Dans passionnante chronique, Fred Eboko, directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) qui fait une éloge de la créativité de l’Afrique confrontée au fléau de l’épidémie: « La riposte au COVID-19, écrit-il, donne à voir une Afrique gouvernée, plurielle, où les sociétés civiles jouent un rôle important ».
Les crises économiques des années 80-90 ont laissé penser que l’Etat africain, malgré le retour à la croissance du début des années 2000, devait être encadré par des partenaires bilatéraux, multilatéraux, ONG, ou privés pour gérer la santé des populations, autant que ses autres politiques publiques. Pourtant, nous constatons actuellement que certains chocs épidémiologiques ont alerté les pouvoirs publics africains au-delà de la dynamique de ces partenariats. La majorité des Etats africains a pris des dispositions en matière de contrôle aux frontières, de surveillance épidémiologique et de restrictions des rassemblements ou de confinements avant même d’enregistrer des cas de Covid-19.
« Les incubateurs du virus, si j’ose dire, que sont les avions, les aéroports, les trains, les gares, les métros, les trams en effet ne sont empruntés que par une extrême minorité des populations africaines »
Et ce sont ces dispositions qui ont permis d’enregistrer les premiers cas de Covid, entrés par les aéroports internationaux africains. Les incubateurs de Sarv-Cov_2, si j’ose dire, que sont les avions, les aéroports, les trains, les gares, les métros, les trams en effet ne sont empruntés que par une extrême minorité des populations africaines. Laquelle est confrontée à de nombreuses barrières pour se déplacer, contrairement aux autres régions du monde qui connaissent une mobilité exponentielle. Et cette riposte rapide des Etats a permis, pour le moment, une relativement faible propagation du virus sur le continent.
C’est intéressant de constater combien les chercheurs et les politiques africains sont vraiment à pied d’œuvre dans leur réflexion, dans leurs actions, pour essayer de contrer collectivement le Covid-19. J’ai rarement vu de telles dynamiques de la société civile, des chercheurs et des Etats, indépendamment des recommandations internationales. Et ça, c’est positif.
« L’Afrique n’est pas seulement dirigée la caricature du chef d’Etat autoritaire et clientéliste »
Au fond, des autorités qui ont été frappées, dans la représentation qu’en donnent certains médias du Nord, par l’opprobre de l’incompétence et de l’illégitimité montrent aussi que l’Afrique est plurielle. Elle n’est pas seulement dirigée la caricature du chef d’Etat autoritaire et clientéliste. Il est possible d’observer des différences notables dans la gouvernance des Etats africains.
Il y a un mois, le gouvernement sénégalais a mis en place, très rapidement, un programme dit « Force Covid-19 », d’un montant de plus 1000 milliards de francs CFA, pour venir en aide aux secteurs économiques et au populations qui vont être les plus pénalisés par la maladie. Pourtant, le Sénégal n’avait pas encore enregistré de décès lié au corona virus. La semaine dernière, une grande enquête à Dakar a montré que la confiance des populations en leurs autorités atteint 83% pour ce qui concerne la gestion de la pandémie du Covid-19.
A l’inverse, un mois plus tard, le Cameroun commence à réfléchir à une étude pour évaluer l’impact de la crise. La temporalité et les modalités de réponse à la pandémie change, au-delà des simples indicateurs sanitaires, d’un pays à l’autre.
« Ce qui apparaît aussi nettement, c’est que les sociétés civiles, très mobilisées, ont une place prépondérante aujourd’hui en Afrique »
Lorsque les pays agissent d’eux-mêmes, sans répondre à la pression internationale, l’observation la plus immédiate atteste des différences entre eux. Pour le dire autrement, les pays africains sont gouvernés, bien ou mal peu importe ici, contrairement à ce qu’on a pu penser avec le concept ou l’idéologie de l’Etat failli et effondré qui a prévalu à partir des quelques rares Etats vraiment effondrés. .
Ce qui apparaît aussi nettement, c’est que les sociétés civiles ont une place prépondérante aujourd’hui en Afrique ; elles sont très mobilisées, très vigilantes. C’est très clair par exemple au Burkina Faso, avec le départ du coordinateur de la riposte après une controverse, et au Sénégal sur la question de l’aide alimentaire qui a vu les autorités sénégalaises interpellées – lesquelles ont fourni des explications – dans le contexte de la pandémie. L’Afrique n’est pas monolithique. Il y a des dynamiques de gouvernance plurielles sur le continent. Bien entendu, il existe des reculs flagrants en termes de respect des droits politiques et civils mais il est urgent de noter l’avènement d’une société civile qui pèse sur l’action publique. Il n’est plus possible, dans le silence absolu, de faire tout et n’importe quoi aux populations. La jeunesse de la population et les réseaux sociaux, désormais transnationaux, ont changé la donne.
Enfin, le Covid-19 nous révèle aussi la grande créativité, la force de proposition et la mobilisation de nouveaux acteurs sociaux, comme les artistes. Qui sont entrés en lice, des arts plastiques à la musique, pour sensibiliser les populations aux gestes barrières, de Dakar à Ndjamena, d’Abidjan à Nairobi, de Lagos à Johannesburg.