Longtemps citée en exemple dans toute l’Afrique subsaharienne francophone, la démocratie sénégalaise recule à grands pas, comme en témoignent l’instrumentalisation de la justice contre les opposants de Macky Sall, les scandales de corruption et les menaces contre la liberté de la presse.
C’est le tout dernier symptôme d’une démocratie à l’agonie. Des dizaines de personnes appelées localement « les nervis » s’en prennent aux opposants sans la crainte d’être inquiétés par la justice parce qu’ils se réclament de la majorité au pouvoir. Quelques fois, « ces nervis » sont également recrutés par l’opposition pour assurer la protection rapprochée de ses leaders ou s’en prendre à des militants de la majorité présidentielle. Des morts et des blessés graves peuvent être enregistrés lors des confrontations brutales entre les nervis des deux camps.
À y regarder de près, tout cela intervient dans le contexte d’une profonde crise de valeurs de la démocratie sénégalaise.
L’instrumentalisation de la justice
Personne n’avait vu venir le moindre danger lorsque Macky Sall décida en 2012, peu après son élection à la présidence de la République, de réhabiliter la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) créée en 1981 par Abdou Diouf mais laissée en veilleuse. Les Sénégalais étaient d’autant moins inquiets qu’ils ne voyaient pas comment Macky Sall, lui-même simple cadre de l’Etat dans le secteur pétrolier devenu millionnaire en euros dans l’exercice du pouvoir, pouvait raisonnablement inquiéter certains de ses compatriotes pour avoir fait comme lui. Ce raisonnement sera battu en brèche dès 2015 lorsque le nouveau président sénégalais lance la CREI contre Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, mais surtout une des personnalités du Parti démocratique sénégalais (PDS) qui pouvait contrarier les projets politiques de Macky Sall. A l’issue d’un procès dont la régularité a été contestée par la Cour de justice de la CEDEAO et la Commission des droits de l’homme des Nations unies, Karim Wade avait écopé de six années de prison ferme ainsi que 138 milliards de FCFA d’amende. Mais le plus important pour Macky Sall, c’est que le fils de l’ancien président devenait inéligible pour la présidentielle de 2019. Ce qui fait un adversaire important en moins.
Une épée de Damoclès
La même recette sera appliquée lors de la présidentielle de 2019 à Khalifa Sall, alors tout-puissant Maire de Dakar mais surtout challenger le plus sérieux de Macky. Sur la base d’une enquête de l’Inspection d’Etat commanditée par la présidence de la république, l’ancien Maire de Dakar est accusée en 2017 du détournement de plus de 2,7 millions d’euros par la CREI, jugé puis condamné en mars 2018. Juste à temps pour l’écarter de la présidentielle et ouvrir le boulevard de sa réélection à Macky Sall.
Comme pour ne pas changer une recette qui marche, le président sénégalais a tenté en mars dernier d’instrumentaliser la justice pour écarter Ousmane Sonko, leader du parti des patriotes sénégalais pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF), en vue de la présidentielle de 2024. Ousmane Sanko n’ayant rien géré qui aurait pu justifier la mise en branle de la CREI, une affaire de mœurs lui a été collé. Il aura fallu près de 13 morts et une farouche mobilisation de la jeunesse pour que le pouvoir recule sans renoncer à son projet de neutraliser Sonko qui pourrait être un des présidentiables le plus sérieux en 2024. Sonko reste donc en liberté mais écope d’une inculpation « pour viol », assortie d’un contrôle judiciaire qui l’empêche, notamment, de voyager hors du Sénégal.
Coup de canif dans la liberté de presse
Fait totalement impensable pour le Sénégal, la mise au pas de la justice pour servir les intérêts du président Macky Sall se double de nombreuses atteintes à la liberté de la presse. Prétextant une « couverture tendancieuse », le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) a suspendu en mars dernier pour 72 heures en mars les chaînes de télévision privée Sen TV et Walf TV, accusée d’avoir assuré un traitement « irresponsable » des manifestations contre l’arrestation d’Ousmane Sonko. Des locaux de la radio RFM et du quotidien L’OBS appartenant au groupe de presse Futurs Médias fondé par la star de la musique Youssou N’Dour ainsi les bureaux du journal gouvernemental Le Soleil ont été attaqués et des voitures incendiées. Des perturbations ont été observées pendant la même période dans l’accès aux réseaux sociaux : Facebook, whatSapp, You Tube. Autre signe inquiétant pour l’état de la liberté de la presse au Sénégal, le patron du groupe de presse Avenir communication Madiambal Diagne a été condamné la semaine dernière à trois mois de prison ferme et 600 millions de FCFA d’amende pour avoir diffamé un magistrat sénégalais.
Pouvoir personnel et opacité
Le recul de la démocratie intervient dans un contexte très marqué par la personnalisation du pouvoir par le président Macky Sall qui n’a pas renoncé, malgré les nombreuses réserves y compris celles venant de son propre camp, à supprimer le poste de Premier ministre, hérité de ses prédécesseurs Abdou Diouf et Abdoulaye Wade.
L’actuel président n’a pas non plus hésité à nommer en 2017 son frère cadet Aliou Sall à la tête de la Caisse des dépôts et consignations du Sénégal (CDC). Une affaire de corruption présumée dans le secteur du pétrole l’a finalement contraint à démissionner de ce poste en 2020.
Deux autres affaires agitent le landerneau politico-médiatique sénégalais : d’acquisition d’un nouvel avion présidentiel (Airbus 320 Neo) à 110 millions d’euros (prix catalogue) et l’achat d’un navire de commandement pour assurer les voyages officiels entre Dakar et l’île de Gorée.
Outre les conditions opaques de ces achats, les Sénégalais s’interrogent sur leur opportunité dans un pays fortement éprouvé par les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19. En tout cas, le pouvoir n’a pas cru bon de sollic