C’est l’histoire d’un immigré, un Lillois exactement, qui, en vacances en Algérie dans la commune de Bordj el Kiffan, à quelques kilomètres d’Alger, pourchasse avec sa caméra les couples amoureux
« C’est la vie, qu’est-ce que tu veux ? C’était un vendredi, explique-t-il face à la caméra, j’ai vu des couples, hachek, sauf ton respect, et je vais pas rentrer dans les détails…mais je les ai chassés, je les ai trouvés derrière les rochers. » Et, voilà, il y en a qui passe leur vacances à pêcher le thon et il y a le désormais célèbre Mr Rabah Guestal, qui les passe à chasser les couples dans son quartier en bord de mer, avec le soleil et tout ça, des couples qui se cachent derrière des rochers pour s’aimer. Quelle honte ! s’est-il dit.
N’écoutant que son courage, entre la grande prière et le couscous familial, le voilà en gandoura et muni d’une vilaine matraque se faisant filmer par ses voisins en train de combattre « le crime de prostitution, zina, et d’adultère » parce que c’est bien connu, dit-il, un rien raciste, « l’arabe ne comprends que le kellouz », la matraque. Et puis ajoute-t-il : « …si ce n’est pas nous qui va le faire, la police ? elle fait rien, elle est d’accord… », en français dans le texte.
Ouverture de la chasse
Avançant tel un canard vers les lieux du crime, à proximité des rochers, la chasse peut commencer : « Hey, hey, crie-t-il en direction des amoureux cachés, allez, sortez de là, vous n’avez pas honte, saleté va… » Les criminels, trois couples surpris à la vue de ses énergumènes, humiliés et quelques peu effrayés, sortent de l’ombre comme on fait sortir des lapins de leurs terriers. Les voilà, jouant les rôles secondaires, pendant que Mr Guestal se donne le rôle principal dans « mon petit djihad à moi tout seul que ma tête elle m’a dit de le faire pour édifier les croyants et qu’en plus je me filme fièrement. » Pendant que la bande son défile comme un grand n’importe quoi, histoire de justifier cet acte de bravoure : « Les gens meurent à la Mecque, dit l’un de ses accompagnateurs, et eux ils sont là…»
C’est vrai quoi, qu’est-ce qu’ils font là ? oui là ? avec leurs petits chapeaux et leurs bouteilles d’eau minérale au lieu d’allez répandre leur sang à la Mecque où de recevoir des grues en pleines gueules. Un deuxième ajoute en direction d’une jeune fille qui porte le hidjab, comme toutes les autres filles du reste : « tu porte le khimar, en plus. Tu devrais être chez toi, en train d’aider ta mère. » Où même ta sœur ! « Tais toi, materedjelch, ne fais pas l’homme et estime toi heureux qu’on ne te tabasse pas, kawad. » menace un troisième benêt au seul des amoureux qui tente mollement de résister.
Ben ça alors, il ne manquerait plus que cela qu’il se prenne pour un homme, lui qui aime une femme. Qu’on se le dise dans cette vidéo, les seuls qui méritent d’être des zommes ce sont eux. « Tu aimerais que l’on vienne devant chez toi avec une madama ? » demandent-ils à l’un des accusés.
Tout juste des petits machos
Euh et avec un homme c’est permis de venir derrière les rochers sous ta fenêtre ? La sexualité masculine ne regarde personne, en revanche une sexualité mixte qu’elle horreur ! Des hommes et des femmes ensemble, voilà le crime. Mais, comme dirait Mr Guestal face à la caméra, « Il n’y a pas de discussion. Regardez si nous avons tort… » et de montrer la preuve en tableau de chasse : trois couples quittant la plage et le soleil, n’osant plus se regarder, s’en allant têtes basses, les filles retournant aider leurs mères et les garçons retournant dans l’entre soi, entre hommes. « Je l’ai toujours dit, triomphe notre apprenti en djihad, tant qu’il y aura des hommes sur terre, ce n’est pas la fin du monde. » En revanche quand il y a des hommes et des femmes sur terre alors il est à craindre la fin du monde. Cette vidéo grotesque pourrait prêter à sourire, tant ces jihadistes amateurs sont peu convaincants, ils n’utilisent pas leur matraque, ils gesticulent et s’oublient dans leur vulgarité à la limite du blasphème, ya rebek, Bon Dieu, dit l’un d’entre eux, kawad, pédé, dit un autre, un langage qui s’apparente plus à celui de petits machos, habillant leur ennui, leur frustration, leur confusion, leur foi d’un vernis hypocrite, qu’à de la théologie.
C’est pourtant ce qui rend glaçantes et insupportables ces images. Les internautes ne s’y sont pas trompés. Tollé général sur la toile : si maintenant même le commun des mortel se déguise en daech, où allons nous ? ce sont-ils demandés. Que fait la police ? ont-ils ajouté. Là où Mr Guestal s’attendait aux félicitations de la communauté des croyants il n’ a eu qu’insultes et opprobres. Sentant que sa contribution au djihad mondialisé tournait à la débandade, n’écoutant encore une fois que son courage, Mr Kastel tourne alors une seconde vidéo.
Acte deux : Le repenti.
« Paix à mes frères les internautes », commence notre Rabah national qui pour la circonstance à troqué sa gandoura du vendredi contre un t shirt à rayures de pêcheur du dimanche après s’être rasé la barbe. « Je ne suis ni Daech, ni terroriste », plaide-t-il, « je suis un père de famille » un chouia opportuniste, la preuve ? « j’ai voté Bouteflika et j’aime mon pays. » En clair nous dit-il : j’ai voulu faire mon intéressant, je voulais être sur you tub comme tout le monde, mais comme je manque d’imagination, et que par ailleurs dans sa Grandeur Dieu ne m’a doté d’aucun talent, je ne sais ni chanter, ni même danser, j’ai pensé qu’un petit djihad de plus ne ferait pas la différence avec tout ce qu’on voit à la télé, sans pensé à mal, sentimental bourreau, j’ai été mal inspiré je le reconnais volontiers, comme je reconnais que je me suis couvert de ridicule, la honte est sur ma figure depuis, vous m’avez mal compris et comme en plus j’ai pas envie de finir mes vacances en taule et qu’en plus je suis immigré et que je dois bientôt rentrer à Lille ce serait bien dommage que je me retrouve fiché, alors soyez sympa, « Pour la vidéo que j’ai fait avec les couples, tout ça, tout ça (…) », on efface tout et on oublie : « … je ne devais pas faire ça, mais El Hamdoula, pardonnez moi, à tous les internautes, pardonnez moi, pardonnez moi » et puisque rien ne me sera épargné « que ceux à qui j’ai causé du tort qu’ils m’excusent. »
Entre « Le petit Daech en vacances » et « Le repenti » on se demande laquelle des deux vidéos est la plus inquiétante. La douce barbarie de ce héros ridicule où sa banalité effrayante ? En attendant notre djihadiste amateur aura appris à ses dépends que même pour chasser les couples des rochers il faut, en Algérie, un permis de chasse. N’est pas Madani Mezrag qui veut, et pendant que ce célèbre repenti toujours sur le pied de guerre est toujours en liberté, Rabah Guestal, lui est en prison. Moralité : le petit gibier est toujours plus facile à chasser que le gros.