mort, il faut lui substituer « une politique de mise en capacité pour créer une société inclusive ». Dans la conception française héritière de la Révolution française de 1789, rappelle-t-il, la Nation est essentiellement une volonté politique du « vivre ensemble ». La socialisation républicaine a pu avoir une incontestable efficacité en faisant preuve d’accommodements raisonnables et en s’ancrant dans de réelles solidarités. Aussi, selon le rapport Tuot, notre culture politique gagnerait à s’appuyer sur la diversité des formes de vie culturelle et pratiques sociales qui constituent le tissu de la société française. Mais comment faire? Le rapport n’apporte guère de recettes précises.
L’intégration, un oubli de trente ans
Du coup, en juin 2013, Matignon mobilise une dizaine de ministères pour bâtir le socle d’un nouveau programme politique en matière d’intégration, de citoyenneté et de services. Pour la première fois sous la cinquième République, une mobilisation interministérielle s’appuie sur les acteurs de terrain directement concernés. Les principes d’action de cette nouvelle gouvernance se fondent sur une distinction très claire entre la politique d’immigration, qui vise la gestion des flux, et la politique d’intégration qui renforce la cohésion sociale, en luttant contre les discriminations.
Il a fallu travailler dans l’urgence en raison de l’agenda politique du Président Hollande. L’automne 2013, souvenons-nous, c’était aussi un anniversaire : le trentenaire de la Marche des beurs, une génération ! Face à l’horizon bouché des banlieues, la gauche gouvernementale se rappelle avec nostalgie des grandes mobilisations civiques de la jeunesse des années 1980. Le symbole de l’antiracisme et de la lutte pour l’égalité qui a porté la génération Mitterrand peut-il encore servir à réconcilier le peuple de gauche avec le pouvoir ? Le chef de l’Etat pourrait adresser à l’occasion de cet anniversaire un message aux héritiers de l’immigration. « Bien sûr, aurait-il confié selon le quotidien Libération, il reste de nombreux problèmes, mais je voudrais dire que cette marche a été victorieuse.»Le Ministre de la Ville, François Lamy, a mouillé sa chemise : « Je veux rendre hommage à un temps fort d’initiative citoyenne qui doit s’intégrer dans l’histoire de France ». Quelque 450 000 euros sont débloqués pour que mille fleurs fleurissent avec des célébrations prévues dans tout le pays, des livres, des émissions de radio et de télévision, des web-documentaires, des forums débats.
D’abord ajournée, la déclaration présidentielle s’est finalement perdue dans les sables. L’Elysée aurait eu le sentiment que la commémoration de la Marche n’intéressait pas grand monde. Sorti à grands coups de promotion médiatique, le film « La Marche» (avec Jamel Debbouze) qui devait servir de locomotive à la célébration de l’anniversaire, ne rencontre pas le public escompté.
Une icône de la laïcité en mode « Alerte » !
Le coup mortel à la refondation des politiques d’intégration est porté par Malika Sorel-Sutter, une brillante universitaire algérienne émigrée en France, longtemps figure de proue du Haut Conseil à l’Intégration (HCI). En page d’ouverture de son Blog, cette icône de la laicité met en exergue une phrase de « L’étrange défaite » écrit en 1940 par l’historien Marc Bloch : « La France, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J’y suis né, j’ai bu aux sources de sa culture. J’ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux ». Dans son viseur, se trouve le dossier de la refondation de la politique d’intégration qu’elle suit « en mode alerte » comme elle le confie dans son dernier ouvrage.
Personne ne peut plus l’ignorer, Malika Sorel-Sutter aime la France. Née dans le sud de l’hexagone, elle a suivi à l’âge de 10 ans ses parents en Algérie où elle aurait vécu quinze années d’exil dans le souvenir des senteurs de la Provence. L’Histoire de France la hantait. Rejetant ce qu’elle appelle « les valeurs arabes » elle fait le choix de revenir pour « épouser le destin du peuple français ». Pour Malika Sorel, cette dimension affective, « c’est ce qui fait toute la beauté et le mystère du processus d’intégration ».
Dans la France multiraciale des années 1990, l’anachronisme d’un tel bovarysme républicain ne pouvait déboucher que sur « un grand espoir déçu ». Qu’à cela ne tienne ! Malika Sorel est de ces femmes qui savent s’engager pour retrouver leurs illusions. Depuis une vingtaine d’années, elle a ainsi mis sa colère et sa plume au service du grand malade qu’est devenu notre modèle universel d’intégration. Et de « Riposte laïque » aux « Répliques » de Finkielkraut, en passant par les pages du « Figaro », elle s’impose comme une égérie- les mauvaises langues diront une « caution indigène »- de la composante néo-réac du Tout-Paris médiatique vent debout contre la « bien pensance ». Sur la toile, les sites d’extrême-droite citent régulièrement son blog et le portail du « bloc identitaire » fait même son panégyrique « Malika ? Elle tiraille mieux que la légion ».
Le 12 décembre 2013, soit deux ans avant ce livre, « le Figaro » barre sa une d’un titre accrocheur sur « le rapport choc » qui veut « autoriser le voile à l’école ». Le quotidien de droite ouvre ases pages par un entretien avec Malika Sorel Sutter dénonçant « une véritable police de la pensée. » Le scoop était très discutable : les cinq rapports stigmatisés par le Figaro dormaient dans les limbes du site internet de Matignon, parfaitement accessibles, depuis un mois ! Mais cette intégriste de la laïcité a déniché dans les 276 pages de préconisations l’objet de sa vindicte : deux lignes évoquant « la possible suppression des dispositions légales et réglementaires scolaires discriminatoires concernant le voile. »
Le voile coupable, forcément coupable
La patience de Malika Sorel-Sutter a payé. Elle tient enfin sa preuve d’un complot anti Français ! Pour elle en effet, l’affaire est encore plus grave que ne l’imaginent les ultras de la laïcité. Ce n’est pas uniquement un ballon d’essai de la gauche pour préparer un assouplissement de la loi du 15 mars 2004 interdisant le port du voile et plus largement des signes religieux à l’école. Non, ce serait un logiciel de reconfiguration de l’identité française qui serait activé :
Un bout de voile en vue, et la France politique s’embrase. Les cinq rapports d’expertise se transforment ainsi en un seul vrai-faux rapport par qui le scandale arrive. Personne n’a vraiment lu cette littérature, mais la presse se déchaîne. « L’inexcusable rapport sur l’intégration » « Rapport sur l’intégration : 276 pages, 276 polémiques », « Des propositions terrifiantes » « Intégration : alerte aux pyromanes », « le rapport de la honte »… Autant de titres à la une ! Une bande d’islamo-gauchistes déguisés en chercheurs se serait introduite dans les palais de la République pour écrire un amas d’absurdités, réduites à des clichés. La polémique lancée prend une dimension politique. L’occasion était trop belle pour la droite républicaine dont la réaction prend même de vitesse le Front national.
Tous aux abris
Dans le camp de Jean Marc Ayraut, certains dénoncent un complot venu de la place Beauvau. Le Ministre de l’intérieur d’alors, Manuel Valls, aurait lui-même organisé les fuites pour accélérer la chute de son rival et prendre sa place à Matignon. C’est du moins l’hypothèse formulée par certains membres des cinq commissions nommées par Matignon.
Reste un problème de méthode. A la suite de leur remise officielle le 13 novembre 2013, les conclusions devaient faire l’objet d’un travail d’arbitrage interministériel avant d’être rendues publiques par le Premier ministre. « Le contrat était très clair, précise l’universitaire Ahmed Boubeker, nous avions une totale liberté de fonctionnement et de parole, mais notre travail se limitait à fournir une boîte à idées, les services ministériels feraient le tri ! Les conclusions de ce processus de refondation devaient être adoptées lors d’une conférence conclue par le Premier ministre fin 2013 qui a été reportée sine die.» Une certitude, Manuel Valls donnera le coup de pied de l’âne à son Premier ministre: « Dans les propositions de ces groupes de travail, il y a des aberrations et des propositions dangereuses qui mettent en cause ce qu’est la France, sa laïcité », confie-t-il au Journal du Dimanche le 14 décembre 2013. Le même jour, le Président Hollande en déplacement à Cayenne siffle la fin de la partie : le rapport sur l’intégration en cinq volets « n’est pas du tout la position du gouvernement » lâche-t-il dans une colère froide. Avant d’ajouter : « Le gouvernement fera des propositions sur l’intégration, mais ce ne sera ni le différentialisme ni le communautarisme ! »Face à la polémique, la gauche a jeté les rapports aux oubliettes, fruit d’un travail de plusieurs mois entre deux cent acteurs de l’université, de la société civile et des institutions publiques.
Malika Sorel-Sutter tenait sa revanche. les rapports étaient enterrés et la gauche s’apprêtait, après les attentats de 2015, à proposer de déchoir de leur nationalité les terroristes de nationalité française.