D’un Couvre feu à l’autre; le couvre feu décrété à Paris, ce 17 octobre 2020, réveille sur es réseaux sociaux algériens des souvenirs douloureux d’un autre couvre, le 5 Octobre 1961, en pleine guerre d’Algérie.
Le 17 octobre 1961, une manifestation contre le couvre feu décidé le 5 octobre, provoque un terrible massacre en plein Paris
La fin de la Guerre d’Algérie se joua en partie sur le sol français où le FLN multiplia les attentats contre les forces de l’ordre. Si bien que le 5 octobre 1961, la préfecture de police de Paris, tenue en ces temps le désormais Maurice Papon, ordonna un couvre-feu spécifique : « Il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs musulmans algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement de 20 h 30 à 5 h 30 du matin. ».
Pour protester contre un couvre-feu vexatoire et discriminatoire imposé depuis douze jours d’abord aux travailleurs Algériens puis à l’ensemble des Nord-Africains, des milliers d’Algériens résidents en France sortent la nuit du 17 octobre 1961 pour manifester à Paris. La répression est féroce. Des dizaines de morts, certains jetés dans la Seine. Et un long et lourd silence s’installa ensuite.
Un peuple « frappé de stupeur »
En 2012, soit 55 ans après les terribles massacres, le président François Hollande « reconnaît avec lucidité », au nom de la République, la « sanglante répression » au cours de laquelle ont été tués « des Algériens qui manifestaient pour le droit à l’indépendance ». C’est une première.
Longtemps occulté, cet épisode sanglant de la guerre d’Algérie est sorti avec fracas du placard de l’histoire. Depuis deux décennies, des livres, des films et des documentaires ont été consacrés aux massacres du 17 octobre 1961. Dans un entretien filmé par l’APS (Agence d’information officielle algérienne), Omar Boudaoud, ancien chef de la Fédération de France du FLN, décédé le 9 mai dernier à Aix-la-Chapelle, en Allemagne, explique que les autorités françaises étaient décidées à «casser le FLN. Par quoi ? Par un couvre-feu. Un couvre-feu du soir au lendemain matin, il faut dire qu’ils avaient vu juste dans la mesure où tout le travail du FLN en France se faisait après le repas du soir» soulignait-il.
De son côté, Mohamed Ghafir, dit Moh Clichy, l’un des organisateurs de la manifestation du 17 octobre 1961, témoigne dans un récit intitulé « Ma douleur » ( éditions Ressouvenances), de l’ampleur de la répression: «La riposte des forces de la répression, constituées par la police, la garde mobile, la gendarmerie, les harkis, les pompiers, fut aveugle et sanglante. Le bilan est lourd, très lourd. On dénombre plus de 12 000 arrestations ; des centaines de morts, jetés dans la Seine, jonchant les boulevards, abattus par balles ; plus d’un millier de blessés et d’aliénés à jamais, pour la vie.». «Le peuple français était frappé de stupeur» écrit-il.
En France, 59 ans après les massacres du 17 octobre 1961, des intellectuels, des élus demandent que cet épisode de la fin de la guerre d’Algérie soit reconnu comme un « crime d’Etat ».
Crimes d’Etat
Dans une tribune publiée ce samedi 17 octobre 2020 par le quotidien Libération , ils rappellent que « Ces événements tragiques font partie de notre histoire commune mais ils ont sciemment été effacés de notre mémoire collective. Les livres d’histoire et les manuels scolaires évoquent peu ces faits historiques mais cette sanglante répression doit être restituée afin d’écrire l’histoire dans le sens de la vérité ! La lumière doit être faite sur ces actes meurtriers ».
Les signataires de cette tribune, et parmi eux des élus, des maires, des sénateurs, et l’historien Benjamin Stora (*) revendiquent l’ouverture des archives sur ces évènements, demandent que les crimes du 17 octobre 1961 soient reconnus crimes d’Etat. Ils proposent par ailleurs que la date du 17 octobre 1961 soit intégrée à la liste des cérémonies officielles dans toutes les villes de France et que des plaques commémoratives soient apposées dans les villes où les associations en font la demande. De son côté, Anne Hidalgo, la maire de Paris a tweeté ce matin « Comme chaque année, Paris rend hommage aux nombreux Algériens tués, blessés ou disparus lors de la terrible répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961« .
Mémoire et hasard
Hasard de calendrier : le président Macron annonce un couvre-feu pour lutter contre la propagation du Covide19 effectif à partir du… 17 octobre 2020. Un hasard, vraiment ? Le débat entre les bi-nationaux s’enflamme sur les réseaux sociaux si propices aux thèses complotistes. Mais il éclaire à sa manière à quel point la mémoire de ce massacre est vive. D’une génération à l’autre, d’une rive à l’autre, le mot couvre-feu renvoie à des blessures dououreuses.
En France dans l’imaginaire collectif, le couvre-feu renvoie à l’occupation allemande et à la guerre d’Algérie. En Algérie, seuls les anciens associent ce mot à la guerre de libération nationale. Pour le reste des citoyens le couvre-feu fait partie de la panoplie des horreurs subies durant la décennie noire du terrorisme islamiste. Pour les franco-algériens enfin, nés ici de parents algériens, le couvre-feu renvoie d’abord au 17 octobre 1961.
Confinement nocturne
En décrétant le couvre-feu à partir du 17 octobre 2020 pour au moins quatre semaines, le président Macron voulait frapper les esprits, et alerter sur les dégâts que peut provoquer une seconde vague de contaminations. On peut supposer que personne dans l’entourage du jeune président n’a fait de rapprochement avec le couvre-feu du 17 octobre 1961. Le terme de «confinement nocturne» aurait été plus judicieux objectent les internautes les moins radicaux.
On imagine le communiqué rectifié : « Il est conseillé de la façon la plus pressante de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement de 21H à 6H du matin. Qui osera braver ce confinement nocturne obligatoire sera tabassé et jeté dans la Seine »