L’ambassadeur de Turquie Ali Onaner : « la présidentielle devrait être maintenue »

Dans un entretien avec « Mondafrique », l’ambassadeur de la Turquie en France, Ali Onaner, se félicite du formidable élan de solidarité qu’a montré une centaine de pays face au drame du tremblement de terre.  Alors que le séisme a provoqué au moins 40000 morts en Turquie, sans doute bientôt le double et que des centaines de milliers de Turcs n’ont plus d’hébergement, l’ambassadeur de Turquie estime que l’élection présidentielle, prévue au mois de mai, devrait être tout de même maintenue. 

Très actif depuis sa nomination à la tète de l’ambassade  de Turquie en France et d’une grande courtoisie envers les médias français qu’il reçoit volontiers, Ali Honaner est un brillant représentant  à Paris de la diplomatie du Président Erdogan.

        « La France, un des premiers pays à manifester sa solidarité avec la Turquie »

Mondafrique.  Des critiques ont été émises sur le retard du Conseil de sécurité qui ne s’est réuni à New York qu’une semaine après le séisme du 6 février. Jusqu’à quel point la Turquie a bénéficié de l’aide internationale?

Ali Onaner Nous avons assisté en Turquie à un formidable élan de solidarité dès les heures et les jours qui ont suivi le séisme du 6 février. Il faut agir vite après un tremblement de terre. La France est un des premiers pays à nous avoir envoyé des secours: 70 militaires et autant de sapeurs pompiers ont aidé nos équipes.

Nous avons vu  les experts ukrainiens comme les experts russes apporter leur aide à notre gouvernement. La frontière avec l’Arménie avec qui les relations s’étaient fortement dégradées au moment du conflit du Karabach, a été à nouveau ouverte après de nombreuses années de fermeture pour faciliter l’arrivée des secours. Les vols ont repris avec ce pays, le ministre des Affaires Étrangères arménien s’est déplacé pour une visite officielle en Turquie.

Mondafrique. Que penser du ministre grec des Affaires étrangères Nikos Dendias, qui est arrivé le dimanche 12 février en Turquie pour marquer, malgré une traditionnelle rivalité, le soutien d’Athènes?

Ali Onaner. Même la Grèce effectivement a envoyé des secouristes. La visite ministérielle qui avait eu lieu il y a un an s’était mal placée, notamment lors de la conférence de presse. Ce ne fut pas le cas cette fois du déplacement du ministre grec dimanche dernier. Le tremblement de terre a permis à une centaine de pays d’afficher leur solidarité à la Turquie.

En Syrie, la situation humanitaire est incontestablement plus compliquée, notamment dans la région d’Idlib ou d’Alep.

Les villes d’Alep et d’Idlib au coeur du séisme

Mondafrique. .La Syrie a décidé d’ouvrir deux nouveaux couloirs humanitaires qui s’ajoutent à celui qui existait. Cette perméabilité des frontières avec une région marquée par la violence et la misère crée des inquiétudes en Turquie?

Ali Onaner. Notre proximité avec la Syrie a provoqué, toutes ces dernières années, un afflux de réfugiés en Turquie: cinq millions d’hommes et de femmes, dont quatre millions de syriens.  J’aimerais rappeler qu’on compte, parmi eux, 500000 kurdes de nationalité syrienne qui préfèrent trouver refuge en Turquie plutôt que de vivre sous la férule du PKK, ce mouvement terroriste qui fournit des mercenaires à nos alliés américains et français soucieux de combattre les groupes armés djihadistes. Ce qui reste pour nous totalement incompréhensible.

La Turquie finance le retour vers la Syrie d’un certain nombre de ces réfugiés qui ont tout perdu. Mon pays finance avec l’argent des contribuables turcs la reconstruction de villages ou la création de nouvelles habitations.

Pour le reste, nous surveillons étroitement les convois humanitaires en provenance de Syrie afin que les corridors ne constituent pas de nouveaux appels d’air pour de nouveaux flux de réfugiés. 

Mondafrique. Ces transferts de population ne peuvent pas être entièrement sous contrôle. Que pensez vous des ONG israéliennes ont quitté la Turquie de peur de devenir les cibles de l’Etat Islamique établis en Syrie. 

Ali Onaner. Je respecte leur évaluation, les risques existent, la vulnérabilité des ONG augmente. Mais je constate qu’israël a maintenu l’essentiel de son aide. 

Mondafrique. Les relations relativement apaisées après le séisme avec des pays qui avaient pu s’opposer à la diplomatie turque s’inscrivent-elles dans une volonté plus générale du Président Erdogan de tendre la main aux adversaires d’hier?

Ali Onaner La Turquie a toujours eu une politique d’ouverture sur le plan diplomatique, du moins jusqu’à l’année 2010. Le Printemps arabe a provoqué de graves incompréhensions notamment avec l’Égypte et les Émirats.Les effets secondaires de cette période historique ont été mal gérés, mais sont aujourd’hui dépassés.  Nous sommes aujourd’hui dans un effort de normalisation.

Mondafrique Les conséquences dramatiques du séisme vont-elles provoquer le changement du calendrier électoral. L’élection présidentielle aura-t-elle lieu au mois de mai comme prévu?

Ali Onaner Il n’y a aucune raison de modifier la date des élections. La Turquie sera capable sur le plan logistique d’organiser le scrutin, y compris dans les régions affectées par le séisme.  Aucun des hommes politiques qui se sont exprimés, y compris ceux de l’opposition, n’a demandé le report de la date du scrutin.

Mondafrique. La colère a gagné les populations touchées par le séisme. Comme souvent en pareil cas, de nombreuses critiques ont été formulées contre le gouvernement turc et le président Erdogan accusés de ne pas avoir pris les mesures nécessaires. 

Ali Onaner. Ce genre d’attaques représente, si on peut dire, le coté le plus racoleur de journalistes médiocres.  Mais comment, par ailleurs,  le gouvernement turc pourrait éviter les critiques? Imaginez un territoire grand comme dix départements français  où 6000 immeubles se sont effondrés? Lorsque vous vous réveillez en pleine nuit, que vous sautez du balcon et que vous attendez les secours pendant des heures, comment ne pas être en colère? Nous avons pourtant un des meilleurs dispositifs au monde en matière de séisme. Mais l’échelle du drame est immense.

Mondafrique. De nombreux entrepreneurs de BTP ont été mis en cause par corruption. Quelles critiques peuvent être formulées sur les mesures mises en oeuvre depuis le double tremblement de terre qui a causé 18000 morts à Istambul en 1999?

Ali Onaner  Aucune politique publique n’est parfaite. Nous avons pris très au sérieux la prévention des risques sismiques après le séisme de 1999. Les premières investigations montrent que 98% des bâtiments effondrés le 6 février dataient d’avant cet événement dramatique. Cela nous montre que les enseignements de 1999 ont bien été retenus. Les immeubles récents respectant les normes ont, dans leur grande majorité, bien résisté. Ce qui est vrai, c’est qu’il aurait fallu renouveler plus rapidement les bâtiments anciens.

Il reste que le tremblement de terre du 6 février  où on a vu s’ouvrir des canyons de deux cent mètres de longueur et de cinquante mètres de profondeurs ont tout détruit que les bâtiments soient aux normes ou pas; L’intensité est telle avec 7.8 sur l’échelle de richter que le splus perfectionnées des constructions n’auraient pas pu tenir.

Nous traduirons en justice un certain nombre d’entrepreneurs qui ont clairement ignoré les mesures imposées par l’administration

Mondafrique. Certains avancent que ce séisme dramatique tombe mal pour le Président Erdogan qui devrait affronter une Présidentielle dans quelques semaines? 

Ali Onaner. De tels propos sont indécents. Nous avons quelques semaines, quelques heures, pour sauver encore des vies. 

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Nicolas Beau
Ancien du Monde, de Libération et du Canard Enchainé, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l'Institut Maghreb (Paris 8) et l'auteur de plusieurs livres: "Les beurgeois de la République" (Le Seuil) "La maison Pasqua"(Plon), "BHL, une imposture française" (Les Arènes), "Le vilain petit Qatar" (Fayard avec Jacques Marie Bourget), "La régente de Carthage" (La Découverte, avec Catherine Graciet) et "Notre ami Ben Ali" (La Découverte, avec Jean Pierre Tuquoi)