Tchad: un chef de l’opposition, Succès Masra, arrêté

 

 

La détention de Succès Masra est emblématique du rétrécissement de l’espace politique

(New York, le 16 mai 2025) – Les autorités tchadiennes ont arrêté Succès Masra, l’ancien Premier ministre et chef du principal parti d’opposition du Tchad, tôt dans la matinée du 16 mai 2025 dans sa résidence à N’Djamena, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

L’arrestation de Succès Masra fait craindre une escalade du harcèlement et des menaces à l’encontre du parti d’opposition Les Transformateurs et d’autres opposants politiques au parti au pouvoir. Il devrait être rapidement libéré s’il n’est pas inculpé d’une infraction crédible.

« Succès Masra et son parti, Les Transformateurs, ont le droit d’exprimer librement leurs opinions sans craindre d’être arrêtés », a déclaré 
Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Mais à l’inverse, les autorités tchadiennes ont réprimé à plusieurs reprises la dissidence pacifique par des arrestations et d’autres formes de répression. »

Un témoin présent à la résidence de Succès Masra dans le quartier de Gassi à N’Djamena, la capitale, a déclaré que les forces de sécurité gouvernementales étaient arrivées juste avant 6 heures du matin pour l’arrêter. Des membres du parti ont déclaré à Human Rights Watch que Succès Masra, 41 ans, était détenu par la police judiciaire à N’Djamena, où il a accès à ses avocats.

Lors d’une 
conférence de presse, le procureur de la République, Oumar Mahamat Kedelaye, a déclaré que Succès Masra avait été arrêté à la suite d’un affrontement intercommunautaire dans la province du Logone-Occidental, dans le sud-ouest du Tchad, qui a fait 42 morts le 14 mai. Le procureur a indiqué que les autorités tchadiennes accusent Succès Masra d’ « incitation à la haine » et à la violence à travers ses publications sur les réseaux sociaux et l’impliquent dans les violences. Cependant, à la suite des violences dans le Logone-Occidental, Succès Masra avait exprimé ses condoléances aux victimes, déclarant que « la vie d’aucun Tchadien ne doit être banalisée ».

Si les affrontements entre éleveurs et agriculteurs sont fréquents dans le sud du Tchad, les violences intercommunautaires se sont 
aggravées ces dernières années, entraînant la mort de dizaines de personnes.

Succès Masra et ses partisans faisaient déjà l’objet de menaces avant les élections de mai 2024, au cours desquelles il s’était présenté contre le président de la transition de l’époque, le général Mahamat Idriss Déby. Après que les autorités ont annoncé la victoire de ce dernier, sa présidence a mis fin à la période de transition qui avait débuté en 2021, après la mort de son père, le président de l’époque, Idriss Déby Itno, qui a été tué lors de combats contre un groupe armé un jour après sa réélection à un sixième terme.

Sous le gouvernement actuel, les autorités se sont montres hostiles au débat ou à la dissidence, y compris aux discussions ouvertes sur le passé du Tchad.

La répression du gouvernement contre la liberté d’expression et d’association a parfois été violente : après la réélection de 2021 et la mort d’Idriss Déby Itno, les forces de sécurité ont 
fait un usage excessif de la force, notamment en tirant à balles réelles sans discernement pour disperser les manifestations de l’opposition dans tout le pays. Plusieurs manifestants ont été tués. Les autorités ont aussi arrêté des militants et des membres des partis d’opposition, et les forces de sécurité ont battu des journalistes qui couvraient les manifestations.

Le 
20 octobre 2022, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur des manifestants, tuant et blessant un grand nombre d’entre eux, et ont battu et poursuivi des personnes jusque dans leurs maisons. Des centaines d’hommes et de garçons ont été arrêtés et beaucoup d’entre eux ont été emmenés à Koro Toro, une prison de haute sécurité située à 600 kilomètres de N’Djamena. Plusieurs détenus sont morts en route vers la prison, certains à cause du manque d’eau. À Koro Toro, les manifestants ont subi de nouveaux sévices, notamment des actes de torture et des mauvais traitements de la part d’autres détenus.

En octobre 2023, des dizaines de membres des Transformateurs ont été 
arrêtés à l’approche d’un référendum constitutionnel visant à permettre à Mahamat Idriss Déby de se porter candidat.

La période précédant l’élection présidentielle de mai 2024 a également été marquée par la violence. Le 28 février 2024, les forces de sécurité 
ont tué Yaya Dillo, le président du Parti socialiste sans frontières, lors d’une attaque contre le siège du parti à N’Djamena. Plus d’un an après, les autorités n’ont toujours pas éclairci les circonstances de son assassinat.

« Le gouvernement tchadien devrait chercher des moyens de créer un espace de dialogue avec l’opposition politique, et non recourir à son manuel d’intimidation et de violence », a conclu Lewis Mudge. « Il devrait immédiatement libérer Succès Masra s’il n’est pas inculpé d’un délit valable. »