Le Gabon a vécu au Cameroun une Coupe d’Afrique réussie sur le terrain avec une place de huitième de finaliste invaincu, mais très agitée en coulisses avec une multitude de polémiques. L’occasion pour les proches de Nourredine Bonfo, le fils du président Ali Bongo, de se montre totalement contre productifs par des interventions intempestives.Retour sur les coulisses d’un parcours singulier.
Un article de Patrick Juillard
Durant la CAN 2021, disputée au Cameroun en ce début d’année 2022, le Gabon aura autant défrayé la chronique sur le terrain qu’en coulisses. Auteurs du meilleur tournoi de leur histoire récente hors de leurs bases malgré de nombreuses absences dues au Covid, les Panthères ont aussi collectionné les embûches, plus ou moins évitables. Dès leur arrivée à Yaoundé, éclatait une première polémique. Alors qu’ils devaient loger à l’hôtel La Falaise, Pierre-Emerick Aubameyang et ses coéquipiers sont descendus au Star Land. Jugé tout à fait impropre à la concentration des joueurs, le premier établissement accueillera néanmoins les membres « non statutaires » de la délégation gabonaise, ainsi que les représentants des médias du pays. La Confédération africaine de football ne va évidemment pas rester sans réaction. Après avoir adressé à la Fédération gabonaise de football une lettre de mise en garde, le jury disciplinaire inflige une amende de 20.000 dollars pour violation des règlements et directives de la CAF. L’Etat gabonais payera le séjour à l’hôtel et l’amende.
Les ennuis financiers n’étaient pas terminés. Ils avaient même commencé quelques jours plus tôt, alors que l’équipe était rassemblée à Dubaï pour préparer cette 33ème édition de la CAN. Une querelle de primes pourrissait l’atmosphère depuis le début du stage. Une mutinerie menée par ceux que les Gabonais appellent « les 2017 » : comprendre les rescapés de la CAN organisée cette année-là au pays. Les Denis Bouanga, Guelor Kanga, Pierre-Emerick Aubameyang et Mario Lemina, échaudés par ce qu’ils avaient subi alors. « A l’époque, rien n’avait été décidé. L’idée c’était, on joue et après on verra », pour reprendre les mots d’une source proche de la sélection gabonaise. Problème : les joueurs n’avaient rien vu venir, suite à une décision prise en haut lieu. Le chef de l’Etat Ali Bongo Ondimba, fâché des prestations de l’équipe, avait fermé le robinet à CFA. C’est pour ne pas revivre la même déconvenue que les joueurs vont cette fois se montrer inflexibles, réclamant la transparence sur les montants et le paiement en temps et en heure.
Le ministre privé de vestiaire
Les choses vont même tourner au psychodrame : le matin du départ prévu pour le Cameroun, on apprenait que les hommes du sélectionneur Patrice Neveu refusaient de quitter l’émirat pour rallier Yaoundé dans l’avion affrété par les autorités gabonaises. En coulisses, cette affaire de primes a perturbé le stage depuis son commencement. Selon une source bien renseignée, les joueurs traînaient déjà des pieds les jours précédents, menaçant de boycotter le premier match amical de préparation contre le Burkina Faso, perdu sur le score sans appel de 3-0. Le ministre des Sports Franck Nguema, rentré par la suite à Libreville, avait alors dû convoquer une réunion d’urgence afin de ramener un semblant de sérénité dans le groupe, et il faudra de nouvelles discussions pour que la troupe finisse par s’envoler pour l’Afrique.
Le problème n’était en rien réglé sur le fond, mais contrairement aux prédictions unanimes, les résultats de l’équipe n’allaient pas en pâtir. Malgré leur préparation sacrifiée, et l’absence des deux stars de l’équipe, Pierre-Emerick Aubameyang et Mario Lemina, positifs au Covid, les Panthères du Gabon débutaient leur CAN par un succès sur les Comores (1-0). Mais n’en oubliaient pas leur revendications pour autant. Et lorsque le ministre des Sports s’en allait féliciter les joueurs pour leur victoire, le représentant du gouvernement se voyait refuser l’accès au vestiaire. La victoire, étriquée mais méritoire, va permettre de débloquer petit à petit la situation. Le montant de la prime de match est ensuite triplé après le nul réussi contre le Ghana (1-1), quatre jours plus tard. Au moment où les Panthères disputent la « finale » du groupe contre le Maroc, la question des primes est définitivement réglée.
L’ombre du Palais présidentiel
Les choses ont l’air simples, a posteriori : de bons résultats, une rallonge financière et une situation qui rentre dans l’ordre. Pourtant, les interférences n’ont pas manqué avant cette accalmie. La faute à l’interventionnisme des conseillers du Palais du bord de mer, siège de la présidence. En l’occurrence Ismaël Oceni, Jean-Denis Amoussou et Yann Ghislain Ngoulou. Ces proches de Nourredine Bongo, fils d’Ali Bongo Ondimba, le chef de l’Etat gabonais, ont manœuvré pour tenter de ramener les joueurs à la raison, interférant dans leur relation avec le ministre, et brouillant la lecture de la situation. Seuls les bons résultats de l’équipe, invaincue lors de la phase de poules et qualifiée haut la main pour le second tour, ont apaisé le vestiaire.
Signe du regain de popularité des Panthères lors de leur parcours camerounais, de nombreux supporters ont fait le déplacement jusqu’à l’aéroport Léon-Mba de Libreville pour accueillir leurs héros. Mais cette ambiance festive, jamais vue depuis le quart de finale de l’Azingo national (précédent surnom de l’équipe nationale gabonaise) en 1996, sera rapidement éclipsée par un nouvel accroc. Sans fleurs ni vuvuzelas, des policiers des services de la contre-ingérence sont venus interpeller à sa descente d’avion Serge Hamed Mombo. Ce quadragénaire, intendant de l’équipe nationale, se trouve inquiété pour sa participation présumée aux agissements pédophiles dans les milieux du football gabonais. Révélée par une enquête du quotidien britannique The Guardian, ce scandale a déjà conduit en prison Patrick Assoumou Eyi, dit Capello, formateur renommé du pays, ancien sélectionneur de l’équipe nationale des moins de 17 ans. La vie des Panthères ne sera jamais un long fleuve tranquille.