L’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Niamey datée du 4 décembre dernier donne de sinistres détails sur le trafic de bébés qui a lieu entre le Nigeria et le Niger
L’enquête se poursuit au Niger au sujet de l’affaire de trafic d’enfants qui met en cause l’ancien président de l’assemblée nationale Hama Amadou, véritable bête noire du président Mahamdou Issoufou exilé en France depuis août dernier.
« Usines à bébé »
Selon l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Niamey datée du 4 décembre dernier dont Mondafrique a obtenu une copie, les services de police ont fait état d’un vaste réseau d’« usines à bébés » disséminées dans plusieurs localités du Nigéria. Par dizaines, des femmes pauvres enceintes sont séquestrées dans des établissement clandestins jusqu’à leur accouchement. Les nouveaux-nés sont ensuite vendus à des couples stériles de la sous-région. Le rapport de police mentionne que les bébés nés au Nigéria sont souvent achetés par des couples de la haute société nigérienne. Selon l’ordonnance, les bébés étaient vendus 800 000 nairas pour les garçons (3700 euros) et entre 300 000 et 400 000 nairas pour les filles (1400-1800 euros).
Des perquisitions menées dans l’une de ces « usines » dans la commune d’Ilutitun au sud ouest du Nigéria ont permis aux services de polices d’interpeler Agoundji Hapiness surnommée « Mama » et identifiée comme étant l’une des principales entremetteuses dans le trafic d’enfants. Les interrogatoires effectués par le service nigérian de lutte contre le trafic d’êtres humains auprès d’Agoundeji Hapiness et de plusieurs femmes séquestrées ont permis d’identifier des personnalités nigériennes soupçonnées d’avoir acheté des enfants.
« (…) Suite aux éléments recueillis (…), les noms de certaines personnalités nigériennes ont été cités notamment : Hama Amadou, président de l’Assemblée nationale du Niger, Moussa Haitou, ex directeur général de la société nigérienne des Banques (Sonibank), Maliki Barhouni, ancien secrétaire général de la Chambre de Commerce du Niger et le dénommé Alio Habibou, intermédiaire et accompagnant de la quasi totalité des femmes ayant requis les services de la Nigériane Agoundeji Hapiness » précise l’ordonnance. Abdou Labo, ancien ministre de l’agriculture et M. Beidari, lieutenant de gendarmerie ont également été cités par Alio Habibou.
Interrogé par la police de Niamey, ce dernier a précisé qu’Agoundeji Hapiness « remettait aux femmes des produits à base de plantes à boire le matin et le soir pendant 9 mois. Il explique par ailleurs que « les femmes accouchaient 15 minutes après une injection (…) ». Le plus souvent de jumeaux. En réalité, les femmes subissaient une anesthésie générale pendant laquelle les bébés leur étaient disposés sur le ventre. Elles les découvraient ensuite à leur réveil. « Toutes sont revenues à Niamey via Cotonou, après un séjour de 48 heures à la clinique Ajavon ». Lors de leur passage au Bénin, des carnets de consultation et des examens de groupage sanguin leur étaient remis par les responsables de la clinique.
De grandes familles sahéliennes impliquées
Mise en cause dans cette affaire pour « supposition d’enfants » (un délit qui consiste pour une femme à s’attribuer la maternité d’un enfant dont elle n’a pas accouché), l’épouse de l’ex président de l’assemblée nationale Hama Amadou, Adizatou Dieye, ne reconnaît pas les faits qui lui sont reprochés. Selon l’ordonnance « elle conteste avoir utilisé le circuit de trafic de bébés pour avoir des enfants. Elle déclare avoir accouché de jumeaux le premier septembre 2012 après avoir subi un traitement traditionnel et médical au Nigéria ». Contrairement à la plupart des autres prévenues qui ont dit avoir accouché à domicile, Adizatou Dieye affirme, elle, avoir accouché à Lagos au Nigéria mais refuse toujours de donner le nom de la clinique. Libérée fin décembre après 7 mois de détention, ses déplacements font cependant toujours l’objet d’une importante surveillance par les autorités nigériennes. Le 4 janvier dernier, elle a été de nouveau interpelée et placée en garde à vue par la police judiciaire de Niamey alors qu’elle était en partance pour la ville de Tahoua d’où est originaire le président Issoufou au centre du pays.
Après le déclenchement de l’affaire en août dernier, Hama Amadou avait quant à lui fui au Burkina Faso avant de s’envoler pour la France où il est toujours exilé. Depuis, l’ex président de l’Assemblée nationale clame son innocence dénonçant une affaire politique montée contre lui par le président Mahamadou Issoufou. Jusqu’à présent, Hama Amadou refuse de procéder à un test ADN. Dans une interview accordée à Mondafrique en octobre dernier, il avait déclaré craindre que les résultats ne soient falsifiés.
Sur les trente-deux personnes inculpées dans cette affaire, deux seulement ont bénéficié d’un non lieu. Les autres devront se prononcer lors d’un procès prévu fin janvier.
Notons que Hama Amadou n’est pas la seule personnalité politique sahélienne de haut rang citée dans cette ordonnance. Alizeta Ouédraogo, ancienne directrice de la chambre de commerce et d’industrie du Burkina Faso, belle-mère du frère cadet de l’ex président Blaise Compaoré réfugiée en France depuis novembre dernier apparaît également dans le document. Longtemps accusée de monopoliser une grande partie de l’économie de son pays, l’ancienne « belle mère nationale » du Burkina y est désignée comme recruteuse des candidates à la supposition d’enfants parmi des couples stériles. « (A. Ouédraogo) les met en contact avec le dénommé Benjamin qui réside à Ouagadougou au Burkina Faso, qui se charge de les conduire à Ore (environ 200 kilomètres à l’est de Lagos) auprès de la nommée Agoundeji Happiness » précise l’ordonnance. Interrogé par la police nigérienne, l’intermédiaire Alio Hadibou avait déjà déclaré avoir effectué une bonne partie de ses voyages avec un certain « Benjamin ».