Le 27 février, les autorités algériennes ont mis sous scellés les locaux de deux associations de défense des droits des femmes au motif qu’elles n’étaient pas enregistrées, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les deux groupes ont été autorisés à rouvrir leurs portes « temporairement » le 5 mars.
Alors que les deux organisations s’étaient bien enregistrées légalement, l’une en 1989 et l’autre en 1996, les autorités avaient depuis exigé que les associations se réenregistrent, en vertu d’une loi de 2012, et refusé de leur redonner un statut légal, sans fournir d’explication. Selon la loi restrictive de 2012 portant sur les associations, les autorités algériennes ont toute latitude pour ne pas accorder de reconnaissance légale aux associations non gouvernementales, les maintenant ainsi dans un entre-deux juridique.
« Il faut que les autorités algériennes cessent de se servir de la loi sur les associations comme d’une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des associations qui leur déplaisent », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
L’article 70 de la loi de 2012 exige des organisations enregistrées légalement en vertu de la loi précédente de déposer à nouveau leurs statuts sous peine d’être dissoutes. Les deux groupes basés à Oran, nommés Association féministe pour l’épanouissement de la personne et l’exercice de la citoyenneté (AFEPEC) et Femmes algériennes revendiquant leurs droits (FARD), ont envoyé bien leurs documents d’enregistrement aux autorités, respectivement en 2012 et 2014, mais n’ont jamais reçu de récépissé d’enregistrement, bien qu’elles aient demandé plusieurs fois où en était le dossier.
Le 25 février, le gouverneur (wali) d’Oran a émis une décision écrite, citant « les rapports établissant que deux associations non autorisées, FARD et AFEPEC, poursuivent leurs activités » et ordonnant de fermer leurs locaux « jusqu’à ce qu’elles règlent leur situation légale ».
Fatma Boufenik, directrice du centre d’aide aux femmes victimes de violence de FARD, a déclaré à Human Rights Watch que l’association n’avait reçu aucun préavis de fermeture.
« Le 27 février, mes collègues et moi étions de garde, en train de fournir une assistance aux femmes au centre d’aide », a déclaré Boufenik. « Nous sommes parties vers 13 h. Je vis dans le même quartier. Lorsque des voisins m’ont informé que des policiers étaient venus pour fermer notre bureau, et celui de l’AFEPEC, j’y suis retournée et j’ai découvert qu’ils avaient mis des scellés sur notre serrure. »
Boufenik a déclaré que FARD avait été enregistré légalement en 1996, en vertu de la loi de 1990 sur les associations. Suite au remplacement de cette loi par les législateurs en 2012, FARD a tenu une assemblée générale le 9 janvier 2014, comme l’exigeait la nouvelle loi, et déposé le 29 janvier les documents requis auprès de la Direction de l’action sociale (DAS), qui dépend du ministère de la Solidarité nationale, de la famille et de la condition de la femme. Le 30 mars, le groupe a reçu un « récépissé de dépôt » prouvant que le wali d’Oran avait bien reçu le dossier. Human Rights Watch a pu consulter ce récépissé. Depuis, les autorités n’ont pas répondu.
De son côté, Malika Remaoun, vice-présidente de l’AFEPEC, a déclaré à Human Rights Watch qu’afin de se conformer à la loi de 2012, l’association avait elle aussi tenu une assemblée générale le 22 février 2012 et déposé les documents demandés le 29 février. « Mais nous n’avons pas reçu notre récépissé de dépôt avant 2014, même s’il était daté de mars 2012 », a-t-elle rapporté. « Depuis, nous demandons la normalisation de notre statut légal, sans aucun résultat. »
Le 5 mars, le gouverneur d’Oran a autorisé FARD et l’AFEPEC à rouvrir leurs portes. Sa décision, consultée par Human Rights Watch, mentionnait que la réouverture n’était que temporaire, en attendant « la normalisation de leur statut légal ».
Human Rights Watch a déjà demandé au gouvernement algérien de revoir la loi sur les associations pour la rendre conforme aux normes internationales en matière de droit d’association.
La loi 2012 exige que les associations disposent d’un récépissé d’enregistrement pour avoir légalement le droit de fonctionner. Mais les autorités peuvent refuser d’enregistrer une association si elles décident que le contenu et/ou les objectifs de ce groupe sont contraires « aux constantes et aux valeurs nationales ainsi qu’à l’ordre public, aux bonnes mœurs et aux dispositions des lois et règlements en vigueur ». Ces critères vagues donnent aux autorités toute la marge nécessaire pour bloquer la légalisation d’un groupe.
D’après l’article 8 de la nouvelle loi, l’autorité administrative concernée « délivrera obligatoirement un récépissé de dépôt » après vérification « immédiate » des pièces du dossier déposé par l’association. La loi n’accorde à cette autorité aucun pouvoir discrétionnaire de refuser d’accepter les documents ou de délivrer le récépissé. Ensuite l’administration a 30 à 60 jours pour décider si elle autorise l’enregistrement à prendre effet.
La loi dispose qu’« à l’expiration des délais prévus (…) ci-dessus, le silence de l’administration vaut agrément de l’association concernée. Dans ce cas, l’administration est tenue de délivrer le récépissé d’enregistrement de l’association. »
En pratique, cependant, l’administration a refusé de délivrer le récépissé dans plusieurs cas.
Des organisations de défense des droits humains comme la Ligue algérienne des droits de l’homme (LADDH), le Rassemblement action jeunesse (RAJ) et la section algérienne d’Amnesty International – toutes des associations auparavant enregistrées qui ont redéposé leurs documents conformément à la loi de 2012 –, attendent toujours d’être légalement reconnues.
Le manque d’enregistrement légal gêne les associations en Algérie de plusieurs façons, notamment en les empêchant d’ouvrir un compte en banque, de louer un bureau au nom de l’association ou de réserver une salle pour une réunion. En outre, les membres d’une association « non encore enregistrée ou agréée, suspendue ou dissoute » risquent jusqu’à six mois de prison s’ils continuent à s’activer en son nom.