Dans un bref laps de temps, le régime Ouattara a brisé des maisons et mis leur habitants à la rue, notamment dans les quartiers populaires de Yopougon et de Koumassi en octobre et novembre 2021. L’opinion s’est émue de découvrir ces enfants en uniforme scolaire sous des bâches face aux ruines de leurs habitations, de leurs écoles ou de leurs mosquée- ce qui n’est pas sans rappeler « les déguerpis de Port Bouet » qui en 2018 survivaient dans un cimetière.
Pratiques autoritaires et absence de relogement se mêlent à des opérations immobilières douteuses, où abidjanais et migrants sahéliens vivent dans une grande précarité juridique. De 1998 à 2014, selon les derniers recensements de la population et de l’habitat, la population abidjanaise est passée de 2 877 948 à 4 707 404 habitants, soit quasiment le double. Le taux de croissance de la population d’Abidjan étant de 2,6% selon le recensement de 2014, la population actuelle en 2021 devrait être autour de 5 564 155 habitants. Cette croissance importante de la population a accru la crise du logement, et de fait le développement des quartiers précaires, car les ivoiriens n’ont plus les moyens de se loger, encore moins de se loger décemment .
Le Chef de l’Etat ivoirien, conscient de ce déficit de logement décent, avait dans ses promesses de campagne en 2010 promis « un toit à chaque ivoirien » et une fois au pouvoir, a lancé la construction de logements sociaux. Malheureusement, ces logements sont hors de la portée de la bourse de l’ivoirien moyen et plusieurs sociétés commises dans ce projet sont accusés d’escroquerie.
Après deux mandats et un troisième mandat en cours, rien n’a changé sur le terrain : bien au contraire nous assistons à une prolifération des quartiers précaires qui sont actuellement plus de 150, répartis dans toutes les communes du District d’Abidjan. Pire, nous assistons depuis 2013 à une série de déguerpissements abusifs et les populations des quartiers précaires, majoritairement originaires du Nord du pays et )à ce titre une des bases électorales du Président au pouvoir, sont dans l’angoisse totale face aux menaces de déguerpissement
Chaque quartier se demande : « à quand son tour » ?
Des quartiers entiers sont détruits sans le respect d’aucune procédure, livrant ainsi des milliers de familles déjà pauvres à la misère totale, et interrompant par la même occasion la scolarité de milliers d’élèves. Le drame c’est que même quand au départ les procédures semblent respectées, l’opération finit avec des abus. Ainsi nous avons assisté impuissants à une série de déguerpissements.
En juillet 2018, à Port Bouet, en pleine saison pluvieuse et au moment des écrits du Bac, de plus de 6000 familles, sans mise en demeure et sans négociation. Jusqu’aujourd’hui, ils n’ont obtenu aucun dédommagement et le site est toujours inexploité en raison des litiges dont il fait l’objet ;
Toujours en 2018, les « logements coloniaux » ont fait l’objet de déguerpissement abusif à Cocody et de menaces pour les autres sur les sites d’Adjamé extension et de Treichville. Eux aussi n’ont jusque là rien reçu comme indemnités.
Plus récemment en octobre 2021, les populations de Yopougon Banco nord extension ont été victimes. Ce sont 4043 personnes dont 617 élèves qui sont actuellement sans domicile et qui vivent sous des tentes ; le 16 novembre 2021, ça été le tour de Koumassi 32.
Enfin nous avons le cas du grand projet du métro d’Abidjan, qui bien qu’ayant respecté les procédures, a enregistré des cas d’abus. En effet, non seulement les personnes recensées n’ont pas toutes fait l’objet d’indemnisation avant la destruction de leurs bâtis, mais certaines personnes non recensées ont vu leurs biens détruits.
L’État hors la loi
Nous sommes donc dans une situation où l’État, qui devrait garantir le droit au logement, le droit à l’éducation et la protection des personnes et des biens, s’érige en hors la loi et précarise impunément la vie de milliers de familles. Cette situation accroît les inégalités sociales en accentuant la fracture sociale créée par les différentes crises militaro-politiques.
Quatre raisons principales sont à la base de cette mauvaise gestion du développement urbain.
La première est relative à l’instabilité institutionnelle qui fait que les tenants du pouvoir n’achèvent pas les bons projets qui étaient en cours, notamment le projet de transfert de la capitale à Yamoussoukro initié sous le Président Houphouet Boigny, mis en œuvre par le Président Laurent Gbagbo et malheureusement interrompu par le Président Ouattara. Ce projet en faveur de la décentralisation du pouvoir aurait désengorgé Abidjan et amoindri la pression sur le foncier et les logements.
La seconde raison est liée au non respect de la séparation des pouvoirs. Tous les pouvoirs et toutes les institutions étant assujettis au Chef de l’Etat, il n’y a pas d’Etat de droit. Les tenants du pouvoir agissent au mépris des lois et les expropriations sont massives et impunies.
La troisième est en rapport avec la seconde sur le non respect des procédures en matière de déplacement involontaire des populations. Les normes de sauvegarde environnementale et sociale recommandent la réalisation d’une étude d’impact environnemental et social (EIES) et la réalisation d’un plan d’action de réinstallation (PAR) des populations affectées par le projet qui nécessite un déplacement de populations. C’est seulement après la mise en œuvre du PAR qu’on peut procéder à la libération d’un site de projet.
La quatrième raison est la non planification de ces déplacements et la non coordination des actions gouvernementales. On assiste à des conflits de compétences révélateurs de ces dysfonctionnements dans les actions de développement qui finalement désservent les vrais objectifs de développement.
Toutes ces raisons sont des preuves de malgouvernance qui se résument au non respect des lois et des droits. Les solutions résident donc dans une sensibilisation des autorités au respect des lois et des droits, au respect de la dignité humaine. Les autorités doivent être sensibilisées aux principes du développement durable qui prescrivent l’équité entre l’économique, le social et l’environnemental. Il y a également une nécessité d’encadrer les populations déjà abusées pour les aider à obtenir des réparations, de même que celles qui sont menacées pour prévenir les déguerpissements abusifs.
Mettre des milliers de familles à la rue sans mesure d’accompagnement dans le cadre des déguerpissements abusifs, c’est précariser leurs conditions de vie donc c’est accroître les inégalités sociales. Ces populations déjà vulnérables sont rendues davantage vulnérables encore et les frustrations qui en découlent accroissent la fracture sociale entre les tenants du pouvoir et les populations lésées d’une part, mais également entre les tenants du pouvoir et leurs partisans déçus. des promesses de campagne non tenues.
Celui que les populations ont porté au pouvoir travaille à la précarisation de leurs conditions de vie. Sans états d’âme.
Côte d’Ivoire, la libération de Pulchérie Gbalet