L’extrême droite en Suisse ne pouvait rêver d’un tel client. Depuis près de deux décennies, Salah Ben Salem, 64 ans, qui se fait appeler Abu Ramadan, prend un malin plaisir à donner des boutons purulents aux populistes helvètes. Ce Frère musulman libyen, persécuté par Kadhafi, se réfugie dans la Confédération en 1998. Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) lui accorde un statut de réfugié.
Marié et père de quatre enfants, cet homme pieux s’installe à Nidau, une petite bourgade de 5 000 âmes dans le canton de Berne. Seulement voilà, depuis, Salah Ben Salem n’a jamais pris le temps d’apprendre le français ou l’allemand. Ni de trouver un travail. Grâce aux aides sociales, ce réfugié perçoit autour de 4 000 à 4 500 francs suisses par mois (3 200 à 3 600 euros). Il a même obtenu un permis C de résident permanent.
« Détruire les juifs, les chrétiens…»
Cette petite vie tranquille aurait pu se poursuivre encore très longtemps sans l’enquête de Kurt Pelda, journaliste au Tages-Anzeiger, une publication zurichoise. Brienne, un gros bourg de 55 000 habitants où il réside dans le canton de Berne, recense une dizaine de mosquées, dont celle d’Ar’Rahman où il prèche. Même s’il n’encourage pas directement les croyants à partir en Syrie et en Irak, le réfugié libyen appelle à l’extermination des “mécréants“. Toujours d’après l’enquète de Kurt Pelda, l’Imam ne fait pas dans la dentelle et aurait déclaré: « O Allah, je te demande de détruire les ennemis de notre religion, détruis les juifs, les chrétiens, les hindous, les Russes et les chiites. Allah, je te demande de les détruire tous et de rendre à l’islam sa gloire passée ».
Prosélyte, Abu Ramadan fréquente également les mosquées de Neuchâtel, de Lausanne, « il connaît bien les frères Ramadan à Genève », ajoute le journaliste alémanique Kurt Pelda.
De Tripoii à La Mecque
Depuis la chute de Kadhafi, « l’imam haineux », comme l’a baptisé la presse, retourne régulièrement à Tripoli avec un passeport libyen. Il n’y serait donc plus persécuté. Salah Ben Salem effectue également des pèlerinages à La Mecque – ce qui n’est pas répréhensible – mais il y réside dans des hôtels de luxe, comme le montre une photographie parue dans le magazine L’Illustré, qui consacre un numéro à « L’islamisme en Suisse ». « La Suisse doit-elle continuer de fermer les yeux et d’entretenir des individus qui ne font que vomir, comme lui, sa tradition démocratique et ses valeurs ? (…) Abu Ramadan, en tout cas, est devenu un cas d’école qui force la Suisse à réfléchir et à se remettre en question », commente L’Illustré.
L’Union démocratique du centre (UDC), le principal parti du pays (30 % des suffrages) et le plus à droite sur l’échiquier politique, s’est aussitôt saisi de ce dossier inespéré pour dénoncer, cette fois avec du grain à moudre, le manque de surveillance des imams, l’absence d’intégration des réfugiés et les largesses de l’aide sociale (540000 de 2004 à 2007 pour le seul Imam). « Un prêcheur de haine financé par l’argent des contribuables à Bienne : qu’est-ce qu’on attend pour réagir ? », s’indigne le parti.
Parole contre parole
Dans le canton de Berne, Pierre-Alain Schnegg, le directeur des affaires sociales cantonales, est justement membre de l’UDC. « Nous réclamons un durcissement des conditions ». Principale mesure : la réduction des prestations jusqu’à 30 % pour ceux qui ne maîtrisent pas au moins une langue nationale, déclare-t-il dans le quotidien Le Temps, de Lausanne.
Bref, la situation depuis vingt ans de ce réfugié libyen a tellement scandalisé la Suisse que le Secrétariat d’Etat aux migrations aussitôt décidé de lui retirer sa qualité de réfugié.
De son côté, Abu Ramadan conteste avoir tenu des propos haineux. Il prônerait au contraire, « l’amour, la tolérance et la générosité » envers les musulmans et les non musulmans. Le traducteur serait un menteur. Le Tages-Anzeiger assure que la traduction des prêches de « l’imam haineux » a fait l’objet de plusieurs vérifications.
Encadré, « L’angélisme des autorités suisses »
Juste au moment où le scandale éclate, Saïda Keller-Messahli, d’origine tunisienne, présidente du Forum pour un islam progressiste, publie « Islamistische Drehscheibe Schweiz » (La Suisse, plaque tournante islamiste). Elle y raconte une Confédération infiltrée par les islamistes, des organisations salafistes proposant de plus en plus de pèlerinages, des voyages où les musulmans seraient endoctrinés.
Dans une longue interview accordée au quotidien Le Temps, elle affirme que les autorités helvétiques seraient naïves, et surtout la gauche qui « ferait preuve d’angélisme, par souci de protéger les minorités et le multiculturalisme ».
Ainsi, les autorités judiciaires zurichoises viennent de lui retirer un cours donné au personnel de prison sur la radicalisation qui avait un énorme succès. « Au prétexte, explique-t-elle, que cela allait faire des vagues ».