La bonne marche de l’Etat, dont la formation d’un gouvernement après les élections législatives du 6 octobre, est au point mort. Une chronique de Wicem Souissi
Au palais de Carthage, le président Kaïs Saïed reçoit à tour de bras. De l’ancien journaliste Taoufik Ben Brik au chanteur de l’ancien régime Lotfi Bouchnak, en passant par les jeunes chômeurs du bassin minier de Gafsa, le chef de l’Etat fait comme on dit des frais à ses invités, sans se préoccuper de l’incongruité de telles activités.
Pas loin de là, au palais Dhiafa, Habib Jamli, désigné voilà quinze jours pour former un gouvernement, multiplie les réceptions de visiteurs sans se soucier davantage de ses invités incongrus : un rédacteur en chef d’un journal aux ventes au demeurant confidentielles, un président d’un organisme de lutte contre la corruption, des représentants de partis non représentés à l’Assemblée fraîchement élue, tout ce beau monde se côtoient aux informations officielles et semblent meubler le vide sidéral de ses discussions avec les chefs des partis disposant, eux, de groupes parlementaires, seuls légitimes, en réalité, dans la participation à un gouvernement en cours de composition.
Tuer le temps
Le chef du gouvernement en exercice, Youssef Chahed, est, lui, l’hôte des salons de La Kasbah. Entre deux missions à l’étranger que lui confie le président de la république, il reçoit, lui aussi, et le fait savoir, mais ne dit pas grand-chose, voire pas du tout, de la teneur de ses discussions dont on voit mal, dans une mandature finissante, à quoi elles peuvent bien servir, sinon à préparer sa reconversion, ou tuer le temps.
C’est au Bardo, en réalité, que les échanges de salon sont autrement décisifs. Le tout nouveau président du Parlement, Rached Ghannouhi, chef du mouvement islamiste Ennahdha, arrivé en tête lors des élections législatives, est le maître d’œuvre de la coalition censée sortir de son chapeau pour gouverner. Mais là encore, l’opacité est la règle, tout au plus peut-on conjecturer selon les sourires, vrais ou faux, les déclarations, plus ou moins vagues, ce qu’il en est en réalité.
Ce qui est sûr, c’est que la fragilité, qui confine à l’impuissance, des islamistes, qui ne disposent que du quart des parlementaires à leur actif, les rend bien en peine de concilier les inconciliables. Avec ses partisans de Qalb Tounès, Au Cœur de la Tunisie, Nabil Karoui, perdant de l’élection présidentielle, fait l’objet d’un veto du Courant démocratique de Mohamed Abbou, dont le corps de doctrine anti-corruption se marie difficilement avec les accusations de blanchiment que traînent les frères Karoui.
On s’oriente donc vers le choix de futurs ministres aux caractéristiques évidentes, sinon triviales : non trop ouvertement partisans, pour ne pas fâcher leurs adversaires, et à la personnalité suffisamment faible pour annihiler les toujours possibles velléités d’indépendance dans les choix gouvernementaux. Les précédentes législatures prouvent d’ailleurs que ce type de compétences n’est pas malaisé à dénicher.
Transformer le Nahdaoui en indépendant
Après tout, Ennahdha a réussi le tour de force de présenter son poulain pour la présidence du gouvernement, Jamli, qui figurait dans son propre gouvernement voilà plusieurs années en tant que ministre nahdhaoui, comme, à présent, un indépendant ! A vrai dire, personne n’y a cru. Mais, pendant que le président de la république Saïed donne un ton de plus en plus lyrique à sa fonction en chantre d’un romantisme révolutionnaire, arrangements politiques et combinaisons politiciennes se poursuivent au gré des intérêts partisans. Point d’hommes ou de femmes d’Etat à l’horizon. Et vogue la galère…