Alors que tous les yeux sont rivés vers le nord du Mali en proie au chaos, la capitale Bamako n’est épargnée qu’en apparence. Cette immense ville d’Afrique de l’Ouest où vivent près de deux millions d’habitants concentre une grande partie des maux qui rongent le pays.
Les visiteurs qui se rendent au Mali sans vol direct découvrent le plus souvent Bamako de nuit. Dans l’obscurité, la capitale malienne semble d’abord dépourvue de reliefs et les poids-lourds chargés de fruits et légumes venus de Côte d’Ivoire circulent sans encombres.
Butin corse
Pourtant, même aux heures les plus tardives, la ville ne parvient pas à cacher les troubles qui l’agitent, elle, et le pays tout entier. En plein cœur de la cité, sur la grande avenue de la Marne, un îlot de lumières surgit de cet océan de noir. Les néons brillants du « Fortune’s Club », le casino de Bamako construit dans un bâtiment sans charme où dorment de luxueuses voitures, percent crûment la nuit. Propriété du corse Michel Tomi, ancien lieutenant de Charles Pasqua à la tête d’un empire de jeux d’argent en Afrique et ami du président malien IBK, l’établissement peine à trouver sa place dans un décor marqué par la pauvreté. Mis en examen pour une kyrielle d’infractions financières, Michel Tomi a pris soin de laisser sa marque dans la ville dite des « trois caïmans » avant de se faire assigner à résidence en France. Outre le flamboyant casino, il y a le luxueux avion présidentiel dont l’achat, estimé à 29,5 millions d’euros vaut aujourd’hui à IBK la vindicte du FMI. En marge de ces emplettes, celui que l’on surnomme le « corse africain » lègue à Bamako plusieurs projets inachevés dans le domaine routier et des chemins de fer. Un véritable trésor de pirate sur les rives du fleuve Niger.
Forteresse
Au grand jour, Bamako offre avec encore plus de clarté un condensé des vicissitudes du Mali. Depuis le début du conflit, certains quartiers de la ville ont pris des allures de fort militaire. La façade des bâtiments administratifs a changé de visage. Devant l’Assemblée nationale près de la grande Mosquée de Bamako, de grands sacs rembourrés et des briques rouges et blanches restreignent les possibilités de stationnement. « Ca nous rappelle que même si les combats sont au nord, c’est tout le pays qui est en guerre. » explique Nouhoum, entrepreneur Bamakois. Pendant le couvre-feu décrété lors du coup d’Etat contre l’ancien président ATT en 2012, la circulation avait été réduite sur les deux grands ponts de Bamako, artères vitales de cette capitale bâtie à cheval sur le fleuve Niger. « On ne pouvait plus traverser après 20h. Il valait mieux se presser pour ne pas être bloqué ! » plaisante Nouhoum. De cette période mouvementée, la ville a gardé quelques traces visibles, notamment les barrières métalliques, toujours installées aux extrémités des ponts.
A quelques pas de l’Assemblée, l’ambassade de France, à peine visible derrière une montagne de sacs de protection, ressemble à une citadelle parée contre l’état de siège. En 2011, un tunisien âgé de 25 ans se réclamant d’Aqmi avait fait exploser une bonbonne de gaz juste devant le bâtiment, entrainant dans la foulée le renforcement des mesures de sûreté. Depuis, l’ambiance est à la « bunkerisation » des lieux. Gardiens, caméras, barbelés, accès restreint. En interne aussi la dynamique s’est durcie. Les diplomates se font damer le pion par les militaires et les services secrets. En mars 2013, c’est d’ailleurs un saint-cyrien ex officier de gendarmerie proche de la DGSE, Gilles Huberson, qui a été choisi pour remplacer Christian Rouyer, diplomate de carrière. Un peu plus loin, les signes de la guerre sont patents. Le grand « hôtel de l’amitié », l’un des complexes les plus réputés de la ville s’est reconverti en quartier général pour la Minusma qui compte encore environ 8000 hommes sur le territoire malien. Derrière la palissade, une armada de véhicules blancs blindés estampillés « UN » (Nations-Unies) sommeille dans son enclos.
Kadhafi l’architecte
L’austérité de cette atmosphère martiale contraste étrangement avec ce décor hôtelier faste qui doit beaucoup à Kadhafi. Partout, dans le centre ville, l’ancien « Guide » libyen a posé sa signature. De l’hôtel El Farouk situé en en bordure du fleuve au Mariétou Palace en passant par certains complexes de la chaîne Azalaï, Kadhafi avait fait du rachat hôtelier l’un de ses nombreux leviers d’influence au Mali.
Ses investissements vont cependant bien au-delà. Bâtie sur les rives du fleuve, la majestueuse cité administrative de Bamako qui concentre plusieurs ministères sur dix hectares de terre est aussi le fruit des générosités de l’ex « Guide ». « Kadhafi a fait plus pour le Mali que les hommes politiques maliens ! » explique agacé un habitant occupé à remplir sa voiture d’essence. Adossé à la pompe, il s’agite en pointant du doigt vers le quartier de Coura où se trouve la prison civile de Bamako. En juin dernier, plusieurs dizaines de détenus dont un jeune chef djihadiste touareg ayant bénéficié de complicités extérieures s’étaient échappés, semant la panique dans la capitale. « Quand les occidentaux ont liquidé Kadhafi, beaucoup de touaregs maliens sont revenus avec du matériel militaire. L’Otan, la France, ils ont transformé le nord en un grand marché d’armes ! Et en plus, ils aident les touaregs qui sont nos ennemis !» A Bamako, le sentiment anti-touareg est palpable et s’accompagne désormais de plus en plus d’hostilité vis-à-vis de l’action de la France. Près du monument de l’indépendance, un homme en chemise beige trempé de sueur montre un tract dénonçant l’alliance entre Paris et les rebelles du Mnla. « Il faut que la France dise clairement ce qu’elle veut » s’emporte-t-il. Soit elle aide vraiment l’armée malienne, soit elle assume son soutien aux rebelles. Il faut choisir ! ».
Capitale putschiste
Sur le plan économique, le chaos qui sévit au nord Mali a plombé radicalement l’activité touristique de tout le pays. Peu de « toubabs » (blancs) osent désormais s’aventurer vers les terres arides du magnifique pays Dogon. Encore moins vers Tombouctou, la somptueuse « cité des 333 saints » du nord du Mali, mondialement connue pour ses mausolées, ses mosquées de terre et ses précieux manuscrits en partie ravagés durant l’occupation djihadiste de 2012. A Bamako, les affaires ne se portent pas mieux. Les touristes ont déserté les hôtels et les chambres à louer, y compris du côté de la tranquille « cité du Niger » où se concentrent de somptueuses villas habitées par des ambassadeurs et de grands hommes d’affaires. Pour remplir leurs caisses, les patrons des hôtels comptent désormais sur l’accueil de conférences et d’évènements.
Au loin, sur les hauteurs de l’imposante colline de Koulouba, le palais de la présidence surgit au bout d’une allée bordée de portraits de grandes figures de l’histoire malienne. Des militaires barrent la route. Demi-tour. Au loin, un panneau indique la direction de Kati. Cette ville-garnison, repère des redoutables, « bérets verts », les militaires putschistes menés par le capitaine Sanogo qui ont renversé l’ancien président ATT, est à quinze kilomètres seulement du palais. Assis à l’ombre sur le bas côté, Kassim, un habitant du quartier populaire de Niaréla, attend qu’un ami passe le chercher en voiture. Pris dans la conversation, il se souvient. « Au moment du coup d’Etat, les militaires sont arrivés de Kati et ont commencé à tirer sur le palais. Il l’ont incendié en partie » raconte-t-il. En attendant que les réparations soient terminées, IBK occupe une vaste résidence aux allures de « hacienda » dans le quartier de Sébénikoro à l’ouest de Bamako. Aujourd’hui, la rumeur court que le contrat de réhabilitation des lieux aurait été attribué à un membre de la famille du président : Lamine Ben Barka, le mari de la sœur d’Aminata Keïta, l’épouse d’IBK. « J’ai voté pour IBK poursuit Kassim en haussant les épaules. Aujourd’hui je suis très déçu. Rien n’a changé pour les maliens, plus personnes ne se fait d’illusions sur l’avenir et la paix. Les politiciens partagent maintenant le pouvoir en famille et dépensent l’argent de l’Etat. »
Sur la rive gauche du fleuve Niger, dans le quartier de Djicoroni-Para, le visiteur poursuit son itinéraire rétrospectif dans l’histoire récente du Mali. Le long de l’artère principale qui traverse la zone, la grande enseigne du 33è régiment des commandos parachutistes indique l’entrée du camp des « bérets rouges ». Au moment du coup d’Etat, ce corps d’élite de l’armée malienne, proche de l’ancien président ATT combattait les putschistes de Sanogo. Assiégé, le camp fut le théâtre de violentes scènes de tirs. Puis, lorsque les bérets rouges ont lancé une tentative de contre coup d’Etat en mai 2012, les affrontements se sont durcis, forçant carrément l’évacuation des lieux. De nombreux bérets rouges se sont alors retranchés à l’ACI 2000, le nouveau centre d’affaires de la capitale situé à quelques mètres. Aujourd’hui, le retour au calme a permis à une grande partie de ces hommes de reprendre leurs quartiers. La frustration domine pourtant dans les rangs de ces soldats qui se se sont vus retirer la garde présidentielle.
Ailleurs dans la capitale, bien d’autres recoins portent encore les cicatrices des combats qui ont opposé l’ex-junte aux forces loyalistes. De retour vers l’hôtel de l’amitié, un va-et-vient tranquille agite l’entrée des bureaux de l’ORTM, la télévision publique malienne. Difficile d’imaginer qu’il y a deux ans, ce lieu avait pris de force puis saccagé par les militaires putschistes. Le 22 mars 2013, c’est sur leurs écrans que les maliens avaient découvert le visage des nouveaux maitres du pays.
Mille visages
Epargnée par les combats qui se concentrent au nord, Bamako fait face à bien d’autres fléaux, notamment les trafics illicites. Au bord d’une route du quartier populaire de Bagadadji, une femme guette la clientèle, recroquevillée devant un étal rempli de boites de médicaments. Pilules et cachets s’entassent pêle-mêle dans un grand récipient qu’elle tient en équilibre sur sa tête. Au comptoir rudimentaire de cette « pharmacie par terre », des bamakois viennent régulièrement s’approvisionner en médicaments d’origine douteuse, parfois périmés, vendus moins cher que sur le marché régulier. Un commerce parallèle en pleine expansion qui représente aujourd’hui environ 30% des médicaments vendus au Mali. C’est pourtant à un autre type de trafic que le quartier doit sa réputation. Celui de la drogue. Principalement la cocaïne, le haschisch et le crack. « De nombreux jeunes du quartier sont enrôlés dans les circuits de vente et de consommation » explique un agent des douanes. Une spirale dont il est extrêmement difficile de sortir. « Les dealers sont de mèche avec de nombreux policiers et certains responsables politiques de haut rang. »
Pétrie d’inégalités, la capitale malienne change de visage d’une rue à l’autre. Après le dénuement des quartiers traditionnels de Bagadadji, Niaréla, Bozola ou encore Missira, de hautes tours en verre accompagnent l’entrée dans le tout nouveau quartier d’affaires de Bamako, l’ACI 2000. Ici, banques, bureaux, hôtels et hommes en costumes forment le gros d’un décor moderne sorti de terre en moins de dix ans. Toujours avec l’aide financière de Kadhafi. Les élites maliennes y font des affaires, s’agitent, se croisent avant d’aller prendre un pot à la tombée du jour dans la lumière tamisée des bars courus du quartier Hippodrome. C’est dans l’ACI 2000 que Karim Keïta, le fils du chef de l’Etat devenu député et président de la commission défense à l’assemblée nationale a choisi d’installer sa société de location de voitures. On y trouve aussi le siège du Haut conseil islamique (HCI), principale instance représentative des organisations musulmanes du pays présidé par l’influent imam wahhabite Mahmoud Dicko. Fortement impliqué dans la politique, le HCI a largement soutenu IBK lors des élections présidentielles. A Bamako, théâtre malien de la course au pouvoir où beaucoup rêvent de se faire une place, nouer des alliances est un sport quotidien.
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