Quai Branly, superbe « Afrique des routes »

Lorsque l’on s’intéresse de plus près aux échanges et à la circulation des hommes dans le monde, on se rend compte que l’histoire des pays d’Afrique a commencé bien avant la colonisation.

L’Atlas Catalan, l’un des trésors de la Bibliothèque nationale, est attribué au cartographe Abraham Fresques, de la communauté juive de Majorque, dans les Baléares. Composé en 1375, il résume les connaissances géographiques de l’époque et l’Afrique y occupe une place non négligeable.

De l’art rupestre du Sahara aux porcelaines chinoises de Madagascar, des perles de verre d’Egypte aux salières d’ivoire afro-portugaises, des poteaux funéraires austronésiens aux bronzes d’Ifé et de Benin, l’exposition temporaire présentée au Musée du Quai Branly – Jacques Chirac permet de comprendre l’histoire des peuples d’Afrique. Ou plutôt, des Afriques. Des humains, mais aussi des savoirs, des idées, des ressources naturelles et des richesses ont circulé entre l’Afrique et l’Asie, l’Afrique et les Amériques, ou plus tardivement encore, l’Afrique et l’Europe.

 

La marche des caravanes

Salière en ivoire d’éléphant, population Edo, Nigeria, royaume du Bénin. C’est à partir de la découverte de la Sierra Leone en 1460 que les Portugais amorcèrent le trafic intense d’ivoire vers l’Europe. Les salières réalisées au 16e siècle par les artistes africains en sont devenues les incarnations les plus abouties.

L’Afrique a une histoire. Dès le cinquième millénaire avant notre ère, l’art pariétal que l’on peut retrouver aujourd’hui au Tassili dans le désert du Sahara notamment, fait figurer des chevaux tirant des chars, ou encore des dromadaires. Domestiqués au troisième siècle avant notre ère, ces derniers sont le moyen de transport classique à partir du Ier siècle et s’imposent au Sahara vers 200.

Routes de commerce et routes des villes, itinéraires fluviaux, maritimes et terrestres ont apporté les productions venues de l’extérieur et ont transporté celles du continent africain. La circulation dans les bassins hydrographiques est très aisée grâce aux pirogues : bassin du Tchad, Niger, etc. Dès avant le Ier siècle, Perses puis Arabes, Indiens, et Chinois, voyagent vers l’Afrique et y commercent. Bien avant les Européens, qui n’arriveront sur le continent qu’à la fin du 15e siècle.

Au 7ème siècle, la mise en esclavage des africains dans le monde arabo-perse débute, même si la « Traite négrière » existait déjà dans l’Antiquité. Ils servent ainsi d’eunuques, ou encore de porteurs sur la route de la soie. Puis, du 17ème au 19ème siècle, cette « Traite négrière » qui concerne les populations d’Afrique subsaharienne prend une ampleur sans précédent avec la colonisation européenne, et devient le centre du commerce triangulaire. Héritage parmi tant d’autres de ces flux migratoires extrêmement importants ; 90% du cacao que l’on trouve aujourd’hui est produit en Afrique (en Côte d’Ivoire) alors que c’est un produit que l’on trouvait uniquement en Amérique au départ.

La marche de l’islam

Minaret de la grande mosquée de Djenné au Mali. Ville légendaire sur le Niger, « jumelle » de Tombouctou, Djenné était déjà prospère au temps des Romains.

Lorsque l’on aborde l’histoire de l’Afrique, on évoque parfois à tort un continent uniquement rural. Pourtant, les routes et réseaux impliquent la naissance de centres urbains et les échanges inter-régionaux entraînent la pénétration de l’islam, dont la représentation la plus prestigieuse est sûrement la ville de Tombouctou au Mali.

 

Les seules cartes décrivant le continent africain, au début, sont arabes. Le premier chemin de pèlerinage vers La Mecque part en effet d’Afrique de l’Ouest pour aller vers le lac Tchad puis Le Caire car seule la Mer Rouge sépare La Mecque de l’Abyssinie (Ethiopie). Cet itinéraire est rendu célèbre en 1324-1325, lorsque l’empereur malien Kankou Moussa y effectue son premier pèlerinage.

Cependant, ce sont les « religions du terroir » qui dominent en Afrique jusqu’au 5ème siècle environ, date de l’apparition du judaïsme et du christianisme. Ces « religions du terroir » seront d’ailleurs exportées aux Amériques par les esclaves. C’est seulement vers le 9ème siècle que l’islam pénètre sur le continent, par le Nord et l’Est. Ces différentes options religieuses ont pu cohabiter pacifiquement jusqu’à très récemment, malgré quelques heurts.

La marche de l’art

Masque facial de la société du Do (Côte d’Ivoire, 19e siècle). Il était porté pour d’importantes funérailles de dignitaires des musulmans dioulas.

La prise de conscience en Europe que les Africains fabriquaient de « vraies » œuvres d’art a été très tardive. Entre 1850 et 1920 notamment, des centaines de milliers d’œuvres ont été commandées à des artistes africains pour des collections privées en Europe de l’Est. Les noms des artistes ont pourtant rarement franchi les limites de leur pays d’origine.

L’Histoire se lit en effet dans la circulation et le rapprochement d’objets. Les assiettes en porcelaine d’inspiration chinoise que l’on a pu retrouver à Madagascar par exemple, témoignent d’échanges sino-africains très précoces, contrairement à certaines croyances qui affirment que ces échanges sont très récents. De nombreux poteaux funéraires exposés attestent quant à eux de la rencontre entre civilisation austronésienne et continent africain depuis le 8ème siècle. Tout au long de l’exposition, il est également possible de suivre des routes musicales (des chants pygmées entre autres), proposées à côté de certaines œuvres pour enrichir leur perception.

Différents masques témoignant de pratiques communes au type linguistique nigéro-congolais sont également présentés. Au sud du Sahara, le médiateur « masque » continue d’être utilisé encore aujourd’hui. Ces masques sculptés évoquent des présences supra-humaines et servent lors de mariages ou de funérailles.

Toutes ces œuvres témoignent d’un prestige culturel africain et, bien que provenant d’un territoire étendu sur plus de 2000 km, elles participent à un mythe historique commun.

La marche de la richesse

Au cœur de l’Afrique australe et centrale, les produits manufacturés fabriqués à partir de minéraux ruinent l’artisanat local mais procurent de nouveaux matériaux aux artisans qui les incorporent dans leur créativité. Les routes souterraines et le filon géologique sont en effet exploités après le 19ème siècle. Sur fond de travail forcé, des infrastructures sont construites. L’exploitation des mines africaines est d’ailleurs toujours au cœur d’enjeux géopolitiques. Surtout, plus que tout autre continent, l’Afrique a fait émerger des figures historiques d’aventuriers tour à tour administrateurs, géographes et missionnaires.

L’art africain a été délaissé, ou relégué au rang inférieur, pendant très longtemps. Ce n’est que très récemment que cet art a enrichi l’imaginaire et le vocabulaire des artistes occidentaux notamment. Des images, objets et enseignements ont également transité vers l’Afrique (photographie, peinture sur toile, lithographie). A l’image de La Méduse, œuvre créée en 2008 par Yinka Shonibare MBE, qui multiplie les références entre l’Afrique et l’Europe et en particulier le Sénégal et la France. Artiste contemporain nigérian, il a accepté contrairement à une majorité d’autres, la mention de « Most Excellent Order of the British Empire » (MBE) qu’il a adjointe à son nom d’artiste.

Ces œuvres modernes, transitant par les routes de l’art, mettent en valeur les dialogues et interférences entre le continent africain et le reste du monde, avec des formes et intentions confluentes. Ouverte et réagissant à ce qu’il se passait ailleurs, l’Afrique a épousé l’histoire des siècles, en la subissant et en l’animant tour à tour.

 

« L’Afrique des routes ». Musée du quai Branly Jacques-Chirac, 37, quai Branly (VIIe). Tél. : 01 56 61 70 00. Horaires : lun., mer. et dim., 11h à 19h ; jeu., ven. et sam. 11h à 21h. Jusqu’au 12 novembre 2017.