Alors que la tension politique liée à l’organisation du référendum du 25 octobre 2015 n’est pas retombée, l’incarcération de dix jeunes du Mouvement citoyen « Ras-le-bol » suscite la colère de la société civile
Après la tenue controversée le 25 octobre dernier de son référendum, le président congolais Denis Sassou Nguesso semble avoir choisi la manière forte contre ses opposants et la société civile. C’est désormais la raison du plus fort qui prime sur le droit dans le pays. Des jeunes, qui ont décidé de s’organiser dans le cadre de la société civile contre le projet de changement de constitution du Président Sassou en ont fait l’amère expérience.
Le vendredi 9 octobre 2015, le Ministre de l’intérieur congolais annonçait l’ouverture de la campagne en vue du référendum du 25 octobre 2015, tendant au changement ou non de la constitution du 20 janvier 2002.En principe, à compter de ce 9 octobre 2015, les partis politiques et les associations de la société civile avaient le droit de manifester et de diffuser leurs idées dans le but de faire triompher le « Non » ou le « Oui » au projet de changer la constitution.
Pourtant, ce 9 octobre 2015, le mouvement citoyen « Ras-le-bol », réunissant des jeunes congolais issus de toutes les régions, en décidant d’organiser une manifestation faisant l’apologie du « Non » au changement de la constitution, laquelle manifestation était encadrée dès son début par les forces de police, cette dernière décida purement et simplement d’interrompre cette manifestation, eu égard au ralliement progressif de plusieurs jeunes.
La police interpella alors six jeunes de « Ras-le-bol » considérés comme les meneurs. Il s’agit des sieurs Ludovic Ngomi (coordonnateur adjoint du mouvement), Marc Mantot, Gloire Basinga Batsimba, Eric Soukami Linvo, Laurent Makoumbou et Jules Pandi.
Arrêtés le 9 octobre 2015, ils ont été gardés à vue d’abord au commissariat central de Brazzaville, puis transférés le lendemain dans les locaux de la tristement célèbre Direction générale de la sécurité du territoire (DST), où ils ont été détenus pendant neuf jours.
Ce n’est que le 19 octobre 2015, soit dix jours après leur privation de liberté, que ces six jeunes ont été présentés devant le Tribunal de Grande Instance de Brazzaville, pour se voir inculper du chef de trouble à l’ordre public, et mis en mandat de dépôt.
Ces jeunes ont une fois de plus comparu le 02 novembre devant le Tribunal de Grande Instance de Brazzaville pour entendre le Procureur de la République requérir à leur encontre des peines d’emprisonnement ferme de quatre mois, et sont actuellement toujours en détention, dans l’attente de la délibération prévue le 14 décembre 2015.
Vices de procédure à tous les étages
Ce qui est extraordinaire dans la détention de ces jeunes, c’est la violation complète des règles de procédure pénale en vigueur en République du Congo, de sorte que cette détention est arbitraire de bout en bout, symptomatique de la loi du plus fort qui règne dans ce pays, et témoignant une fois de plus, de la déliquescence de l’Etat.
En effet, aux termes de l’article 48-1° du Code de Procédure Pénale Congolais :
« Dans les circonstances urbaines où siège un Tribunal de Grande Instance, s’il existe contre une personne des indices graves et concordants de nature à motiver son inculpation, les officiers de police judiciaire doivent la conduire devant le Procureur de la République, sans pouvoir la garder à leur disposition plus de 72 heures. »
Mieux encore, l’article 49-3° dudit code précise :
« A l’expiration des délais prévus aux alinéas susvisés, les personnes gardées à vue ne peuvent plus faire l’objet d’interrogatoire même si lesdites personnes ne peuvent être conduites immédiatement devant le Procureur de la République ou le juge d’instruction en raison d’un cas de force majeure résultant notamment de l’absence de moyen de transport. »
Il résulte de la combinaison de ces deux dispositions légales qu’une personne inculpée ne peut pas faire plus de trois jours en garde à vue même en cas d’empêchement majeur de le conduire immédiatement devant le Procureur de la République ou le juge d’instruction.
Or, comme nous l’avions dit, les jeunes du mouvement citoyen « Ras-le-bol » ont été privés de liberté durant dix jours, avant d’être présentés devant le Tribunal de Grande Instance de Brazzaville. Il est donc constant qu’au-delà de trois jours, leur garde à vue était totalement arbitraire, et attentatoire à leur liberté fondamentale d’aller et de venir, pourtant garantie par la Constitution congolaise du 20 janvier 2002.
Par ailleurs, ces jeunes sont aujourd’hui, semble-t-il, sous mandat de dépôt, à compter de l’audience du 19 octobre 2015, et ce jusqu’à ce jour, dans l’attente de la délibération prévue en date du 14 décembre.
Il semble donc que c’est en pleine audience pénale en date du 19 octobre 2015 que le mandat de dépôt a été décerné contre ces jeunes.
Or, les articles 104-1° et 105-8° du Code de Procédure Pénale Congolais prévoient qu’il est du pouvoir du juge de l’instruction de décerner tout mandat de dépôt au moment de l’interrogatoire de l’inculpé, et non du pouvoir d’un magistrat pénal en pleine audience.
La violation massive de la Procédure Pénale par les autorités de Brazzaville pour attenter à la liberté des jeunes du mouvement citoyen « Ras-le-bol » dont le seul tort était de manifester pour exprimer leur choix référendaire, est symptomatique de la dérive du régime Denis Sassou Nguesso tendant à détourner les institutions de l’Etat de leur mission initiale, pour les assujettir à sa seule volonté.
Les défenseurs du Droit et de la Liberté doivent peser de tout leur poids pour que les six jeunes actuellement en détention arbitraire en République du Congo soient libérés le plus vite possible, car s’il a fallu quatre cavaliers dans l’apocalypse de Saint Jean pour répandre la peur, la terreur, et l’oppression sur la terre, il semble qu’en République du Congo, Denis Sassou Nguesso incarne à lui tout seul, les chevauchements de ces quatre cavaliers.