A l’heure où la France, sous le choc, s’interroge sur son rapport à la liberté d’expression, l’exposition de l’Institut du monde arabe consacrée aux artistes marocains est roborative
Cet événement culturel, qui a attiré les foules depuis son inauguration en octobre dernier, est prolongé et c’est une chance pour ceux qui l’auraient manqué. Une chance de découvrir des œuvres stimulantes et variées, habilement présentées dans un parcours thématique et convivial aux libellés poétiques et révélateurs : « fantasmer », « les pionniers », « images ambigües », « organiser, détruire et combiner », « traduire », « soufisme », « émigrer », « interroger les conventions », « incarner », « questionner les croyances », « printemps arabe », « tisser le fil de la vie »…
Pharmacopée anti déprime
Toutes ces rubriques, qui regroupent chacune d’elles plusieurs créations, ont un point commun : elles expriment le dialogue, l’interrogation, la dialectique, la communication, le respect de l’autre, le mouvement des esprits et des corps… la vie, quoi. La vie avec ses fêlures, ses contradictions, ses douleurs, voire ses drames, mais la vie. Pas la mort.
Et cette vie virevolte entre ces oeuvres, si différentes, parfois juxtaposées de façon surprenante, qui s’enrichissent de leurs différences. En toute liberté…
A l’IMA, l’humour côtoie la solennité et la provocation fait bon ménage avec la tradition : les commissaires de l’exposition ont visiblement eu toute liberté pour accueuillir les artistes de leur choix dans cette expo-événement concoctée de longue date, et en haut-lieu, dixit Jack Lang, président depuis 2013 : « J’ai demandé à rencontrer le roi à Fès pour lui exposer le projet et il m’a donné son feu vert. Il m’a renouvelé son appui, ferme, clair, chaleureux et une liberté totale : il n’a pas eu regard sur le choix des œuvres ».
Sur 2 500 mètres carrés, le visiteur peut ainsi découvrir, sous bien des facettes différentes la scène artistique marocaine contemporaine. Arts plastiques, design, vidéo, architecture, mode : les œuvres d’artistes confirmés côtoient celles de jeunes talents émergents : cette exposition est l’une des plus importantes jamais consacrées en France à la scène artistique contemporaine d’un autre pays. L’auditorium propose aussi une série de concerts, spectacles vivants projections et conférences qui permettent de comprendre le Maroc d’aujourd’hui et d’aborder les questions du politique, de la religion, du féminisme, des médias, de l’économie, des langues, de la littérature, ainsi que du nouveau paysage de l’art contemporain.
Cocote minute / Minute… cocotte !
Impossible de faire l’inventaire d’une production hétéroclite à travers laquelle le visiteur déambule ave plus ou moins d’enthousiasme, se reposant à l’occasion dans l’un ou l’autres des multiples « coins salons » conviviaux (avec tapis et poufs) : ce qui attire le regard – et régénère les esprits, en ces temps post-traumatiques, ce sont évidemment les œuvres qui résonnent avec l’actualité.
Comme ces cocottes minutes-explosées intitulées « Monde Arabe sous pression » de la jeune artiste Batoul S’himi.
Ce sont, comme par hasard, les femmes qui, probablement, revendiquent avec le plus de force et d’originalité le droit à la liberté d’exister… et de vivre. Les tabous sont ainsi questionnés, remis en question, moqués ou bien carrément pulvérisés.
Les interdits volent en éclats : éclats de rire, éclats de lumière, éclats de sang aussi… et de douleur. L’humour est au rendez-vous, même s’il grince, même s’il pique et sort ses griffes.
Safaa Mazirh expose la photo de son corps nu recroquevillé sous une table, Safaa Erruas détourne des oreillers-coussins, si symboliques de l’hospitalité Marocaine, et les voilà truffés d’aiguilles, Fatima Mazmouz enceinte jusqu’aux dents mais bottée de cuir noir s’affiche en string, soutien-gorge et burka dans sa série « Super Oum».
L’humour à mort encore et toujours…
Quant à la toute jeune vidéaste Nadia Bensallam, elle se fait filmer « 2 minutes 45 » dans une rue à Marrakech, en burka noire intégrale ne laissant percer que ses yeux… mais qui s’arrête aux genoux, dévoilant ses mollets nus juchés sur des talons hauts :les regards des passants et surtout leurs commentaires fusent, dont celui-ci provenant d’une jeune homme : « Honte sur toi, tu insultes l’islam ! J’espère que tu vas mourir dans un accident ! »
Le mouvement féministe marocain est l’un des plus puissants dans le monde arabe, il est très relayé par cette génération de femmes artistes débridées qui n’hésitent pas à s’exposer, au risque de leur vie.
Puisse leurs audace contribuer à l’ouverture des esprits : si des millions de français, qui n’ont jamais ouvert l’hebdo satyrique, aujourd’hui se sentent « Charlie », ils devraient courir voir les oeuvres de tous ces artistes… pour manifester, encore et toujours contre le terrorisme et l’intolérance.
Et puisse l’extrait du « Préambule de la Constitution Marocaine » signée le 29 juillet 2011, affiché sur le parvis de L’IMA (en arabe, en berbère, en hébreu et en français) faire écho dans toutes les consciences, quelque soient leurs convictions religieuses : elle revendique la diversité culturelle de son héritage « nourrie et enrichie de ses affluents africains, andalous, hébraïque et méditerranéen » et affirme « l’attachement aux valeurs d’ouverture, de modération, de tolérance et de dialogue »… tout un programme !
Exposition à l’IMA (Institut du Monde Arabe) prolongation jusqu’au 1er mars.