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Ces résistants kabyles qui sauvaient les juifs

Youcef Zirem, romancier prolifique, qui a écrit notamment l’Homme qui n’avait  rien compris, paru aux éditions Michalon en 2013, publie un nouveau roman historique, original et passionnant, sous le titre : Les étoiles se souviennent de tout. Une chronique de Farid Benmokhtar

Le roman raconte une histoire véridique des militants nationalistes Kabyles de la seconde guerre mondiale. Comment ces résistants  ont sauvé les enfants juifs de la Gestapo à Paris. Une histoire attachante qui nous plonge dans une période noire et complexe des années quarante, mais aussi une histoire pleine d’amour entre les peuples. Nous le recommandons aux lecteurs pour découvrir cette belle histoire de solidarité et de fraternité.

  1. Votre dernier roman, les étoiles se souviennent de tout, est de type historique, pourquoi ce choix littéraire ?

 Ce n’est pas vraiment un choix. Quand j’ai été au courant de cet épisode historique grâce au travail documentaire de Derri Berkani, diffusé sur France trois en 1991, je me suis senti presque obligé d’écrire un roman sur le sujet. Cette histoire de résistants kabyles m’avait beaucoup interpellé. Mais cela m’a pris du temps, je fus obligé de parcourir près de 50 livres d’histoire sur cette époque trouble. Je ne voulais pas écrire, même dans un roman, des choses qui soient loin de la réalité. Par ailleurs, je suis passionné d’Histoire ; j’ai écrit l’Histoire de la Kabylie, un livre paru aux éditions Yoran Embanner, qui est à sa troisième édition. Je voulais également faire plonger le lecteur dans une période peu connue qui reste, à bien des égards, bien obscure.

Oui, cette histoire est largement occultée jusqu’à aujourd’hui. Elle reste méconnue par le grand public et parfois même par les spécialistes. L’écriture de l’Histoire est souvent prisonnière d’intérêts politiques immédiats. Les Kabyles ne sont pas seulement marginalisés dans leur vécu dans leur pays et dans les pays où ils sont présents en tant que diaspora mais ils sont également absents des livres d’Histoire. Quand on parle de ce qui s’est passé à Paris, en 1942, on se contente de raconter le rôle de la mosquée de Paris mais on occulte toujours l’action des résistants kabyles.

A ma connaissance, il n y aucune œuvre qui raconte cette histoire avant mon roman. Il peut y avoir des allusions au rôle joué par la mosquée de Paris, à travers son recteur, le cheikh Benghabrit, mais personne n’a signalé le rôle capital joué par les résistants kabyles. Seul Derri Berkani à qui je dédie, entre autres, mon roman en a fait un film documentaire. Je renouvelle ici ma reconnaissance à Derri Berkani que j’avais reçu, il y a quelques années, quand j’animais mon émission littéraire, Graffiti, sur BRTV.

Le titre de Juste est donné par une institution israélienne, Yad Vashem, c’est surtout un titre honorifique. Cette institution fait un travail de vérification des faits historiques avant de décerner ce titre. Il se trouve que les principaux témoins, ceux qui ont parlé à Derri Berkani, entre autres, ne sont plus de ce monde, paix à leur âme.  Mais je ne comprends pas pourquoi on n’a pas pu les consulter quand ils étaient encore vivants. Il y a probablement des choses qui m’échappent. Aujourd’hui, il y a  une femme, encore vivante aux USA, Annette Herskovits, qui a été sauvée par les résistants kabyles, avec le concours de la mosquée de Paris.

C’est un fait historique avéré. C’est, encore une fois, Derri Berkani qui a retrouvé le tract des résistants kabyles. Ce tract a été écrit en langue kabyle pour que ni les Français ni les Allemands ne comprennent ce qu’il y a dans ce texte. En tant que romancier, j’ai inventé des personnages pour donner du relief et de l’épaisseur à ces combattants de l’ombre. J’ai également situé les positions politiques de ces résistants qui avaient aussi le souci de leur pays d’origine, encore sous le joug de la colonisation à cette époque-là. Dans mes recherches historiques sur cette période-là, j’ai tiré une vie sociale, une vie faite d’amours, de difficultés, d’errances, de misères, de multiples stratagèmes pour rester en vie.

Comme je le disais, le choix de la langue kabyle était pour ces résistants kabyles une nécessité. C’était une période de délation ; une période où les nazis recevaient des centaines de dénonciations, chaque jour. Les résistants kabyles connaissaient très bien cette situation. Certains de ces résistants kabyles étaient déjà à Paris dans les années 1920 ; ils évoluaient dans un milieu qu’ils maîtrisaient. Pour ne pas courir le risque d’être dénoncés, ils ont choisi d’écrire le tract en langue kabyle. Ils ont aussi choisi les mots appropriés pour toucher le cœur de tous les Kabyles, assez nombreux, qui habitaient alors en région parisienne.

Les temps ont changé, pour paraphraser Bob Dylan. Les tenants du pouvoir, dans beaucoup de pays, ne cherchent qu’à gérer leur carrière politique, ils ne vont pas souvent dans le sens de la construction humaniste. Les religions continuent à être utilisées politiquement. Le cheikh Benghabrit a été à l’origine de la création de la grande mosquée de Paris, inaugurée en 1926. Mais le cheikh Benghabrit c’est aussi un poète, un amateur des belles choses de la vie, un grand passionné de théâtre, de musique…Le cheikh Benghabrit est très loin de tous les intégrismes d’aujourd’hui. Le cheikh Benghabrit a travaillé étroitement avec les résistants kabyles, il leur  a fait confiance même si certains d’entre-eux ne croyaient même pas à l’existence de Dieu.

Il y a certainement plusieurs éléments qui expliquent cette situation. Le premier, c’est le régime autoritaire. La dictature ne permet pas l’ouverture d’esprit. Le régime algérien en installant la pensée unique a détruit le pays. En se voulant plus arabe que les arabes, le régime algérien a toujours fait de la surenchère en voulant aider le peuple palestinien, il a ainsi accentué l’antisémitisme de beaucoup d’Algériens. En travestissant l’Histoire du pays, le régime algérien occulte le fait que les Juifs sont aussi des enfants du pays : ils sont là depuis la nuit des temps. Certaines d’entre-eux ont même été de grands  militants du FLN durant la guerre de libération. Le régime algérien a produit des générations d’ignorants à cause d’une école rétrograde ; une école toujours fermée sur le monde, une école prisonnière de la propagande du régime.

Je suis Kabyle, je suis fier d’être Kabyle mais je suis d’abord un humaniste. Je m’affirme en tant que Kabyle sans avoir un gramme de haine envers personne sur cette Terre. Les valeurs kabyles font partie de la richesse de toute l’Humanité. Les prénoms kabyles sont un clin d’œil à cette culture kabyle qui nous vient de très loin, une culture toujours vivante, une culture qui a toujours vécu en harmonie avec la nature et avec les autres peuples. Oui, donner un prénom kabyle à un enfant est une façon de lui offrir des racines qui vont l’aider à faire son chemin dans la vie.

  1. Le héros de votre roman s’appelle Ithri, sa fin, dans le roman, est tragique. Il n’a pas été assassiné par la Gestapo en raison de son geste héroïque en adoptant deux enfants juifs Sarah et David. Cependant les soupçons portent beaucoup plus sur les nationalistes algériens qui prônaient l’idéologie arabo-islamiste. Pouviez-vous nous dire pourquoi ?

Ithri meurt effectivement dans le roman. Mais on ne sait pas vraiment qui l’a tué. Le doute persiste. Cette période de l’Histoire est marquée aussi par de virulentes querelles  entre les différents courants des nationalistes algériens. C’est pour cela que tout pouvait arriver, y compris l’assassinat. Ceux qui voulaient être plus arabes que les arabes étaient également violents. Certains d’entre-eux ont même collaboré avec les nazis. Mais ils n’ont pas le monopole de cette collaboration.

  1. Je vous laisse le dernier mot pour conclure cet entretien.

Je voudrais surtout insister sur l’humanisme des résistants kabyles de cette époque-là ; ils survivaient difficilement, ils étaient souvent de condition modeste mais ils sont restés fidèles aux valeurs kabyles de solidarité. Ils sont, à bien des égards, un exemple pour nous tous aujourd’hui…Ils ont pris des risques énormes pour sauver des enfants victimes de la barbarie nazie ; ils n’attendaient rien de personne, ils avaient une conscience, ils ont combattu l’injustice parce qu’ils croyaient à la justice. Ils   avaient compris qu’en se battant contre l’injustice, ils prenaient le chemin de la liberté ; c’étaient des Imazighen, des hommes libres. 

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