L’Autorité nationale de gestion des élections (ANGE) a annoncé Mahamat Idriss Deby largement en tête des résultats provisoires globaux, avec 61% des suffrages et plus de 75% de participation. Il devancerait largement ses neuf concurrents, dont Succès Masra, classé deuxième avec 18,53% des voix. Celui-ci avait auparavant assuré l’avoir emporté, et mis en garde contre « l’inversion de l’ordre des choses et des chiffres ».
« La victoire du peuple est éclatante ». C’est en ces termes que Succès Masra, actuel premier ministre du Tchad et opposant déclaré, a annoncé avoir remporté dès le premier tour de l’élection présidentielle au Tchad qui s’est tenue le 6 mai 2024 face à son principal challenger Mahamat Idriss Déby, le président sortant qui avait pris le pouvoir à la suite d’un coup d’Etat après la mort violente de son père, Idriss Déby. « Vous avez démontré que vous voulez le changement pacifiquement dans la justice et l’égalité dans un Tchad réconcilié » a poursuivi Succes Masra qui a assuré qu’ il œuvrera pour un Tchad plus juste et prospère pour tous. Succès Masra présente sa victoire comme le triomphe du peuple Tchadien qui a ouvert le 6 mai 2024 « un nouveau chapitre ».
Malgré une crédibilité scientifique approximative, les sondages qui existaient avant le scrutin donnaient déja la victoire à Succès Masra. Une étude d’opinion réalisée par le media Tchad One, il est vrai favorable à l’opposition, donnait en effet l’ancien opposant Succès Masra vainqueur dès le premier tour de la présidentielle avec près de 60% des voix. Les meetings du candidat de l’opposition qui ont rassemblé des foules nombreuses allaient aussi dans le même sens. Sauf que Mahamat Idriss Déby, qui contrôle l’armée et les forces de sécurité, était bien décidé, la fraude aidant, à ne pas perdre la bataille engagée dans les urnes contre son Premier ministre.
La victoire du chef de la junte militaire est présentée comme sans surprise par ses soutiens. La coalition formée de plus de 200 organisations, pas moins, dans la mouvance de l’ex-parti au pouvoir, le MPS, aurait permis « un maillage territorial et social sans concurrence », assure-t-on dans l’entourage du jeune Mahamat. Ces courtisans zélés en profitent au passage pour tacler Succès Mara ce « président des réseaux sociaux », et les Transformateurs, plus « populistes que populaires. »
Des chiffres impossibles pour l’opposant, qui se prévaut de la « vérité des urnes » compilée sur une plateforme nourrie par des « observateurs citoyens », et qui selon lui « consacre la victoire dès le premier tour de l’espérance sur le passé ». Il dénonce une « inversion des choses et des chiffres ».
« Je gagne ou je gagne »
La difficulté de l’exercice, c’est que Mahamat Idriss Deby n’a pas prévu autre chose que sa victoire au scrutin présidentiel. En amont des opérations de vote, il déroule progressivement l’agenda qui devrait le conduire à cette victoire. Il a ainsi choisi de porter à tête de l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE), Ahmat Batchiret, un cacique du régime de son père. Le choix de porter cet homme réputé pour sa loyauté envers le clan Deby procède d’un calcul méticuleux qui pourrait se révéler très utile.
Afin de sécuriser sa victoire et de lui conférer le vernis juridique qui lui donnera le moment venu une légitimité, Mahamat a porté à la tête de la Cour constitutionnelle, juridiction en charge du contentieux électoral, Jean-Bernard Padaré, un ancien ministre de la Justice de son père. Signe de sa forte proximité avec Mahamat, Padaré, qui était il y a encore peu un des porte-parole du Mouvement patriotique du salut (MPS), était assis au premier rang du public présent à N’Djamena à la cérémonie de dédicace du livre autobiographique de Mahamat Idriss Deby « De Bédouin à président ».
L’agenda de la victoire programmée de Mahamat repose en outre sur la compromission de toutes les principales forces politiques du Tchad. En échange de la nomination de Saleh Kebzabo au poste de Médiateur de la république, après il a été PM de Transition, son parti Union nationale pour la démocratie et le renouveau (UNDR) a choisi de rallier la candidature du Mahamat Idriss Deby et donc de ne pas avoir son propre candidat. Même démarche pour le Parti pour les libertés et le développement (PLD), fondé par Ibni Oumar Mahamat Saleh tué en 2008 sous Deby père, qui a renoncé à avoir son propre candidat, son leader Ahmat Alhabo ayant hérité du maroquin de Secrétaire général de la présidence du Tchad, avec rang de ministre d’Etat.
Pour compléter sa stratégie de victoire, Mahamat s’est assuré de l’élimination par la Cour constitutionnelle de plusieurs candidats nordistes qui auraient pu disputer le même électorat que lui lors du scrutin présidentiel. Le scénario de la victoire de Deby fils a donc été élaboré avec la même précision qu’un plan d’état-major d’une armée en conflit.
Au bord du précipice
À deux reprises au moins, le Tchad s’est retrouvé au bord du précipice ces dernières années. Sans commandant en chef du jour au lendemain, dans un contexte régional où subsistent des foyers d’insécurité préoccupants, s’est ajoutée une crise politique intérieure depuis la clôture des assises du Dialogue national inclusif et souverain en octobre 2022. Certes, une période d’accalmie aura suivi le retour au bercail du leader des Transformateurs, Succès Masra, nommé à la primature à la tète d’un nouveau gouvernement d’union nationale. Mais les récents événements tragiques du 28 février 2024 sont venus noircir le tableau d’un pays s’acheminant vers des échéances électorales apaisées sous le regard bienveillant de la France d’Emmanuel Macron.