En se référant audacieusement au Livre de la Genèse et en paraphrasant la célèbre expression du roi français Louis XV, on aurait pu prêter aux actuels gouvernants centrafricains, comme à leurs prédécesseurs, l’exclamation « après moi le déluge « . En réalité, le déluge est déjà là et on peut se demander s’il ne va pas entraîner un tsunami populaire.
Il va de soi que les pluies diluviennes qui viennent de s’abattre sur l’Afrique centrale et la région des Grands Lacs, avec les catastrophes humanitaires subséquentes, résultent probablement des nouveaux aléas climatiques et sont avant tout des catastrophes naturelles rappelant la fragilité des sociétés humaines, aussi bien organisées soient-elles.
Un déluge révélateur de l’incurie
En Centrafrique, ce ne sont pas uniquement les rives de l’Oubangui et de ses affluents qui sont touchées, comme jamais elles ne l’ont été depuis des décennies. D’innonbrables villages, coupés du monde par des pistes durablement impraticables, sont impactés par les inondations qu’elles soient fluviales ou non. Bangui paie un lourd tribut avec sa croissance anarchique exponentielle due aux conséquences de l’accaparement du territoire national par les groupes armés et les concessions accordées, sans contôle, à des entreprises étrangères peu soucieuses des populations locales. Faute de statistiques mises à jour et fiables, on peut néanmoins estimer que la capitale centrafricaine et son agglomération comptent désormais probablement environ le tiers de la population (1 300 000 habitants) qui résident encore en Centrafrique (probablement moins de 4 millions habitants).
En dépit des projets financés par les partenaires financiers depuis des décennies, aucun plan d’urbanisation, aucun programme d’assainissement, de prévention des risques et d’aménagement des zones périphériques n’ont été réellement réalisés par les autorités nationales et municipales.
En prenant en charge l’exécution des travaux par ses ressortissants, comme le pont Sapéké à Bangui, la Chine a pris les devants en contournant cette évaporation traditionnelle des crédits qui n’émeut guère les partenaires financiers internationaux. Les services de protection civile sont encore embryonnaires et ne bénéficient que des appuis ponctuels de la coopération française. Avec ce nouveau cataclysme, on peut se demander quels sont les services publics qui fonctionnent encore normalement ? Faustin-Archange Touadera peut-il être exonéré de toute responsabilité alors qu’il est chef de l’État depuis le 30 mars 2016 et qu’il a été chef du gouvernement durant cinq ans (2008-2013) ?
Le cynisme ambiant
Les dizaines de milliers voire centaines de milliers de victimes sont en droit de demander des comptes aux autorités gouvernementales qui sont essentiellement préoccupées par la réélection du président Touadera, quelque sera alors le pourcentage territorial encore contrôlé par Bangui. Les victimes des inondations implorent des secours qui ne viennent pas. La comédie du pouvoir l’emporte sur la tragédie humaine. D’ores et déjà, l’Union africaine, l’Union européenne et l’Onu se mobilisent pour les futures échéances électorales et laissent entendre qu’Elles se contenteront de la situation qui prévaudra fin 2020, pour ne pas reporter les élections présidentielle et législatives. Il serait alors temps d’imaginer des accommodements pour asseoir ce mirage de la démocratie.
En décembre 2018, les élections en RDC avaient été affectées par cette curieuse trouvaille de reporter les élections uniquement pour des régions du Nord-Kivu et du Maï-Ndombe. Plus d’un million de citoyens congolais avaient ainsi été privés du droit de suffrage pour élire leur président. En sera-t-il de même dans le nord-est de la Centrafrique voire dans le sud-est désormais sous administration d’Ali Darass, ministre conseiller gouvernement à Bangui et chef rebelle de l’UPC à Bambari ? Les élections sénatoriales ont été impossibles à organiser et donc reportées sine die, en revanche, le premier tour des élections présidentielle et législatives est programmé le 27 décembre 2020.
Les centaines de milliers de citoyens livrés à eux-mêmes, pour la plupart dépourvus de pièces d’identité et de leur carte d’electeur, sont évidemment sourds à ces discours politiciens qui n’intéressent que le microcosme banguissois. Outre le camp présidentiel, qui a récupéré les organisateurs du hold up électoral de 2011, les habituels challengers, depuis une vingtaine d’années, se positionnent, les uns après les autres, pour accéder à la « mangeoire », de plus en plus alléchante grâce à la Banque mondiale, à la Banque africaine de développement, à l’Union européenne et aux nouveaux partenaires adeptes du troc. Tous ces politiciens ont peut être oublié qu’un » ventre affamé n’a point d’oreilles ».
Le déluge actuel pourrait bien constituer les gouttes d’eau qui feront bientôt déborder le vase de la colère.