1973, la grande grève contre le racisme

Paris, 13 mars 2010 : à la librairie Abencerage, chez Aziz Ghozzi, le journaliste Farid Aichoun, aujourd’hui disparu,  tient un hommage à Mohamed Bachiri dit Mokhtar (1947 – 2010), qu’il a connu lors de la grève générale contre le racisme initiée en septembre 1973 dans plusieurs villes .

Parmi eux, Farid Aïchoune, qui se remémore avoir connu Mokhtar lors de la grève générale contre le racisme initiée en septembre 1973 dans plusieurs villes (Marseille, mais aussi Grenoble, Nice, Paris, Toulon, Toulouse…), suite à la multiplication de meurtres contre des Arabes, en particulier dans le Midi de la France. Farid Aïchoune souligne la dimension anti-algérienne derrière ces crimes et attentats, revendiqués par des nostalgiques de l’OAS tels les commandos Delta, selon certaines sources composés d’indics ou d’« agents secrets », et qui vont perdurer des années durant.

« J’étais moi à la G.P, la Gauche prolétarienne » d’inspiration maoïste. L’implantation au sein de mouvements de masse puis l’auto-dissolution de la GP (en 1973) ont « donné naissance aux thématiques : les femmes, les homosexuels, les immigrés », raconte Farid Aïchoune. Des gens venus d’autres expériences politiques se retrouvent au Mouvement des travailleurs arabes. C’est donc dans le cadre du MTA qu’il rencontre Mokhtar et qu’ils vont lancer, avec d’autres, leur appel, inspiré dit-il par la « grève générale de huit jours » des Algériens pendant la guerre d’indépendance (28 janvier- 4 février 1957). Tracts, affiches et journaux bilingues arabe-français siglés du MTA témoignent de l’effervescence ambiante et du souci de « bombarder » le message, selon l’expression de Saïd Bouziri, autre figure du mouvement. « On était une poignée, et à notre grande stupéfaction, s’exclame Farid,[ça] marche! », même si « on était un peu bordéliques, pas très orga comme les trotskystes … Chacun avait sa wilaya et était chef de son secteur ».

Hommage à Farid Aïchoune 

Né en 1951 à Alger, Farid Aïchoune est décédé le 16 février 2022 à Paris. Gamin, il a vécu à Paris les événements du 17 octobre 1961, Mai 68 puis, au début des années 1970, il milite à la Gauche prolétarienne (GP), au comité Palestine sur Paris et au Mouvement des travailleurs arabes (MTA). Au mitan des années 70, il reprend des études d’histoire-géo. En 1979, il se lance dans le journalisme avec Sans Frontière, fait « par et pour les immigrés », dont il deviendra directeur de publication, puis participe à l’éphémère magazine Baraka. Il rejoint en 1988 la rédaction de l’hebdomadaire Le Nouvel Obs, jusqu’à sa retraite en 2014.

Passionné d’histoire, il couvre tour à tour les rapports avec la police et la justice, l’international et en particulier la Palestine, l’Algérie ou l’islamisme. Mélomane, il connaît par coeur les chansons d’Akli Yahiaten et Dahmane El Harrachi, Georges Brassens et les célèbres répliques de Michel Audiard. Titi parisien, gouaille frondeuse, Farid Aïchoune détonne dans les milieux militants traditionnels, ce qui lui attire la bienveillance des jeunes de la nouvelle génération « Beurs », auxquels il prodigue ses conseils et transmet son expérience : on le retrouve ainsi à la tête du S.O. lors de l’arrivée de la Marche pour l’égalité et contre le racisme le 3 décembre 1983 à Paris, ou encore comme médiateur lors de la grève de la faim de Djida Tazdaït et Nacer Zaïr contre le projet de loi Pasqua en 1986. Adepte des « coups » politico-médiatiques, c’est lui qui a l’idée de l’invitation de Djida et Nacer à la garden party du 14 juillet à l’Elysée, au grand dam du ministère de l’intérieur.

Tel un tiercé gagnant dans le désordre, Farid Aïchoune vivra successivement dans les 19ème, 18ème et 20ème arrondissements de Paris. Au contact de milieux diversifiés, arabo-kabyles ou français, il tiendra ici et là une chronique de ces quartiers populaires : en 1979, il souffle le titre provocateur d’un article dans Sans Frontière contre la politique du député UDF JP Pierre Bloch pour débarrasser Barbès des « clandestins » : « Pour un Paris propre. 1942 : Darquier de Pellepoix assainit le Marais – 1980 : Pierre Bloch assainira-t-il Barbès ? » Procès. La justice décidera la relaxe. Farid Aïchoune se sent alors conforté dans son franc-parler. Certes, on peut ne pas être toujours d’accord avec ses partis-pris, qu’il assortit d’une ferme volonté de ne pas se faire embobiner, de vérifier et de croiser ses sources. Et bien qu’ayant peu à peu pris ses distances vis-à-vis des rhétoriques héritées de l’agit’-prop’ post- 68, il affectionnera sans discontinuer un vieil adage mao : « Qui n’a pas fait d’enquête n’a pas droit à la parole! » Saha Farid !

Mogniss H. Abdallah