« Si Ben Ali revenait, il aurait de grandes chances d’être réélu ». Au sein du « mouvement Destourien », un parti qui présente des listes pour les législatives du 26 octobre et qui a été créé par un ancien premier ministre de l’ancien président Ben Ali, on revendique l’héritage des deux premiers présidents de la Tunisie, Bourguiba surtout et Ben Ali pour ses premières années. Mondafrique a suivi, jusqu’à Lille,la tête de liste des Destouriens en France, Nizar Saadi, 36 ans, cadre supérieur dans le groupe Publicis
Ils sont fringants, diplômés, décomplexés, bien intégrés et politiquement incorrects. « Si Ben Ali revenait en Tunisie, il serait réélu », prétend quelques heures avant la clôture de la campagne électorale, Nizar Saadi, 36 ans, placé en France à la tête du « Nouveau Destour », une des dix neufs listes en présence de « France Nord » (Paris, Bretagne, Lille…. ).
Chemise blanche ouverte et costume gris clair, ce cadre supérieur de l’agence Publicis n’a pas hésité à se présenter au nom d’un parti créé par un ancien Premier ministre de Ben Ali, Hamed Karoui. « Aux débuts de sa présidence, poursuit le candidat, Ben Ali était resté proche du peuple, il s’inquiétait même en conseil des ministres du prix de la pomme de terre, les caisses étaient pleines et l’ordre rêgnait ». Et de reprendre ensuite un air déjà entendu : « La fin du règne de l’ancien Président a été désastreuse en raison de l’influence de son épouse, Leila Trabelsi ». Avant d’ajouter : « La régente de Carthage » qui avait fait main basse sur la Tunisie a fait un fils à Ben Ali en 2004 et ensuite, elle et son clan ont pris le dessus ». Ce qui n’est pas totalement faux….
Un détour par « Nida Tounes »
Qu’on ne se méprenne pourtant pas, le grand homme du « mouvement Destourien » reste Habib Bourguiba, le fondateur de la Tunisie moderne. Le premier Destour avait été créé par « le Combattant suprême » pour imposer l’indépendance. L’emblème de ces militants « new look » est une chéchia, ce bonnet en forme de calotte et de couleur rouge vermillon qui est l’emblème de la Tunisie indépendante et qu’ils ont fait figurer sur les porte-clefs pour leurs supporters. « Nos valeurs, précise Nizar Saadi volubile et convaincu, sont celles de Bourguiba, qui ont été en grande partie reprises par Ben Ali, du moins les premières années : un Etat fort, une vision nationaliste, une classe moyenne prospère, l’éducation pour tous ».
Dans un premier temps, le chef de file du Mouvement Destourien en France avait rejoint « Nida Tounes » de l’ancien Premier ministre bourguibiste, Beji Caïd Essebsi, principale force d’oppostion aux islamistes. Hélas, de violentes et vaines querelles ont opposé les anciens benalistes qui avaient rejoint cette coalition, comme Adel Jarboui, délégué de Nida à Paris pendant deux ans après avoir été secrétaire des jeunesses RCD, et les progressistes et autres démocrates qui avait fondé le mouvement avec Beji. Le parachutage in fine par Tunis comme tète de liste d’un ancien Nahdaoui, résident en Hollande, non francophone et surtout peu transparent, a poussé Nizar et ses amis vers la sortie. D’où leur ralliement au Mouvement Destourien.
David contre Goliath
Dans cette circonscription de « France Nord » où ces militants se battent pied à pied, 86000 tunisiens se sont inscrits sur les listes électorales, soit plus des deux tiers des électeurs en France. Cinq postes de députés sont à pourvoir sur les dix auxquels a droit la communauté tunisienne de France. Aux élections de la Constituante, le mouvement islamiste, qui reste la cible première du « Nouveau Destour », avait obtenu deux sièges, plus deux à ses alliés du CPR, le mouvement de l’actuel chef de l’Etat Moncef Marzouki.
Le rapport de force a-t-il changé ? Lors de leur dernier meeting en octobre à Paris, les islamistes ont regroupé près de 1500 militants. « Le Nouveau Destour » a du se contenter, lors d’une réunion dimanche dernier à Aubervilliers, d’une petite centaine de fidèles. David contre Goliath ? « Peut être veut croire Nizar qui a perdu cinq kilos pendant la campagne, mais nous avons été nous battre sur tous les marchés et dans les immeubles pour arracher la moindre voix ».
Le mardi 21 octobre, Nizar se rendait pour un diner débat à Lille, où « Mondafrique » l’a suivi. Pendant le trajet, Afifa Tekari, la deuxième de liste pour les législatives reste très concentrée sur son smartphone où on aperçoit en fonds d’écran la photo de Bourguiba. « J’adore cet homme… Nous lui devons tout… » Cette avocate se dit proche du peuple et réaliste. « Nous avons formé une liste seuls, pour contrer Ennahdha avant tout. On aime cette terre, et nous nous ne pouvions pas rester à regarder les islamistes s’accaparer le pouvoir… » Avant d’avouer avec un brin de tristesse « Nos chances de gagner sont minimes, je pense sincèrement que Ennahdha va remporter les élections, ils sont forts, disciplinés comme des militaires et ont les moyens… Je faisais partie de l’association « Escot » qui leur appartient maintenant, je les connais parfaitement, ils sont en quête incessante de sympathisants. Ennahdha est riche de son noyau initial. Ils savent établir la distinction entre les vrais nahdhaouis et les potentiels sympathisants. L’image qu’ils véhiculent est bien différente des discussions entre les cheiks décisionnaires. Ce parti reflète la schizophrénie que les tunisiens vivent actuellement. Nos citoyens sont victimes de la maitrise par les islamsites des moyens de communication… »
L’union fait la force
Au restaurant « Le Maroc » à Lille, nous nous installons à l’étage, sous un immense drapeau tunisien ! L’échange devient vite vif, animé, lorsque les têtes de liste détaillent leur programme électoral… Parmi les invités, un ancien des services des renseignement tunisiens qui luttait contre le terrorisme façon Ben Ali, au verbe haut : « Décidément, vous êtes tous pareils ! Je ne suis pas venu pour vous entendre parler de formalités de changement de résidence et laisser les problèmes réels de côté. Je suis un ancien officier, ma devise se limite à la l’amour de la Tunisie et au service du drapeau. Ne me parlez pas en tant que politiciens, parlez-moi en tant que tunisiens. Que comptez vous réellement faire pour le pays ? Laissons de côté la langue de bois et les discours de télé ». Ce à quoi Nizar Saadi répond sereinement : « Bourguiba est le père fondateur de la Tunisie moderne, c’est lui qui a libéré la femme. Nous sommes destouriens et Bourguibistes, car le bourguibisme est une idéologie avec une vraie vision sur le moyen et le long terme. Et franchement, sous Ben Ali, on manquait de démocratie mais pas de pain».
Le véritable objectif de ces franco-tunisiens est le rassemblement légitime de la communauté en France dans une vaste association consensuelle qui se développerait au delà des clivages politiques. « Ce serait, après le tourisme, un deuxième poumon économique pour notre pays », veut croire l’avocate Afifa Tekari. « Mieux vaut se tourner vers la France, ajoute Nizar Saadi, que vers le Qatar, comme le font les islamistes ».
Mieux vaut surtout, ajoute Nizar, « exporter nos cerveaux plutôt que des terroristes ». Comment pourrait-on le contredire ?