Le Tchad va en reprendre pour 25 ans de Déby

Sur fond de répression, le président tchadien Déby, 25 ans de pouvoir, a annoncé être candidat à nouveau. Une chronique de Moussa Ahmat Issakha.

Au terme du Congrès qu’il a tenu le 8 février 2016, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS, parti au pouvoir), a investi le président Idriss Déby comme son candidat à la présidentielle prévue le 8 avril prochain.

Peu après cette investiture, le Président Déby, sortit, comme par enchantement, « deux lièvres aux oreilles très longues » de son chapeau:

(1) la limitation du nombre des mandats présidentiels à deux quinquennats- verrou que lui-même fit sauter en 2005 et à l’origine de la création de la Coordination des Partis Politiques pour la Défense de la Constitution (CPDC) et des diverses rebellions à l’Est.

(2) la mise en place d’un Etat fédéral.

Ces deux annonces spectaculaires ont été assorties d’une proposition de révision de la constitution qui interviendra à travers une consultation référendaire, s’il était réélu en 2016, après déjà plus de 25 années au pouvoir!.

Depuis ce 08 février, cette sortie inattendue du chef de l’Etat tchadien taraude les esprits et suscite mille interrogations. Ici et là et, au gré des pérégrinations, il est donné à lire sur ce sujet des analyses plus ou moins pertinentes des Tchadiens et de divers médias.

Il est vrai qu’au Tchad, la problématique de la forme de l’Etat a toujours déchaîné des passions. Elle est une véritable source de béance et de division. Ce que Deby lui-même sait et a toujours combattu. Et alors, pourquoi, diable, ces propositions ?

Manœuvres dilatoires

Quand on sait que l’actuel président du Tchad, l’homme au plus long règne au pays des Sao, est tout sauf un enfant de cœur, on a l’esprit troublé. Et si on se demandait : à qui profite le crime ? Quelles sont les préoccupations du président Deby ? Quels sont les problèmes auxquels il fait face et auxquels il aura à faire face.

Trêve de toute préoccupation d’intendance, d’économie et de politique sociale. Je suis d’avis que le président en exercice de l’Union Africaine s’inquiète plutôt de l’extérieur, de son image internationale. Sur ce plan, les quatre sujets qui le hantent sont :

  • La disparition non-élucidée de l’opposant M. Ibni Oumar Mahamat Saleh enlevé en février 2008 à N’Djamena;
  • La levée du verrou sur la limitation du nombre des mandats présidentiels en 2005;
  • La poussée des partis fédéralistes dans les deux (02) Logone, le Mandoul et une partie du Moyen-Chari à la suite de la création de Cap-Sur, le parti de l’ex-PM Dadnadji;
  • La contestation à venir des résultats de l’élection présidentielle d’avril prochain du fait de la fraude électroniquement programmé

Si la question de la disparition de Monsieur Ibni Oumar commence à connaître un « règlement » pour ce qui est de la partie relative à la famille-même de l’illustre disparu (l’épouse et les enfants étant en pourparlers avec le pouvoir de N’Djaména), les trois autres sujets de préoccupation de Deby seront totalement réglés par le résultat du referendum, pense-t-il tout bas.

Vers des élections truquées en avril

Avant cela, Idriss Deby Itno aura truqué et gagné les élections d’avril 2016. Tout président de l’Union africaine qu’il est, il fera face, et avec succès, aux contestations pacifiques et/ou violentes des résultats qui suivront le vote.

Sauf qu’entre temps, son image internationale et sa légitimité entachée par la non-limitation des mandats et la disparition de Ibni se trouveront encore mises à mal par la présidentielle 2016 gagnée, comme d’habitude, par la fraude.

Pour moi, c’est cela qui mettra à mal «  la magie » du stratège Idriss Deby Itno.

Le piège, que prépare leur président aux tchadiens, consiste à proposer effectivement un projet de révision de la constitution comprenant, en sus des diverses modifications symboliques et cosmétiques (réforme de la justice, plus grande place au bilinguisme, l’éligibilité à la présidentielle des Tchadiens de père ou de mère tchadien, qui ne sont pas eux-mêmes de père et de mère tchadien), la limitation du nombre des mandats présidentiels à deux (02) quinquennats et le fédéralisme.

Tout en proposant ce projet au suffrage des Tchadiens, le pouvoir battra campagne pour le « Non ». Mis au pied du mur, les quelques partis fédéralistes battront campagne pour le « Oui » et avec eux, comble de paradoxe, une partie de la minorité d’arabophone que compte le Tchad.

Tout le « Nord » du Tchad et les régions du Mayo-Kebbi voteront pour le « Non », pour barrer la route à cette Constitution instituant un Etat fédéral. Ainsi, par conviction et pris au piège, les Tchadiens suivront la consigne de Deby et rejetteront cette Constitution. Cela se fera alors sans tricherie, sans fraude. De façon claire et nette ! Proprement, comme dans un canton suisse. Comme dans un pays où toujours tout se passait dans la transparence.

En bon « démocrate », le président tchadien respectera les résultats. Et proclamera :

  • On ne peut m’accuser d’avoir sauté le verrou de la limitation des mandats en 2005. Les Tchadiens, eux-mêmes ayant voté contre en 2016. Les gens de la CDPC (ce qui en reste) sont des « maboules».
  • les partis fédéralistes ont beau faire du bruit, ils sont très marginaux, la majorité est avec moi.
  • On ne peut pas contester ma légitimé dès lors que le peuple a voté suivant mes consignes de vote.

A l’école de Machiavel

Le referendum devient finalement un moyen de « blanchiment » et de légitimation des fraudes qui auront été perpétrées lors de la présidentielle d’avril 2016 et de la première révision constitutionnelle opérée, de force, en 2005.

Et le tour sera ainsi joué. Du grand art ! Du pur Machiavel !

La consultation référendaire annoncée est pour Idriss Deby, au plus profond de lui, une sinécure. Une solution à tous ses problèmes. Une clef de ce type est appelée en mécanique : « clef-molette », la clé qui permet de tout dépiécer. Les Suisses, outre le secret bancaire et la « votation  perpétuelle », inventèrent, les couteaux suisses. Les couteaux qui servent à tout. Et en logistique, on dit d’un tel engin : « le diable-à-tout-faire » et au Tchad, Deby nous inventa, après la « démocratie sans or et argent » : le faux-referendum. Pour duper, une fois encore, les Tchadiens.

Et, il sera parti encore pour 25 ans. 25 nouvelles belles piges. Comme en 1990. Sachant que personne n’a pigé son jeu.

Pendant ce temps, le duo Moussa Faki (le ministre des Affaires Etrangères) et Adoum Younousmi (Le ministre en charge des Infrastructures)  se glosera d’aise, tels deux « Géo-trouve-tout » du Tchad contemporain. Eux qui auront soufflé cette belle idée au « Chef », comme ils l’ont conseillé au sujet de la Présidence « légitimante » de l’Union Africaine. Laquelle idée avait déjà infiniment plu au président de la République, qui donna, à l’occasion, son accord pour le lancement d’hallucinants projets tels que la construction de 60 villas à un milliard et deux cent millions FCFA, l’édification du gigantesque Centre des conférences et la construction du Grand Hôtel. En un mot, de coûteuses infrastructures qui continuent de plomber les finances publiques.

Ainsi va la volonté du Prince, même si le peuple tchadien en pâtit !

 

MOUSSA AHMAT ISSAKHA, analyste politique et économiste tchadien